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Nos Lecteurs ont la Parole

La guerre, la mort, le deuil, l’Orientale et moi !

Je devais avoir 15 ans lorsque la guerre a éclaté… À l’époque, à 15 ans, on était encore enfant ! Mon innocence d’adolescente insouciante fut brutalement ébranlée !

Je me rappelle de cette fin d’après- midi comme si c’était hier. Je rentrais de la messe que j’avais servie, légère et insouciante, heureuse d’avoir confié mes peines d’enfant à Dieu, de lui avoir révélé mes ennuis, le priant d’alléger mes soucis, le remerciant pour Sa présence dans mon cœur. Debout, devant la porte d’entrée, mon père, le visage fermé, m’attendait comme si c’était la première fois qu’il me voyait rentrer…

Je me souviens de cette nuit noire, sombre et sinistre, comme si c’était hier. Venue de nulle part et de mille et autres parts, nous fûmes pris sous une pluie de coups de kalachnikovs. Mon père inquiété, angoissé et apeuré se dépêcha de nous regrouper, comme on l’aurait fait pour un troupeau égaré. Il nous compta : cinq enfants, avec maman, cela faisait six êtres tourmentés. Il devait nous protéger. Mon père fut notre seul abri, notre unique lumière… mon gardien, mon soutien pour la vie…

Il se dépêcha de fermer tous les grands volets et nous ordonna de nous asseoir tous à ses côtés. Il nous assigna un angle pour nous installer, comme si notre grande et belle maison était soudain devenue une aire d’imminent danger. De notre coin, bien cachés, nous entendions, venus de dehors, le bruit des mitraillettes et des canons. On discernait les crissements des pneus de camions, les pas empressés et obligés des guerriers… On distinguait leurs hurlements. En un laps de temps, notre rue que nous avons tant aimée s’est vite transformée en un champ de contestations, de batailles et de spéculations. On avait peur et la peur est inquiétante, elle est angoissante. Elle est épreuve, malheur et misère. Elle emporte avec elle des rêves inachevés, des espoirs pulvérisés et des prières du dimanche non exaucées. Le Bon Dieu se serait-il absenté ?

Et, soudain le silence lourd de la nuit noire fut percé par des bombardements sauvages qui résonnaient, de partout, sans répit. On était tous bien accroupis, la tête baissée. On tremblait, on gigotait, on se tortillait. Sans savoir ni comment ni pourquoi, nous percevions la destruction, en maître, régner. Nous sentions l’odeur de la mort sournoisement, froidement s’approcher. Elle nous guettait !

Au loin les sirènes hurlaient, le ciel se remplissait de l’écho assourdissant des explosions. D’un ton grave, mon père nous annonçait le début de la guerre, une guerre atroce qui emportera sur son chemin tout ce qui fut construit. Une guerre où on était pris au piège. La guerre est un fléau qui ne connaît que la destruction, la douleur et la désolation. Une horreur déchaînée où tout semble s’évaporer dans la tempête de la violence, un tourbillon de dévastation et de désespoir qui noyait mes rêves d’adolescente. Barbarie, cruauté, bestialité emportèrent avec elles les rêves de mon père et mon innocence d’enfant… La guerre laisse derrière elle des paysages ravagés, des vies brisées et des plaies entaillées, des cicatrices évidentes qui perdureront à jamais.

Pour mon père, chaque jour était un défi pour nous garder en vie, pour conserver un semblant d’humanité dans un monde devenu inhumain, fait de bouleversement, de dispersion et d’embrouillement. Sa souffrance était grande, omniprésente. Mais il devait de rester fort pour nous protéger, pour nous préserver. Cinq enfants à sauver… Il lui fallait assumer. Son quotidien se transforma en cauchemar, une lutte constante pour notre continuité, pour notre survie, dans de longs et grands moments de totale insécurité.

Les hôpitaux furent surpeuplés de blessés. Le courant électrique fut coupé et l’eau au compte-gouttes comptée. Les réserves alimentaires commençaient à s’épuiser. Écoles et universités étaient fermées. Autrefois, un soudain congé scolaire était empreint de joie et d’insouciance. Mais en temps de guerre, il devient intrusion, agression et indifférence.

Le premier bombardement frappa notre paisible rue de manière improvisée. Des explosions ont secoué la maison, brisant les fenêtres et projetant des éclats de verre dans toutes les directions. D’un calme infaillible, mon père nous fit signe de ne pas bouger. J’étais capable d’arrêter de respirer si seulement ces sinistres pouvaient cesser… Les jours qui suivirent ne furent rien d’autre qu’un cyclone d’affliction, de chaos et de destruction. Les histoires d’horreur soufflaient comme un vent glacial, des vies brisées, des destins cassés, tragiques et fatals. Les bombardements résonnaient comme des éclairs de colère dans le ciel, illuminant les rues de la mort imminente. Les explosions faisaient trembler la terre, fracassant les bâtiments en des nuages de poussière et de débris. Les maisons s’effondrèrent en tas de gravats.

Aidé par nos voisins, mon père nous fabriqua un abri de circonstance. C’est dans ce terrier que notre existence fut réduite : des bougies allumées, des murmures d’espoir à des prières et à l’attente angoissée de chaque nouveau bombardement. Des inconnus risquaient leur vie pour aider les blessés, partageaient leur maigre nourriture avec ceux qui avaient tout perdu et s’unissaient pour résister à l’obscurité qui menaçait de nous engloutir. Les jours se transformaient en semaines, puis en mois. Chaque jour apportait son lot de nouvelles tragédies, les pertes insupportables sans relâche se succédaient. Les rues étaient jonchées de débris, les bâtiments en ruines servaient de tombeaux aux victimes de cette guerre impitoyable. Les histoires d’horreur se propageaient, les récits de familles entières décimées, des voisins emportés par le chaos, de vies, à jamais, brisées. Demain tardait à arriver.

À 15 ans, malgré mon innocence d’enfant, je compris que l’être humain est capable de perdre toute humanité. En tant de guerre, il est prêt à nier toute empathie, à rejeter toute tolérance, à réfuter toute obligeance. Il devient tel un animal féroce, affamé, sorti de sa cage, prêt à tuer. Et des tueries, il y en a eu par milliers. J’ai vu des cadavres traîner, des blessés agoniser, des brûlés étouffer…

On n’oublie pas la guerre. Elle est tragédie. Elle laisse ses profondes plaies gravées dans les mémoires et les âmes. Elle laisse surtout un goût d’amertume, un sentiment de dégoût, de la douleur, un deuil qu’on n’arrivera jamais à dépasser. Et de ce deuil, on ne s’en remet jamais !

Mon père, mon héros, s’en alla compter des fleurs au paradis… Son cœur succomba aux atrocités de la guerre. Il avait tout perdu… la guerre l’avait démoli.

Gaza, comme moi, orpheline endolorie, tu hurles ta douleur infinie. Tu pleures un père parti. Tu gémis tes blessures, tes cassures et les ruptures. Tu recenses tes martyrs dans un monde où l’humanité entière semble devenue sourde-muette aux souffrances que tu subis. Tes enfants sont devenus des anges au paradis, tes hommes des graines de blé tombées sur une terre, de leur sang, fleurie. Tu n’as plus de maison pour t’abriter ni de pain pour manger. Tu es jetée à la rue, errante, perdue, ravagée, égarée… Mais du sein de ta dévastation, tu montres au monde entier, unité, courage et solidarité. Tu te découvres pour dévoiler l’Orientale qui souffre, qui agonise, mais qui demeure malgré ses blessures debout, fière, digne et honorable malgré l’abandon, la négligence et l’omission. Gaza, je pleure mon invalidité, mon insuffisance et ma lâcheté. Je regrette mon impuissance, ma médiocrité et ma déficience pour ramasser avec toi obscénités, éclaboussures, crimes et impuretés.

Tu es l’Orientale qui se bat pour la vérité, qui réclame sa souveraineté, son indépendance et son autorité ! Une Orientale n’a pas peur, elle avance, elle a Dieu dans son cœur…

Et dans les veines de l’Orientale coulera jusqu’à l’éternité le sang de la liberté.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je devais avoir 15 ans lorsque la guerre a éclaté… À l’époque, à 15 ans, on était encore enfant ! Mon innocence d’adolescente insouciante fut brutalement ébranlée ! Je me rappelle de cette fin d’après- midi comme si c’était hier. Je rentrais de la messe que j’avais servie, légère et insouciante, heureuse d’avoir confié mes peines d’enfant à Dieu, de lui...

commentaires (1)

Merci pour cet écrit plein d'émotion et si partagé et vécu à 15 ans, votre peine est tellement ressentie à des kilomètres de distance, je vous envoie tous mes voeux pour retrouver cette paix intérieure qui vous a permis de vous rappeler et transcrire ces moments terribles. Paix à votre père qui vous a fait hériter cette intériorité que vous exprimez.

MIRAPRA

21 h 07, le 01 novembre 2023

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Commentaires (1)

  • Merci pour cet écrit plein d'émotion et si partagé et vécu à 15 ans, votre peine est tellement ressentie à des kilomètres de distance, je vous envoie tous mes voeux pour retrouver cette paix intérieure qui vous a permis de vous rappeler et transcrire ces moments terribles. Paix à votre père qui vous a fait hériter cette intériorité que vous exprimez.

    MIRAPRA

    21 h 07, le 01 novembre 2023

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