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Culture - Exposition

Simone Fattal, Humbaba et Hathor au musée du Louvre

Le musée du Louvre accueille jusqu’au 11 novembre 2024 des sculptures de l’artiste libanaise, une des plus grandes figures de la création contemporaine, au sein de sa collection des antiquités orientales. Une exposition ample et ambitieuse qui résonne avec trois leçons d’artistes aussi stimulantes qu’inédites.

Simone Fattal, Humbaba et Hathor au musée du Louvre

L’artiste Simone Fattal au musée du Louvre à Paris. © Adagp Paris, 2024/© 2024 Musée du Louvre/Audrey Viger

Directrice du département des antiquités orientales au musée du Louvre, Ariane Thomas explique que le projet Voix des antiquités orientales est parti du décalage qui peut exister entre le visiteur et les périodes très anciennes. « Il s’agit de retrouver la dimension émotionnelle des découvertes de l’archéologue, ainsi que les passions qui sont à la source des œuvres présentées », précise-t-elle à L’Orient-Le Jour. C’est dans cette démarche qu’a été organisée en mars dernier la lecture des poèmes d’Adonis en duo avec Fanny Ardant, sous-tendue par le rapport personnel du poète avec les vestiges mésopotamiens. « Simone Fattal, qui a étudié à l’École du Louvre, est familière de notre département, et des antiquités orientales en général. Nous avons beaucoup échangé pendant la préparation de l’exposition, Simone a consulté des textes, visité nos fouilles et participé à la disposition des œuvres in situ », poursuit la directrice.

La sculpture de Simone Fattal « The Vengful Angel » (l’Ange vengeur), exposée au département des antiquités orientales du musée du Louvre. © Adagp Paris, 2024/© 2024 Musée du Louvre/Audrey Viger.

Découvrir les œuvres de Simone Fattal au cœur des antiquités orientales du Louvre implique chez le visiteur une démarche de recherche amusante, en quête des sculptures dont le socle est bleu foncé. Ainsi, près d’un vase en calcaire chypro-archaïque, datant du VIIe siècle avant J.-C., s’élance Le Porteur de lingots. « Cette sculpture a été faite spécialement pour le Louvre, elle représente un personnage chypriote, debout sur un lingot de cuivre. L’île était la plus grande exportatrice de cuivre dans tout le bassin méditerranéen», précise à L’Orient-Le Jour Simone Fattal, à qui on avait demandé quatre grandes sculptures dans un premier temps. La deuxième représente Humbaba, conçue en grès, en 2023. Le géant qui garde la forêt des cèdres contre Gilgamesh dans la première épopée de l’humanité est représenté en pied, au cœur des vestiges phéniciens, dont les célèbres statuettes ex-voto de Byblos, du IIe millénaire avant J.-C. La charge narrative de l’ensemble est puissante, et Ariane Thomas confie que la scénographie a permis une certaine plasticité de la construction des résonances. « On a joué sur différents effets d’écho, qu’il concerne l’histoire, les matériaux ou la géographie. Simone Fattal a été éditrice, elle est très sensible au texte, et dans les antiquités orientales, nous nourrissons nos connaissances de l’écriture cunéiforme. Humbaba est avant tout un personnage de littérature, il a été très représenté dans l’Antiquité. Humbaba, c’est un monde qui tremble quand il ouvre la bouche : la sculpture de Simone est merveilleuse, elle semble vibrer. Nous l’avons située dans la salle dédiée à Byblos, dans la zone où il se trouvait avant d’être vaincu. J’ai apprécié particulièrement cette œuvre qui évoque plastiquement les textes », poursuit Ariane Thomas.

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Dans la salle intitulée « Présences et influences phéniciennes et puniques, entre 1100 et 100 avant J.-C. », des figurines, des bijoux, des stèles funéraires sidoniennes, et La Victoire tenant un oiseau en bronze, qui rappelle les conflits constants entre les différentes cités antiques. « Cette sculpture a été réalisée spécialement pour le Louvre. Mon quatrième grand personnage, c’est l’Ange vengeur, il a été créé après l’explosion au port de Beyrouth. Je ne voulais pas être dans le registre de la lamentation, mais l’idée était de se mettre debout pour amorcer un changement », ajoute Simone Fattal d’une voix toujours posée.

Simone Fattal, « Holder of Ingots », département des antiquités orientales, musée du Louvre. © Adagp Paris, 2024/© 2024 Musée du Louvre/Audrey Viger

« Plus il y a de guerres, et plus je fabrique des maisons solides qui tiennent le coup »

Les sculptures de l’artiste peuvent être envisagées en elles-mêmes, ou en résonance avec les objets alentour, y compris certaines pièces du MET actuellement exposées au département des antiquités orientales du Louvre. On peut choisir les œuvres de Simone Fattal comme axe de cheminement dans les différentes salles, ou bien se laisser surprendre par leur présence et leur proposition diachronique. Ainsi, en découvrant la restitution du palais assyrien de Sargon II, à Khorsabad, au VIIIe siècle avant J.-C., on est frappé par le gigantisme de l’ensemble, avant de changer de perspective et de trouver, dans une vitrine révélant des têtes de sceptre, des statuettes et un sac assyrien imaginé par Fattal, dont la blancheur est nacrée. Les lignes épurées de l’objet contrastent avec les énormes barbes frisées et fournies des personnages mi-hommes mi-bêtes environnants. « C’est un sac associé au culte religieux, on dirait qu’il sort du mur », précise l’artiste en riant. La massue contemporaine, présentée dans la même vitrine, se fond davantage aux tonalités ocres des vestiges assyriens, interrogeant les notions de continuité et de rupture au fil du temps.

Dans la grande histoire, se superpose celle des œuvres contemporaines, comme le personnage d’Hathor, en céramique émaillée. « Je l’ai créée cette année en Suisse avec beaucoup de vaches autour de moi, mais c’est cette figure indispensable du panthéon antique qui m’a inspirée », indique la poétesse avec humour. « Les antiquités égyptiennes me passionnent, mais elles ne résonnent pas dans mon travail comme les antiquités orientales, c’est-à-dire la Mésopotamie, l’Irak, la Syrie d’aujourd’hui et la Phénicie. Certaines des œuvres présentées dans cette exposition ont été réalisées il y a plusieurs années, car mon dialogue avec ces antiquités est ancien. Mes personnages sont vivants dans mon esprit, ils sont nourris de mes lectures de textes antiques, de poèmes, et je les aime », confie la vidéaste.

Dans une vitrine consacrée à des amphores, des amulettes, des petites figurines féminines, se détache une très belle sculpture de Fattal, en céramique émaillée, Femme et son ombre. « Cette image d’un personnage et son ombre est récurrente dans mon travail ; dans l’Antiquité, l’ombre était un élément constitutif de la personnalité. Je crée beaucoup de figurines représentant Ishtar, Vénus, ou Aphrodite », commente l’artiste. Elle constate néanmoins que depuis quelque temps, elle façonne beaucoup de maisons. « Plus il y a de guerres, et plus je fabrique des maisons solides qui tiennent le coup. »

Gros plan sur la sculpture de Simone Fattal « Holder of Ingots » (Le porteur de lingots), exposée au département des antiquités orientales, musée du Louvre. © Adagp Paris, 2024/© 2024 Musée du Louvre/Audrey Viger

Leçons d’artistes, de la Mésopotamie à Chypre

Le 26 avril, s’est tenue la première leçon d’artiste de Simone Fattal à l’auditorium du Louvre, avec Ariane Thomas, sous l’intitulé « Des œuvres de Simone Fattal et des antiquités orientales : une rencontre d’objets ». « Nous avons expliqué comment nous avons mené ce projet, et quels en sont les fondements depuis longtemps dans le travail de Simone »,  précise la directrice du département des antiquités orientales.

La seconde leçon d’artiste aura lieu le 29 avril, proposant un dialogue entre l’artiste et Grégoire Nicollet. « Il s’agit d’un sumérologue passionnant qui a réécrit des textes cunéiformes inédits pour Simone, afin de les actualiser », indique la responsable au Louvre.

Le 2 mai, la sculptrice s’entretiendra avec l’artiste et conservatrice Hélène Le Meaux. « Nous avons souhaité mettre en valeur nos vestiges chypriotes, moins visités que les autres, et dans le contexte régional de guerre, insister sur un espace de brassage et de métissage culturel », termine Ariane Thomas avec conviction. « L’île chypriote est le berceau d’Aphrodite, et elle a été une voisine importante de la Phénicie ; j’ai découvert les antiquités chypriotes au musée d’Athènes, et elle m’ont beaucoup touchée, et j’ai poursuivi mes recherches pour cette exposition au Louvre », indique pour sa part l’artiste.

Après Paris, d’autres expositions sont prévues, notamment à partir du 20 juin, à la Sécession viennoise, en Autriche. En novembre, les sculptures de Simone Fattal prendront leurs quartiers au musée d’art contemporain de Valence.

Directrice du département des antiquités orientales au musée du Louvre, Ariane Thomas explique que le projet Voix des antiquités orientales est parti du décalage qui peut exister entre le visiteur et les périodes très anciennes. « Il s’agit de retrouver la dimension émotionnelle des découvertes de l’archéologue, ainsi que les passions qui sont à la source des œuvres...

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Le "porteur de lingot" ressemble plus (du moins sur la photo) à un guerrier muni d’une lance et d;un bouclier. Juxtaposer des œuvres contemporaines et des sculptures multi-millénaires est une excellente idée. Elle nous fait ressentir douloureusement tout ce que - au moins dans le domaine de l’art - notre "civilisation" moderne a perdu.

Yves Prevost

07 h 14, le 29 avril 2024

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Commentaires (1)

  • Le "porteur de lingot" ressemble plus (du moins sur la photo) à un guerrier muni d’une lance et d;un bouclier. Juxtaposer des œuvres contemporaines et des sculptures multi-millénaires est une excellente idée. Elle nous fait ressentir douloureusement tout ce que - au moins dans le domaine de l’art - notre "civilisation" moderne a perdu.

    Yves Prevost

    07 h 14, le 29 avril 2024

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