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Idées - Commentaire

La fuite en avant de Netanyahu passera-t-elle par le Liban ?

La fuite en avant de Netanyahu passera-t-elle par le Liban ?

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lors d'une conférence de presse à Tel Aviv, en Israël, le 28 octobre 2023 (Photo Abir Sultan / Reuters)

Lors d’une conversation avec son homologue israélien Yoav Gallant, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin aurait exprimé, selon le site d’information Axios, son inquiétude quant au rôle d’Israël dans l’escalade des tensions le long de la frontière avec le Liban, craignant que cela ne conduise à une guerre régionale. Une inquiétude légitime : si, à ce stade, cette perspective n’offre aucun intérêt stratégique pour l’État hébreu, la logique politique qui sous-tend la conduite de son Premier ministre Benjamin Netanyahu fait de la poursuite de ce conflit et de l’escalade sur d’autres fronts son option par défaut. C’est là que réside le véritable danger pour tous.

Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, M. Netanyahu a fourni de nombreuses preuves qu’il élaborait sa politique au pied levé. Dans un message sur X – qui a été supprimé après avoir été vu par une large partie de son audience –, il a imputé à l’échelon supérieur de la sécurité israélienne l’échec spectaculaire de ses propres politiques passées à l’égard du Hamas. Dans une déclaration faite le 28 octobre, il a rappelé aux soldats qui s’apprêtaient à entrer dans Gaza de « (se) souvenir de ce qu’Amalek vous a fait ». Dans le climat politique actuel, l’invocation d’un passage biblique ordonnant la vengeance pour une attaque contre des juifs sans défense dans le désert serait comprise par les auditeurs comme impliquant un passage connexe : « N’épargnez personne, tuez indifféremment hommes et femmes, nourrissons et enfants en bas âge, bœufs et moutons, chameaux et ânes. » M. Netanyahu a ensuite prédit que la guerre serait suivie d’une responsabilité sécuritaire israélienne indéfinie sur Gaza, bien que M. Gallant et le secrétaire d’État américain Antony Blinken aient tous deux nié qu’il s’agissait en fait d’un objectif de guerre officiel.

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Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de logique interne ou de cohérence dans les déclarations disparates de M. Netanyahu et dans ses messages sur les réseaux sociaux. Ils servent plutôt deux objectifs. Tout d’abord, retarder le moment où il sera confronté au poids des demandes de responsabilité en raison de l’échec de la politique qu’il a vendue au public israélien pendant si longtemps : promettre la sécurité et la prospérité pour Israël, tout en bloquant et en paupérisant Gaza d’une part, et en étendant la colonisation en Cisjordanie et en Cisjordanie orientale, d’autre part. Son second objectif est de tenir ses partenaires de la coalition d’extrême droite à l’écart et de faire appel aux électeurs de droite afin de s’assurer de leur soutien lorsque l’heure des comptes aura sonné. S’ils lui permettent de conserver son emprise sur le poste de Premier ministre, M. Netanyahu pourra continuer à demander l’immunité contre les poursuites pour corruption qu’il cherche à obtenir par le biais des réformes judiciaires controversées menées par sa coalition de droite depuis le début de l’année 2023.

Comme l’a déclaré le journaliste israélien Amos Harel, « même au milieu de la guerre la plus importante que le pays ait connue en 50 ans, le Premier ministre est avant tout occupé, par-dessus tout, par lui-même et par le sauvetage de son avenir politique chancelant ». Netanyahu a un intérêt politique évident à maintenir le rythme des opérations militaires à Gaza, d’où son rejet répété des cessez-le-feu et des pauses humanitaires. Mais cela pourrait avoir une autre conséquence non moins inquiétante : si les échanges de tirs entre le Hezbollah et les forces israéliennes de l’autre côté de la frontière libanaise se transforment en une confrontation à grande échelle, cela sera dû non pas à une décision du Hezbollah ou de l’Iran, qui cherchent à contenir toute escalade dans les limites actuelles, mais au fait que Netanyahu estime que sa survie politique exige une escalade de cette ampleur.

L’exemple de Arafat

En faisant de l’escalade sa position par défaut, M. Netanyahu emprunte la tactique de « fuite en avant » mise au point par son ennemi juré de toujours, l’ancien président de l’Organisation de libération de la Palestine Yasser Arafat. La fuite en avant de ce dernier est venue en réponse au début de la seconde intifada et au recours aux armes par certains Palestiniens en 2000. Elle a révélé non pas une stratégie préalable, mais plutôt l’absence de stratégie ou d’objectif clairs. Comme je l’avais écrit à l’époque dans une note pour l’International Institute for Strategic Studies, l’ancien président de l’Autorité palestinienne s’est emparé d’un « événement dramatique provoqué par une agence extérieure pour obscurcir et échapper à une situation stratégique difficile puis a cherché à intensifier et à prolonger cet événement comme moyen de gagner la « domination de la crise » et, en fin de compte, d’induire un résultat à son avantage... La réaction instinctive de Arafat a été de maintenir cet avantage, ce qui, dans un sens brut, nécessitait un nombre quotidien de morts ».

Les partisans de l’un ou l’autre s’offusqueront sans doute de cette comparaison avec Arafat, mais il en va de même pour Netanyahu. Sa position rhétorique (appuyée par d’interminables séances de photos avec les troupes) révèle une perception selon laquelle le coût politique interne d’un changement de cap de son gouvernement – la conduite d’opérations militaires sans stratégie de sortie cohérente à Gaza, de l’avis des responsables de l’administration Biden – est considérablement plus élevé que celui du maintien de cette stratégie. Les Israéliens qui estiment que l’absence de réflexion politique claire n’a pas d’importance tant que leur armée procède à une élimination radicale du Hamas sous-estiment les conséquences de l’option par défaut de Netanyahu. Cela est particulièrement évident dans sa politique qui consiste à concentrer les ressources du gouvernement et la majeure partie des unités de l’armée sur l’expansion et la protection d’un mouvement de colons de plus en plus agressif et violent en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est, au prix insupportable payé par les civils israéliens le long de la frontière de Gaza le 7 octobre.

L’évolution de la situation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est montre qu’au-delà de sa survie politique personnelle, son objectif à plus long terme de conserver son poste est à la fois stratégique et durable. En intégrant la rhétorique ultranationaliste de droite, il renforce la conviction qu’Israël doit – et surtout peut – étendre son contrôle sur tous les territoires palestiniens dans le but d’étendre les terres d’Israël « du fleuve à la mer ». En échappant à sa crise politique actuelle par une fuite en avant, M. Netanyahu cache au public israélien que sa détermination à rendre impossible la création d’un État palestinien tout en promettant une paix et une sécurité totales pour les Israéliens représente une quadrature du cercle impossible à réaliser. C’est là le cœur de son option par défaut.

Dissuasion ou encouragement ?

Que M. Netanyahu soit finalement contraint de quitter ses fonctions ou qu’il sorte victorieux de sa bataille politique intérieure, il accentuera considérablement la polarisation de son pays et encouragera ses alliés de droite à s’opposer toujours plus à leurs concitoyens, qu’il s’agisse des deux millions d’Israéliens arabes ou des dissidents juifs. La violence des colons que l’on observe actuellement en Cisjordanie se manifeste déjà de l’autre côté des frontières de 1967. La lutte de M. Netanyahu pour conserver son poste pourrait en fait donner tellement de pouvoir à ses partenaires d’extrême droite qu’il ne sera plus en mesure de se présenter aux partis israéliens plus centristes ou aux gouvernements occidentaux comme un garde-fou.

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Une fois que Arafat s’est enfermé dans sa propre option par défaut, il s’est retrouvé acculé, au sens propre comme au sens figuré. Les troupes israéliennes l’ont assiégé dans son complexe présidentiel à Ramallah de la mi-2002 jusqu’à sa mort en novembre 2004. Entre-temps, le Parlement palestinien a voté la limitation de ses pouvoirs et, plus important encore, la feuille de route pour la paix publiée par le quartette dirigé par les États-Unis en 2003 a subordonné les progrès vers la création d’un État palestinien à des réformes internes et à la garantie de la sécurité d’Israël. Mais rien de tout cela n’a incité Arafat à abandonner son option par défaut.

Le Premier ministre israélien n’en est pas là, mais il paraît enfermé dans une logique similaire. Le déploiement par l’administration Biden d’importants moyens militaires en Méditerranée orientale pourrait bien avoir eu pour but de dissuader le Hezbollah (et l’Iran) d’étendre la guerre de Gaza et de dissuader le gouvernement israélien d’entreprendre une action militaire au-delà de Gaza. Mais il pourrait en fait faire l’inverse : encourager Netanyahu à calculer qu’une escalade militaire dans le Nord est à nouveau son option la moins coûteuse et la plus difficile à mettre en œuvre.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Yezid SAYIGH

Chercheur principal au Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center.

Lors d’une conversation avec son homologue israélien Yoav Gallant, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin aurait exprimé, selon le site d’information Axios, son inquiétude quant au rôle d’Israël dans l’escalade des tensions le long de la frontière avec le Liban, craignant que cela ne conduise à une guerre régionale. Une inquiétude légitime : si, à ce stade, ...

commentaires (5)

Une « analyse » qui dédouane le Hezbollah de toute responsabilité. Qui peut y croire ? .

Scoubidou 1et2

14 h 03, le 17 novembre 2023

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Commentaires (5)

  • Une « analyse » qui dédouane le Hezbollah de toute responsabilité. Qui peut y croire ? .

    Scoubidou 1et2

    14 h 03, le 17 novembre 2023

  • - QUAND LE STRICTE SIONISTE, - FINIT AVEC LE HAMAS, - C,EST LE TOUR DU HEZBOLLAH, - QUI SE TROUVE SUR SA LISTE. - QUI CROIRAIT QUE LE PYGUARGUE, - PAR CRAINTE LUI VEUT DU BIEN, - IL SE TROMPE SUR TOUT LIEN, - QUAND SOUS TABLE ON PARLE ET ARGUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 59, le 16 novembre 2023

  • Sans l'appui nauséabond des Occidentaux, il se serait arrêté depuis longtemps. Il joue peut-être son avenir, mais il ne faut pas oublier que c'est son peuple qui l'a élu... et pendant ce temps, les gens meurent par centaines chaque jour.

    Politiquement incorrect(e)

    19 h 02, le 16 novembre 2023

  • STOP Au nom de l'humanité...Ni pour israel, ni pour la palestine. Pour tous ces humains qui meurent à la pelle. STOP. Pendant que NATANYAHOU est dans son bunker protégé . Pendant que HANIYE et toute la crasse du HAMAS , sont dans leurs palais, villas, résidences ou Hotel ultra luxueux à Quater ou ailleurs...Les civils et même les soldats de part et d'autres ( qui reçoivent des ordres ... Ce sont des HUMAINS ) : Ils meurent pour des intérêts strictement personnels et non avouables. STOP bon sang... Les EUROPEENS et OCCIDENTAUX vous êtes PIRES que l'axe de GUERRE ( iran et cie ) !!!!!!! TFEH

    LE FRANCOPHONE

    18 h 47, le 16 novembre 2023

  • Sans guerre...un chef de guerre n'est plus !

    In Lebanon we (still) Trust

    16 h 56, le 16 novembre 2023

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