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Lifestyle - Histoires de thérapies

La « guerre des crayons », ou les dangers de l’idéalisation des martyrs (1/2)

Alors que, dans sa rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, cette semaine, il a choisi, en s’inspirant d’un ouvrage intitulé « La guerre des crayons », de parler de la propagande qui a toujours touché les enfants en temps de guerre.

La « guerre des crayons », ou les dangers de l’idéalisation des martyrs (1/2)

La Première Guerre mondiale à travers les illustrations d'enfants parisiens.

La guerre des crayons est le titre d’un livre écrit par une jeune historienne, Manon Pignot, aidée par Roland Beller, un psychiatre psychanalyste, et publié en France en 2004 aux éditions Parigramme. Ce livre contient des milliers de dessins d’enfants parisiens crayonnés entre 1914 et 1918 et conservés au musée de Montmartre, à Paris.

Ces dessins ont été collectés dans deux écoles primaires de garçons du XVIIIe arrondissement de Paris. Que disent ces dessins de l’expérience enfantine de la guerre ?

La Première Guerre mondiale de 1914-1918, la « guerre totale », a causé 10 millions de morts, 20 millions d’invalides, et provoqué des destructions matérielles incalculables. La guerre des tranchées s’est étendue sur 600 km. Elle a entraîné la mort de 300 000 soldats français. 40 000 mutins se sont rebellés, non contre la guerre mais contre leurs conditions de vie exécrables. Stanley Kubrick en a fait en  1957 un film admirable intitulé Les sentiers de la gloire.

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La propagande de l’époque n’a fait aucune mention de cette mutinerie pour ne pas perturber l’idéologie de mobilisation chez le peuple français, en particulier chez les enfants. Cette propagande tournait autour de la honte des Français et de la nécessité de prendre leur revanche en récupérant l’Alsace et la Lorraine. La propagande, terrible, a surtout visé les enfants. Le bourrage de crâne les poussait à haïr l’ennemi. Les dessins montrent un conflit manichéen caricatural opposant la patrie du bien, la France, à l’empire du mal, l’Allemagne.

​Les instruments de la propagande sont présents dans tous les dessins. Ainsi, dans les bandes dessinées de l’époque, comme Bécassine ou Les pieds nickelés, les héros participent à la guerre contre les méchants « boches ». Les jeux et les jouets se transforment en outils de propagande contre l’ennemi qui est le mal incarné. Les rumeurs véhiculent des atrocités comme « les mains coupées » : les Allemands coupent les mains des enfants dans les régions occupées. Les contes de fées sont transformés en contes de guerre et édités en bandes dessinées. Conséquence du discours germanophobe de l’époque, les Allemands sont animalisés. Ils sont ivrognes, sales, goinfres, se nourrissent de bière et de choucroute. Un dessin montre l'empereur Guillaume II devant une tête de cochon qui lui dit : « Plus que ma tête à manger. »

Comme il fallait haïr l’ennemi, il fallait idolâtrer sa patrie. Du côté de la France, la guerre est juste : elle répare l’affront, la honte subie en 1870 par la perte de l’Alsace et la Lorraine. Un dessin montre un soldat français donnant un coup de pied dans les fesses d’un Allemand tenant un traité de paix. Il s’agit donc de refuser la paix tant que l’affront de 1870 n’est pas lavé par la victoire. D’où la tendance à idéaliser les combattants et à en faire des héros.

​Malgré l’horreur des tranchées, où les soldats vivent dans une misère totale, où ils ne sont que de la chair à canon attendant une mort prochaine, certains dessins montrent l’idéalisation des tranchées. L’un illustre un enfant qui frotte les bottes d’un soldat et lui dit : « Monsieur, donnez-m’en un peu de votre terre des tranchées. » Un autre montre une scène de combat à proximité de soldats français qui se reposent, dorment, jouent aux cartes, mangent ou se lavent à l’eau propre. La propagande impacte directement les enfants : « Et toi, petit, que fais-tu pour la victoire ? Car ton père, ton grand frère, ton oncle se battent et meurent pour toi afin que tu n’aies jamais plus à faire la guerre. »

Nous verrons dans le prochain article le poids terrible porté par les enfants du fait de cette mobilisation d’ordre moral.

La guerre des crayons est le titre d’un livre écrit par une jeune historienne, Manon Pignot, aidée par Roland Beller, un psychiatre psychanalyste, et publié en France en 2004 aux éditions Parigramme. Ce livre contient des milliers de dessins d’enfants parisiens crayonnés entre 1914 et 1918 et conservés au musée de Montmartre, à Paris.Ces dessins ont été collectés dans deux écoles...

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