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Idées - Commentaire

Le Hezbollah prisonnier du dilemme de Gaza

Le Hezbollah prisonnier du dilemme de Gaza

Obsèques de deux combattants du Hezbollah tués par des frappes israéliennes, à Khirbet Selm, au Liban, le 10 octobre 2023. Mahmoud Zayyat/AFP

Depuis l’attaque du Hamas contre des villes israéliennes le 7 octobre, et les bombardements et opérations militaires israéliens qui ont suivi à l’intérieur et autour de Gaza, la réponse du Hezbollah dans le sud du Liban a été essentiellement modérée. Si tout le monde s’attend à ce qu’il y ait une escalade si Israël commence son invasion terrestre de Gaza afin d’atteindre son objectif d’éradiquer le Hamas, compte tenu de l’histoire récente du Hezbollah, cette escalade pourrait être plus forcée que voulue.

Depuis 2019, le parti chiite a renforcé son alliance avec le Hamas, le Jihad islamique palestinien et d’autres groupes soutenus par l’Iran au Moyen-Orient, afin de renforcer sa capacité de dissuasion à l’égard d’Israël. Une coordination plus large entre ces groupes implique de s’engager dans un conflit sur plusieurs fronts si Israël franchit certaines « lignes rouges ». La première d’entre elles est la violation du caractère sacré des sites religieux de Jérusalem, notamment la mosquée al-Aqsa.

Le Hezbollah a également aidé ses partenaires à développer leurs capacités militaires, notamment en perfectionnant leur utilisation des drones et en améliorant leurs tactiques militaires. À première vue, l’attaque du Hamas du 7 octobre a confirmé le succès de la menace du Hezbollah d’occuper des villes israéliennes lors d’une future guerre avec Israël. Le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a menacé dès février 2011 d’attaquer des villes israéliennes, bien que cette option ait été présentée avec plus d’assurance en 2019.

Calibrage minutieux

Le Hezbollah a dû se rendre compte qu’Israël serait vulnérable à de telles attaques, mais ce qui s’est passé le 7 octobre, avec le meurtre de centaines de civils israéliens, a dû provoquer un sentiment d’enfermement au sein du parti. Le Hezbollah a démontré qu’il comprenait l’équilibre des forces dans son conflit avec Israël, après quatre décennies d’expérience et le coût élevé de la guerre de 2006. L’interaction du parti avec Israël repose sur un calibrage minutieux tenant compte des calculs politiques israéliens, des capacités militaires du Hezbollah et des facteurs géopolitiques. L’acceptation effective et l’absence de réaction du parti face à des années de frappes aériennes israéliennes contre les positions du Hezbollah en Syrie en sont un signe. Lorsque le conflit en Syrie s’est apaisé en 2017, c’est la compréhension par le parti de l’approche peu encline au risque du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de son comportement interne polarisant qui l’a conduit à essayer de retravailler les règles d’engagement avec Israël, en jouant un rôle plus important dans le soutien au Hamas et au Jihad islamique.

Seul l’avenir dira dans quelle mesure le Hezbollah était au courant des détails de l’attaque du Hamas. Toutefois, l’ampleur de l’opération et le nombre élevé de victimes civiles sont des anomalies dans le bilan récent de l’Iran et de ses alliés, qui ont tendance à progresser lentement et prudemment, comme s’ils tissaient un tapis persan. Il est certain que certains éléments de l’attaque avaient déjà été mis en évidence par le Hezbollah, dans sa rhétorique et dans le cadre de ses options de dissuasion. Même l’aspect sécuritaire de l’opération, avec le passage du Hamas à un mode de communication plus sûr au sein du réseau des participants, a montré des signes de coopération avec le Hezbollah, qui possède une expertise dans ce domaine.

Depuis 2006, le Hezbollah a travaillé méticuleusement au renforcement de ses capacités militaires en augmentant considérablement sa puissance de feu, en développant une capacité de missiles et de drones guidés avec précision et en adoptant des tactiques navales. Le parti de Dieu a ainsi considérablement diversifié ses capacités de dissuasion, tout en devenant un acteur régional beaucoup plus important, par exemple en participant au conflit syrien aux côtés du régime du président Bachar el-Assad. Pour le Hezbollah, l’alliance avec le Hamas et le Jihad islamique dans le cadre de la stratégie de « l’unité des fronts » représente un autre niveau de dissuasion et une manifestation de son rôle régional.

Dans ce contexte, le Hezbollah s’est appuyé sur la volonté de Netanyahu d’accepter des nuances de violence à sa frontière nord pour modifier les règles d’engagement au Liban-Sud. Par exemple, des factions palestiniennes ont lancé des tirs de roquettes limités et se sont infiltrées en territoire israélien au cours de l’année écoulée, et Israël a réagi à plusieurs reprises avec retenue. Il l’a fait à la fois pour respecter ces règles d’engagement en évolution et pour éviter une conflagration plus large. Le coût en a été relativement faible.

Sur le plan politique, l’alliance du Hezbollah avec le Hamas et le Jihad islamique est devenue partie intégrante de la rhétorique du parti, donnant à Nasrallah et à l’Iran une place de premier plan dans la bataille pour la protection d’al-Aqsa. L’Iran et ses alliés ont ainsi eu l’occasion de se racheter après leur approche plus sectaire de l’après-2003 en Irak et du conflit syrien. Le Hamas, qui a combattu du côté des rebelles en Syrie et s’est brouillé avec le Hezbollah et l’Iran, souligne à présent le rôle de ce dernier dans la protection d’al-Aqsa. L’alliance est également une réponse politique aux accords d’Abraham et à leur promesse de remodeler le Moyen-Orient et de redéfinir la géopolitique de la région.

Décision israélienne

Permettre la disparition du Hamas à Gaza coûterait cher à l’Iran et au Hezbollah en termes de moral, et les redéfinirait comme étant principalement centrés sur les intérêts chiites, avec un agenda strictement confessionnel. Le Hamas montre déjà des signes de détresse face à la réaction relativement limitée du Hezbollah aux bombardements à Gaza. Mais plus important encore pour le Hezbollah, une défaite du Hamas ne détruirait pas seulement la stratégie de « l’unité des fronts », qui est déjà un fardeau, mais exposerait également les limites de ses capacités de dissuasion, ce qui ramènerait effectivement le Hezbollah au niveau où il se trouvait en 2006. En outre, les attentats du 7 octobre pourraient pousser Israël à adopter à nouveau une action militaire préventive comme élément central de sa stratégie défensive, ce qui signifie qu’un conflit écrasant avec le Hezbollah pourrait n’être qu’une question de temps.

Malgré cela, le Hezbollah souhaite éviter un conflit total au Liban, étant donné les implications pour sa position politique dans un pays en crise. Il préfère plutôt une escalade graduelle, avec l’objectif désormais difficile d’arrêter une invasion terrestre israélienne de Gaza. Cependant, le parti sait qu’il ne peut pas contrôler le résultat de ses actions, puisque les guerres de 1993, 1996 et 2006 étaient toutes des opérations israéliennes visant à dissuader le Hezbollah ou à le détruire. L’élargissement de la guerre de Gaza au Liban est en fin de compte une décision israélienne.

Aujourd’hui, le Hezbollah est pris dans un piège qu’il a en grande partie lui-même créé, avec des enjeux importants qui peuvent avoir des conséquences potentiellement dévastatrices. Les alliances du parti, qui devaient constituer un autre niveau de dissuasion, l’ont au contraire exposé à des niveaux d’escalade militaire qu’il s’est efforcé d’éviter depuis 2006.

Ce texte est disponible en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Par Mohanad HAGE ALI

Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism and Political Islam » (Palgrave, 2017).

Depuis l’attaque du Hamas contre des villes israéliennes le 7 octobre, et les bombardements et opérations militaires israéliens qui ont suivi à l’intérieur et autour de Gaza, la réponse du Hezbollah dans le sud du Liban a été essentiellement modérée. Si tout le monde s’attend à ce qu’il y ait une escalade si Israël commence son invasion terrestre de Gaza afin d’atteindre son...

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