
Une fusée éclairante israélienne tirée au-dessus de Gaza, le 11 novembre 2023. Photo Kenzo TRIBOUILLARD / AFP
La bande de Gaza est aujourd’hui le théâtre d’une lutte sans merci entre Israël et le Hamas. Elle montre une violence inédite, avec une forte montée des destructions et des victimes civiles. Une violence à la hauteur des enjeux, car, à l’évidence, cette guerre constitue un tournant majeur dans l’histoire régionale. Si elle ne pourra se terminer sans une implication massive des puissances régionales et internationales dans la gestion de l’après-guerre, elle peut également, par ses conséquences, mener à une redéfinition des équilibres géopolitiques au Moyen-Orient.
La première question qui se pose est celle des buts réels de cette guerre. Si l’objectif affiché d’Israël est ainsi d’éliminer le Hamas, c’est en effet la question politique, celle de l’après-Hamas, qui pose problème, aucune formation politique palestinienne n’étant, seule, en mesure de remplir le vide potentiel à Gaza, l’Autorité palestinienne y étant, en particulier, largement discréditée. Il faudrait donc trouver une alternative, tout en subvenant aux besoins médicaux, alimentaires, économiques et sociaux de plus de deux millions de gazaouis, réfugiés dans la partie sud de ce territoire minuscule, et dont la partie nord est en train de devenir, du fait des bombardements et des combats, largement inhabitable.
Au-delà des moyens financiers et économiques nécessaires, il faudrait cependant, pour que cette alternative soit viable, qu’elle pose les bases d’une solution « définitive » à la question palestinienne, qui soit perçue comme satisfaisante tant par les Palestiniens que les Israéliens. Il faut donc que les Palestiniens de Cisjordanie y soient associés, et que les Israéliens soient, eux, convaincus que la menace représentée par le Hamas et les organisations identiques serait désormais écartée.
Inconnues
Cette certitude ne pourrait en réalité venir que via une implication régionale arabe et internationale massive, afin de fournir les moyens sécuritaires, politiques et financiers nécessaires pour stabiliser l’enclave de Gaza. Elle nécessiterait une implication de l’Égypte, voisine immédiate de Gaza ; de la Jordanie, dont la population est majoritairement d’origine palestinienne, et qui entretient des liens étroits avec la Cisjordanie ; de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe, qui fourniraient le financement ; ainsi que des États-Unis et des pays européens, qui assureraient la couverture internationale tout en rassurant l’état hébreu.
Un tel scénario de « régionalisation » présente toutefois beaucoup d’inconnues. Il nécessiterait, en premier lieu, que la branche militaire du Hamas cesse, dans les faits, le combat, chose qui est encore loin d’être acquise. Il impliquerait, ensuite, une forte implication des puissances régionales arabes dans la cogestion de la bande de Gaza, ainsi que l’assentiment des Palestiniens à cette intervention. Il implique également de savoir quel degré d’autonomie l’État hébreu accepterait de donner aux palestiniens dans leur ensemble. Et il nécessiterait enfin un vaste consensus arabe, de l’Égypte jusqu’aux états du Golfe, de concert avec Israël, ce qui aboutirait à la mise en place, de facto, d’un grand axe arabo-israélien, de la Méditerranée au Golfe Persique. Mais un tel axe, bâti sur les ruines de Gaza, est-il aujourd’hui envisageable ? Et quel serait le prix demandé pour cela par chacun de ces acteurs – dont l’Égypte, en proie à de fortes difficultés économiques, afin de réaliser cette unanimité ? Cela sans parler du scénario du « transfert » (le déplacement forcé de la population de Gaza), avancé par certains, et qui, au-delà du fait d’être moralement indéfendable, demanderait, là encore, une complicité internationale que l’on peine encore à imaginer.
Quelles intentions ?
Enfin, et surtout, une telle entente, pour qu’elle prenne place sans heurts, nécessiterait l’assentiment implicite d’un acteur essentiel, à savoir l’Iran et ses supplétifs disséminés dans le monde arabe, du Liban à la Syrie et l’Irak, sans oublier le Yémen ainsi que Gaza elle-même. L’Iran, par son déploiement régional, a les moyens d’entraver tout règlement de la question palestinienne, tant par la menace qu’il peut faire planer sur l’ensemble des protagonistes que par le fait qu’il détient, via le Liban, une partie de la carte politique palestinienne (à travers les formations palestiniennes implantées au pays du Cèdre). La question est donc : que veut Téhéran ? Est-il prêt à accepter une telle solution à la question palestinienne, ainsi que la mise en place d’un axe arabo-israélien, laissant « l’axe de la résistance » hors de ce règlement ? Est-il prêt à renoncer à son discours militant propalestinien et panislamique, et demanderait-il en échange un prix politique, économique ou financier, ainsi que, par exemple, une tutelle plus explicite sur des pays comme le Liban et la Syrie ?
Pour Washington et Tel-Aviv, la même question se pose : que veulent ces deux puissances ? Pourraient-elles se satisfaire d’un tel statu quo avec Téhéran, laissant l’Iran dans une position de force enviable au plan régional ? Washington et Tel-Aviv entendent-elles au contraire, au-delà du Hamas, modifier le rapport de forces, et réduire le défi représenté par l'axe pro-iranien, notamment dans l’espace méditerranéen et à proximité immédiate d’Israël ? Pour Israël, une solution « définitive » avec les Palestiniens, qui impliquerait forcément des concessions sécuritaires et politiques importantes, peut-elle réellement être dissociée d’une solution régionale d’ensemble, mêlant tous les acteurs, dont l’Iran ?
En réalité, cela paraît peu probable, et, en ce sens, le Moyen-Orient ainsi que le Liban n’échapperont pas aux conséquences de la guerre à Gaza. De deux choses l’une : soit l’Iran et le tandem israélo-américain se sont déjà entendus, sur le dos des Gazaouis – scénario relativement difficile à imaginer, mais qu’on ne peut écarter, et qui aura des conséquences politiques, en particulier au Liban, où Téhéran réclamerait un prix politique en échange de cette entente. Soit il n’en n’est rien, et ils vont devoir bientôt s’expliquer. Ce qui aura des conséquences militaires directes (et expliquerait l’ampleur des déploiement militaires occidentaux dans la région). Une seule chose est certaine : les Gazaouis ne sont pas seuls dans la tourmente. C’est l’ensemble de la région qui s’approche de l’heure de vérité.
Par Fouad KHOURY-HELOU
Écrivain, économiste et directeur exécutif de « L’Orient-Le Jour ». Il intervient ici en tant que contributeur extérieur à la rédaction.
commentaires (7)
L'iran aura sacrifié les Gazaouis en echange de quoi le Liban aura été delivré a l'Iran et leur milice. Le grand pendant: les chretiens Libanais. Malhereusement ils ne sont mal representés. Il faut que les chretiens s'arment pour proteger leurs droits face au Hezbollah. Pas necessairement pour faire la guerre. Mais pour avoir une certaine dissuasion et ne plus etre cette cible facile. Qu est qui empeche le Hezbollah de decreter demain que le president est Shiite. La constitution? L'entente nationale? Mais il s'en fiche. Lui qui a tenu Israel en haleine, qui a sauvé Assad, fera ce quil desire.
Le Liban d'abord
11 h 37, le 11 novembre 2023