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Israël-Palestine, entre déni et surenchère

Deux bribes de conversation entendues la semaine dernière, à quelques jours d’intervalle : dans la première, un homme répond de manière cinglante à une femme qui se lamente que le Hamas s’en soit pris à des civils. – « Bien fait pour eux. Ils n’avaient qu’à ne pas venir s’installer en Israël... » Dans la seconde, une simple phrase : « Mes pensées accompagnent l’armée israélienne... » Rien de moins !

On aimerait croire qu’une majorité de Libanais se situent entre ces deux marges, mais y a-t-il un moyen de s’en assurer ? Non, bien entendu. Et si ce n’est guère le cas, ces deux façons de penser donnent une idée des difficultés qu’aura encore à affronter le Liban pour pouvoir accéder au statut de pays plus ou moins « normal ».

En écho à ces sorties primaires, examinons le débat ultramédiatisé sur les réseaux sociaux entre deux sommités américaines, professeurs à Princeton et Harvard (excusez du peu), le philosophe Cornel West et le juriste Alan Dershowitz. Le premier, tout en condamnant les atteintes aux civils de part et d’autre, donne le sentiment qu’il cherche à justifier l’action du Hamas, en invoquant le contexte d’occupation israélienne. Le second veut établir une distinction entre un massacre de civils perpétré de sang-froid et des « dommages collatéraux » provoqués lors d’une offensive militaire. Un discours qui répond à une certaine logique, certes, mais qui irrite au plus haut point les tenants d’une démarche gauchisante consistant à trouver des circonstances atténuantes à la « guerre des pauvres » et aggravantes à la « guerre des riches ».

Au final, les deux ont raison, chacun à sa manière. Mais les deux ont tort, surtout, autant que nos spécimens libanais de tantôt. Le philosophe parce qu’il ne laisse entrevoir qu’une partie du contexte et dissimule soigneusement l’autre. La moitié qu’il éclaire est incarnée par l’occupation. Elle est là, clairement, indiscutablement, peu importe la forme qu’elle prend. Il est vrai que les soldats israéliens ont évacué la bande de Gaza en 2005, mais l’étau construit depuis lors autour de cette minuscule enclave surpeuplée est proprement terrifiant, plus liberticide encore qu’une présence physique sur le territoire. Sauf que, de son côté, le Hamas n’est pas étranger à cette situation, lui qui prend en otage depuis de longues années une population entière et déclenche régulièrement des cycles de violence plus absurdes les uns que les autres, sans perspective, sans horizon, sans aucun lien avec l’objectif de parvenir enfin à la création d’un État palestinien libre, indépendant et crédible. Dans la droite ligne de la tradition de surenchère qui a marqué le conflit israélo-arabe depuis le début, la démarche du Hamas relève bien davantage du bras de fer interpalestinien et régional que de l’engagement à servir la cause palestinienne. Cela aussi fait partie du contexte, professeur West !

Quant à l’éminent juriste, s’il a beau jeu de souligner le visage hideux que présente une organisation comme le Hamas, il passe totalement à côté du sujet lorsqu’il présente les choses comme si Israël était une victime innocente agressée par un monstre. Il est vrai que l’attaque du samedi 7 octobre, baptisée « Déluge d’al-Aqsa », tient, dans sa nature, du Bataclan ou du 11-Septembre plutôt que d’une démarche militaire. C’est ce qui explique d’ailleurs qu’elle s’inscrit uniquement dans une logique de surenchère et n’a pas de valeur opérationnelle. Mais, pour autant, professeur Dershowitz, cela n’autorise pas l’État hébreu à jouer le rôle de l’innocent « bataclanisé »…

Le déni est la pire des arrogances. Voilà des lustres qu’Israël est dans le déni. Ce n’est pas parce que vos adversaires sont moins brillants que vous que vous aurez toujours raison. Ce n’est pas parce que beaucoup d’entre eux sont des tyrans, des fanatiques, des corrompus, des imbéciles, ou les quatre à la fois, que vous aurez le droit de faire mourir à petit feu une cause initialement juste sans payer le moindre prix politique. Un de vos Premiers ministres, pourtant faucon parmi les faucons, avait fini par comprendre cela dans les années quatre-vingt-dix. Combien d’entre vous, à l’ombre d’une société qui se droitise à outrance, se sont presque réjouis de son assassinat par l’un des vôtres ? Certes, vous enchaînez les succès, sur tous les plans. Vous avez édifié un puissant État high-tech, mais un État high-tech qui colonise, et colonise et colonise encore… Vous voudriez anéantir l’autre par inanition, par évaporation, comme s’il n’avait jamais existé, simplement pour ne rien avoir à débourser…

Il y a toujours, dans les tiroirs des chancelleries, un plan de paix qui repose au milieu de l’oubli général. Ce plan, le seul plus ou moins réaliste à l’époque de son adoption, au début du millénaire, prévoit, sur la base des frontières de 1967, la juxtaposition de deux États, côte à côte, sur la terre de la Palestine historique. Avec l’aide objective des extrémistes de tous poils, les Israéliens ont réussi à le rendre moribond.

Le Liban, s’il n’avait pas trahi sa vocation de héraut du vivre-ensemble amoureux de la paix, aurait pu être de ceux qui contribueraient à le ressusciter.

Deux bribes de conversation entendues la semaine dernière, à quelques jours d’intervalle : dans la première, un homme répond de manière cinglante à une femme qui se lamente que le Hamas s’en soit pris à des civils. – « Bien fait pour eux. Ils n’avaient qu’à ne pas venir s’installer en Israël... » Dans la seconde, une simple phrase : « Mes pensées...

commentaires (6)

"Il est vrai que l’attaque du samedi 7 octobre, baptisée « Déluge d’al-Aqsa », tient, dans sa nature, du Bataclan ou du 11-Septembre plutôt que d’une démarche militaire. C’est ce qui explique d’ailleurs qu’elle s’inscrit uniquement dans une logique de surenchère et n’a pas de valeur opérationnelle". Oui. Je l'ai écrit il y a quelques jours ( https://www.cdr.tf/post/gaza-et-la-guerre-en-israël ) et je suis bien malheureux d'avoir raison comme Elie FAYAD sans doute. Mais à qui profite le crime? La différence avec les précédents conflits c'est le travail de coordination entre un front Sud tenu par le Hamas et un front Nord tenu par le Hezbollah; les deux étant manipulés par un vrai pays qui est l'Iran. Car c'est la République Islamique d'Iran qui tire les marrons du feu actuellement, pour le plus grand malheur des Palestiniens et des Libanais. L'Iran parvient ainsi sans pertes pour lui à ce jour à pirater l'accord qui pouvait avancer entre l'Arabie Saoudite et Israël. Affaire à suivre...

CODANI Didier

23 h 04, le 17 octobre 2023

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Commentaires (6)

  • "Il est vrai que l’attaque du samedi 7 octobre, baptisée « Déluge d’al-Aqsa », tient, dans sa nature, du Bataclan ou du 11-Septembre plutôt que d’une démarche militaire. C’est ce qui explique d’ailleurs qu’elle s’inscrit uniquement dans une logique de surenchère et n’a pas de valeur opérationnelle". Oui. Je l'ai écrit il y a quelques jours ( https://www.cdr.tf/post/gaza-et-la-guerre-en-israël ) et je suis bien malheureux d'avoir raison comme Elie FAYAD sans doute. Mais à qui profite le crime? La différence avec les précédents conflits c'est le travail de coordination entre un front Sud tenu par le Hamas et un front Nord tenu par le Hezbollah; les deux étant manipulés par un vrai pays qui est l'Iran. Car c'est la République Islamique d'Iran qui tire les marrons du feu actuellement, pour le plus grand malheur des Palestiniens et des Libanais. L'Iran parvient ainsi sans pertes pour lui à ce jour à pirater l'accord qui pouvait avancer entre l'Arabie Saoudite et Israël. Affaire à suivre...

    CODANI Didier

    23 h 04, le 17 octobre 2023

  • Et si en France, on pouvait avoir les mêmes propos de la part de nos politiciens… un État high-tech qui colonise, colonise et colonise encore… Ils Oublient de rendre coupable Israël de se donner le droit de faire mourir à petit feu des peuples et de leur voler des terres qui ne sont pas à eux…

    Dulche&Tixier Gérald

    19 h 25, le 17 octobre 2023

  • Bien dit Elie Fayard. Votre éditorial est d’une finesse accusatrice à tous niveaux.

    Mohamed Melhem

    14 h 05, le 17 octobre 2023

  • La dernière phrase de votre article, monsieur Fayad, illumine comme rarement il m'arrive de lire, même sur votre remarquable journal, ce qui me semble l'essence de votre Pays et sa tâche par rapport à l'État ébreux (et peut-être aussi la raison pour laquelle ses dirigeants n'aiment pas beaucoup le Liban). claudio (lecteur suisse)

    claudio mésoniat

    03 h 17, le 17 octobre 2023

  • TA part Ishac Rabin, tous les dirigeants israéliens on eu pour objectif d'engloutir la totalité de la Palestine, en dépit de tous les faux-semblants et simulacres de négociations de paix. Ce n'était que poudre aux yeux pour faire plaisir aux benêts qui y croyaient. Le salami se savoure en tranches fines et non pas en mordant à pleines dents....

    Joseph ADJADJ

    00 h 59, le 17 octobre 2023

  • La réalité est que le "déménagement" des habitants de la partie nord de Gaza est le prélude à une reprise en main défiintive de cette partie VIDEE de ses habitants est vouée à être prise par Israël comme "dédommagement" pour les massacres du 7 octobre. La théorie du salami se vérifie dans les faits. D'abord on vide le nord pour "éliminer complètement" le Hamas puis on empêchera les habitants de revenir dans leurs maisons, tout comme en 1948. La tranche suivante du salami sera de vider la partie sud de Gaza pour des raisons qui seront mises en place par la suite pour justifier ce changement. Ensuite, viendra le tour de la Cis-Jodanie avec les mêmes méthodes. Il ne faut jamais oublier que pendant 2000 ans, le peuple Juif a dit à chaque célébration de Pessah "L'année prochane à Jàrusalem". Il aura suffi, pour consommer le salami, d'empêcher le monde arabe et particulièrement les Palestiniens de pouvoir avoir un plan statégique à long terme; corruption et avidité...

    Joseph ADJADJ

    00 h 52, le 17 octobre 2023

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