Issam Abdallah faisait partie de la génération du 17-Octobre. Celle qui voulait en finir avec le Liban d’avant, celui de la guerre et des milices, des petits arrangements et du communautarisme. Vendredi 13 octobre, le journaliste de Reuters a été tué par des frappes israéliennes ciblant la région de Alma el-Chaab, au Liban-Sud. Sur les vidéos qui précèdent les frappes, l’on voit un groupe de journalistes clairement identifiés en tant que tels et rien d’autre à l’horizon. Rien, a priori, susceptible de justifier que le lieu ait été ciblé, à part la présence de ces soldats de l’information, dont six ont été par ailleurs blessés. Israël est capable de viser des cibles en mouvement avec une précision redoutable, comme il l’a prouvé à de multiples reprises en Syrie ces dernières années. Peut-on croire alors à la possibilité d’une bavure ? Elle paraît d’autant moins probable que l’État hébreu a de sérieux antécédents en la matière. Selon l’ONG américaine Comité pour la protection des journalistes, Israël a tué 20 journalistes palestiniens entre 2000 et 2022. Outre Issam Abdallah, 10 journalistes palestiniens ont été également tués depuis le début de l’opération israélienne sur Gaza.
Le Hezbollah a réagi de façon virulente à la mort de Issam Abdallah, accusant Israël d’en être à l’origine et dénonçant la « partialité et l’aveuglement volontaires de l’ONU, de la Finul, du porte-parole de la Maison-Blanche, de Reuters et de plusieurs autres médias qui se sont sciemment interdit de citer la partie responsable ». Sous le coup de l’émotion, l’on en oublierait presque que le parti de Dieu est accusé d’avoir assassiné nombre d’intellectuels, de journalistes ou d’hommes politiques ces deux dernières décennies.
S’il n’était si tragique, tout cet épisode pourrait prêter à sourire tant il résume ce qu’est devenu le Liban en 2023 : un non-État dans un non-pays, qui déclare la guerre aux homosexuels et aux réfugiés syriens, mais dont toute la petitesse éclate au grand jour quand il s’agit de décider ou au moins d’empêcher le Hezbollah de décider s’il va entrer en guerre (une vraie, cette fois-ci) contre l’armée la plus puissante de la région, soutenue par l’armée la plus puissante au monde.
Dans tout ce malheur, la séquence actuelle a au moins un mérite : celui de dépeindre un tableau du Liban, dépouillé de toutes ses fioritures, dans sa vérité la plus crue(elle). Plus rien ne compte, ni le gouvernement de pacotille dont le Premier ministre sortant admet lui-même son impuissance face au risque de guerre, ni l’autoproclamée opposition qui passe son temps à faire de la surenchère anti-Hezbollah, mais qui, dans le moment le plus important, assiste en spectatrice à la prise en otage de tout un pays par le parti-milice, ni les calculs d’épicier des uns et des autres trop occupés à défendre leurs petits intérêts pour éviter au Liban de se précipiter vers l’abîme.
Nous sommes entre le marteau israélien et l’enclume du Hezbollah. Et dans ce piège infernal, nous n’avons ni État ni hommes d’État pour nous protéger.
C’est Ali Khamenei, sur les conseils de Hassan Nasrallah et de ses autres éminences grises, qui va décider si le Liban va être ou non détruit pour la « cause iranienne » dans les prochaines semaines. Et nous aurons beau nous apitoyer sur notre sort, convoquer l’histoire et la géographie, accuser l’Occident et les Arabes de nous avoir abandonnés, insulter Israël qui n’aura aucune pitié pour le Liban, nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Car c’est nous, Libanais, par peur ou par opportunisme, qui avons livré le pays au Hezbollah. Et c’est nous qui acceptons aujourd’hui de le laisser décider de notre sort sans réagir.
The opposition members and leaders are doing their job. Not sure why you’re blaming them.
17 h 42, le 16 octobre 2023