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Politique - Entretien

« Les habitants du Sud ont depuis des lustres calibré leur mode de vie sur les réalités de la guerre »

Face à l’escalade des violences entre Israël et le Hezbollah, réminiscences de précédents conflits frontaliers, les Libanais du Sud déploient aujourd’hui comme hier « une écologie de la résistance et de la survie », raconte à « L’OLJ » l’anthropologue Munira Khayyat, auteure d’un ouvrage récent sur ce sujet.

« Les habitants du Sud ont depuis des lustres calibré leur mode de vie sur les réalités de la guerre »

Une bombe au phosphore tirée par Israël sur le Liban-Sud, le 12 novembre 2023. Photo Reuters

Le paradoxe en dit long. La majorité des Libanais se disent opposés à voir la guerre qui fait rage dans la bande de Gaza s’étendre sur leur territoire. Or depuis le 8 octobre, les habitants des zones frontalières avec Israël vivent déjà la réalité d’une guerre qui ne dit pas son nom : déjà 11 civils ont été tués dans des frappes israéliennes, plus de 29 000 personnes ont été déplacées et près de 450 hectares de forêts sont partis en fumée dans des bombardements au phosphore. Dans son livre A Landscape of War, Ecologies or Resistance and Survival in South Lebanon (University of California Press, 2022), l'anthropologue sidonienne Munira Khayyat revient sur les constats d'une recherche effectuée en 2007 sur le quotidien des habitants vivant à proximité de la frontière avec Israël.

Pour L’OLJ, elle analyse les stratégies qu’ils déploient afin que la vie continue de s'infiltrer dans les brèches d'une région en état de guerre.

Vous écrivez qu’au Liban-Sud, « il est impossible de dissocier la guerre et la vie : elles coexistent ». En quoi les échanges actuels de frappes entre Israël et le Hezbollah font resurgir des souvenirs de précédents conflits pour ses habitants ?

Le sud du Liban est traversé par la guerre depuis la « nakba », l’occupation de la Palestine par Israël en 1948. Avec la naissance d’Israël, la frontière tracée de manière arbitraire par les Français et les Britanniques est devenue étanche et le Liban-Sud s’est transformé en une zone marginale en proie à la paupérisation. Et à la violence. Entre 1948 et les années 1970, le Liban-Sud est peu à peu devenu un théâtre d’affrontements, les factions palestiniennes et de la gauche libanaise y menant des actions de guérilla contre Israël, qui répondait en déployant son arsenal militaire contre les civils de la région et leur environnement vital. Un cycle dévastateur pour les locaux : aux violences structurelles de la pauvreté et du sous-développement se sont ajoutées les destructions de la guerre.

En 1978, avec l’invasion israélienne, le Liban-Sud est passé d’un champ de bataille à une terre d’occupation, doublée d’un théâtre de guerre. Depuis, la guerre de 2006 a de nouveau été dévastatrice pour ses habitants et leur environnement. Et voilà que depuis octobre, des frappes israéliennes visent de nouveau le Liban-Sud. Des bombes au phosphore ont notamment dévasté des arbres et des cultures : de mon point de vue, il s’agit de cibler la seule ressource des habitants, la terre, pour rendre la région invivable.

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L’agriculture est en effet l’un des éléments-clés de ce que vous qualifiez d’« écologies de résistance », que vous dites être à la fois « contre la guerre et l’occupation, mais aussi contre la pauvreté, la négligence et l’oppression ».

Depuis sept décennies, les habitants du Liban-Sud ont calibré leur mode de vie pour absorber les réalités de la guerre. Et pour y résister. Ils utilisent eux-mêmes le terme de « résistance » pour parler de leur capacité à rester dans la région malgré les difficultés liées à la guerre. Cela inclut notamment la plantation de tabac. Ils entretiennent avec elle une relation d’amour amer, cette culture symbolisant à la fois leur pauvreté et leur résistance. Tenace, cette plante n’a pas besoin d’irrigation, sa saison ne dure que trois mois et elle pousse sur tout type de terre. L’hiver, ils la vendent à la Régie libanaise des tabacs et tombacs et achètent avec de quoi subvenir à leurs besoins.

Cette stratégie montre aujourd’hui ses limites avec l’effondrement de la livre libanaise, ce qui pousse certains planteurs de tabac à se rediriger vers d’autres cultures pour survivre. D’autres vivent de l’élevage de chèvres, ces bêtes étant trop légères et ne présentant donc pas le risque de faire sauter les mines laissées lors des guerres précédentes tout le long de la frontière. Les bergers laissent ainsi paître leurs troupeaux dans les terrains minés à l’herbe luxuriante. Mais cette activité demeure dangereuse.

De la fumée s'élève le 13 novembre après un tir d'artillerie israélien dans le village de Beit Lif, dans le sud du Liban. Photo AFP

Comment cette résistance quotidienne interagit avec la résistance armée que livre le Hezbollah à la frontière ?

On ne peut pas réduire la résistance au Hezbollah. Le parti de Dieu a réussi à capitaliser sur ses succès militaires pour créer une marque culturelle autour de la Résistance, au point d’en monopoliser le terme. Je lui concède tout à fait sa capacité de résistance militaire et le soutien dont il dispose auprès des habitants du Sud. Mais le Hezbollah a aussi tendance à saisir l’hétérogénéité des expériences de résistance et à les fondre dans un récit univoque. Dans son musée de Mlita par exemple, l’environnement est décrit comme une entité divine protégeant les combattants. Or les locaux évoquent depuis longtemps la portée spirituelle des rivières, des vallées et des arbres les environnant.

Par ailleurs, si le soutien populaire à la Résistance est réel, il faut rappeler qu’il n’est pas forcément conditionné à l’appartenance confessionnelle : le Liban-Sud compte des chiites, des sunnites, des druzes, mais aussi des maronites et des grec-orthodoxes, parmi lesquels beaucoup sont reconnaissants envers le Hezbollah pour sa capacité organisationnelle et militaire. Aujourd’hui, les gens sont à la fois confiants dans les capacités militaires du Hezbollah et anxieux de voir une nouvelle guerre se déclencher, avec la crainte de voir les investissements réalisés depuis la guerre de 2006 partir en fumée. 

Au-delà de la dimension confessionnelle, vous revenez sur la relation complexe qu’entretiennent certains habitants avec le Hezbollah. Dans votre ouvrage, vous mentionnez notamment le cas de Jihad, dont le frère a combattu pour l’ALS et les fils sont aujourd’hui avec le Hezbollah…

À première vue, Jihad ressemble à tous les villageois du Sud pro-Hezbollah.  Ce quadragénaire, patron d’entreprise de matériaux de construction et de sous-traitance, a deux fils qui combattent pour le parti de Dieu. Et pourtant, pendant l’occupation israélienne, son frère était membre de l’Armée du Liban-Sud, supplétive de l’État hébreu dans la région, et lui a travaillé comme technicien dans le nord d’Israël. Avec une étincelle ironique dans les yeux, il dit aujourd’hui qu’« Israël est un pays civilisé, avec des routes dernier cri et des vergers florissants ». C’est une façon de provoquer les gens qui le jugent sur son passé. Ainsi, dans cette zone grise qu’est le Liban-Sud, les gens sont plus réalistes que les habitants de Beyrouth. Cela peut impliquer une certaine fluidité idéologique, car leurs choix sont avant tout conditionnés par une stratégie de survie.

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commentaires (1)

Et que font ces libanais pour manifester leur désaccord avec ce chef de milice vendu qui ne cesse de mettre en danger leur familles et leurs biens, aussitôt qu’il reçoit un ordre d’un pays étranger pour les détruire afin de le laisser gagner les guerres sur leurs cadavres? Ils ont déjà prouvé leur force il n’y a pas si longtemps en l’empêchant d’acheminer des lances roquettes dans leurs villages alors pourquoi ne pas persévérer jusqu’à le chasser vers la Palestine qu’il prétend défendre. Ils subissent alors qu’ils ont la possibilité de l’arrêter dans son élan de destructions et de morts.

Sissi zayyat

13 h 20, le 14 novembre 2023

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Commentaires (1)

  • Et que font ces libanais pour manifester leur désaccord avec ce chef de milice vendu qui ne cesse de mettre en danger leur familles et leurs biens, aussitôt qu’il reçoit un ordre d’un pays étranger pour les détruire afin de le laisser gagner les guerres sur leurs cadavres? Ils ont déjà prouvé leur force il n’y a pas si longtemps en l’empêchant d’acheminer des lances roquettes dans leurs villages alors pourquoi ne pas persévérer jusqu’à le chasser vers la Palestine qu’il prétend défendre. Ils subissent alors qu’ils ont la possibilité de l’arrêter dans son élan de destructions et de morts.

    Sissi zayyat

    13 h 20, le 14 novembre 2023

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