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Société - Portrait

Gisèle Khoury, Beyrouthine intra-muros

La journaliste est décédée dimanche matin, à 62 ans, des suites d’une maladie. Son combat pour la liberté au Liban et dans la région, à travers la Fondation Samir Kassir, lui survit.

Gisèle Khoury, Beyrouthine intra-muros

« Treize ans d’impunité… J’attendrai… » écrivait Gisèle Khoury dans un post sur Twitter (nouvellement X) le 2 juin 2018, en référence à l’absence d’enquête sur l’assassinat de son mari Samir Kassir le 2 juin 2005. Photo reprise du compte X de feue Gisèle Khoury

« Pour Gisèle, Beyrouthine extra-muros. » C’est en ces termes que le journaliste et écrivain Samir Kassir dédie à Gisèle Khoury son plus grand succès littéraire, Histoire de Beyrouth, publié en 2003. En privé, la dédicace est autre : « Je t’offre ma vie, m’a-t-il dit après en avoir terminé la rédaction », nous confiait la journaliste et réalisatrice en 2015 lors d’un entretien. « “Extra-muros” car, si je suis née à Beyrouth, je vivais à l’époque en dehors de la capitale », expliquait-elle. En revanche, « lui était intra-muros ». D’ailleurs, « si Beyrouth avait été un pays, il aurait été beyrouthin. Néanmoins, il trouvait en moi un prototype de la femme beyrouthine ».

Dix-huit ans après l’assassinat de Samir Kassir le 2 juin 2005 au cœur d’Achrafieh, Gisèle Khoury, sa veuve, l’a rejoint vers d’autres cieux dimanche 15 octobre, à 62 ans, des suites d’une maladie. Décédée dans sa maison familiale à Akaybé, dans le Kesrouan, elle laisse derrière elle deux enfants, Rana et Marwan, et trois petits-enfants. Mais elle lègue aussi son combat pour la liberté au Liban et dans la région, qu’elle avait institutionnalisé en 2006 à travers la Fondation Samir Kassir pour la liberté d’expression et la démocratisation de l’accès à la culture.

« Ma vengeance, je la prends chaque jour à travers la Fondation », admettait-elle en 2015 à L’OLJ. Une vengeance car aucune justice n’a rendu compte de l’assassinat de son mari dans un Liban « pas assez grand pour lui », s’écriait-elle lors des funérailles de l’éditorialiste du quotidien an-Nahar.

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Si Gisèle Khoury se considérait elle-même comme pouvant « facilement être extra-muros », elle avait Beyrouth dans le sang. Fatiguée, mais de cette douceur déterminée que ses interlocuteurs connaissent bien, Gisèle fond en larmes à l’évocation de la capitale libanaise « qu’on ne laisse pas tranquille » dans l’émission Conversations avec Ricardo Karam diffusée le 10 octobre. Des larmes qu’elle essuie rapidement, avant de marteler : « Beyrouth est différente de n’importe quelle autre région. Ici, il y a la liberté sociale et, dans une certaine mesure, la liberté politique. Ici, nous pouvons discuter. »

Femme d’Orient

La liberté du débat pour une liberté tout court, pour laquelle Gisèle Khoury a combattu en public, mais aussi en privé. « Nous allons donner, et toi en particulier – car je suis la femme en Orient –, une leçon de liberté à la jeunesse », lui avait déclaré Samir Kassir en lui demandant sa main, racontait-elle en 2015 dans ce même entretien. Tous deux divorcés, avec chacun deux enfants à charge, le couple officialise ainsi une relation vécue jusqu’alors hors mariage. « À beaucoup de moments de faiblesse, je disais que je ne pouvais plus être cette femme fatale sans légaliser cette relation. Mais, au final, c’est lui qui a sauté le pas. »

Dix « heureux » mois d’une vie maritale arrêtée de manière abrupte. Héraut du« printemps de Beyrouth » de 2005, suite à l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri le 14 février de la même année, Samir Kassir avait fait de sa plume une arme contre les pourfendeurs de la liberté au Liban et en Syrie. « Sa gaffe était d’être confiant fin avril 2005 lorsque les troupes syriennes se sont retirées du Liban et les chefs des services de renseignements libanais ont démissionné. En réalité, je crois que c’est à ce moment-là qu’il était le plus en danger. Il m’avait dit “Je suis ressuscité”. Le criminel pense différemment… » se souvenait-elle.

Gisèle Khoury lors de la remise du prix Samir Kassir en 2015. Photo reprise du compte Facebook de Samir Kassir Award

Mais la pensée de Samir Kassir, et par extension celle de Gisèle Khoury, survit à travers la Fondation Samir Kassir et ses deux principaux volets – le centre SKeyes pour la liberté de la presse et de la culture, fondé en 2007, et le festival Printemps de Beyrouth, lancé en 2009 –, mais aussi grâce au Prix Samir Kassir pour la liberté de la presse créé par l’Union européenne en 2006. « Notre combat persiste. Nous voulons un Liban démocratique, libre et moderne, et le Libanais est ouvert à cette modernité beaucoup plus que d’autres », assurait la présidente de la fondation.

Show must go on

Décorée en 2012 des insignes d’officier des Arts et des Lettres et en 2019 des insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par l’ambassade de France au Liban, Gisèle Khoury s’était déjà engagée « en faveur de la liberté et du renouveau de l’esprit critique dans le monde arabe », déclarait-elle dans un discours, avant l’assassinat de son époux. Journaliste passionnée et figure médiatique régionale, Gisèle Khoury s’est de fait rapidement trouvé une vocation de journaliste politique, après ses débuts en 1986 à la LBCI en tant que présentatrice d’émissions culturelles. Dès 1992, elle passe ainsi à la politique via son show Hiwar el-Omr qu’elle animera jusqu’en 2001, avant de rejoindre le groupe régional MBC et de contribuer au lancement de la chaîne d’information en continu al-Arabiya, changeant par là la face des médias dans la région, et sur laquelle elle anime un talk-show politique de 2003 à 2013. Elle rejoint ensuite la BBC arabe où elle enchaîne les entretiens avec de grands dirigeants politiques internationaux.

Depuis 2020, Gisèle Khoury tenait une émission hebdomadaire sur Sky News Arabia, y analysant les développements politiques de la région et du monde. Elle avait également cofondé la maison de production de documentaires « Rawi » avec son amie journaliste Sahar Baassiri. « Une vie jalonnée de luttes, d’engagements et de réalisations », a écrit SKeyes dimanche matin lors de l’annonce du décès de la journaliste. Ayman Mhanna, directeur exécutif de ce centre, soulignait à L’OLJ que « la suite sera difficile, mais Gisèle voulait toujours aller de l’avant, donc c’est ce que nous allons faire ». Dans un entretien à L’OLJ en 2014, Gisèle Khoury s’amusait à rédiger son épitaphe : « Ici repose Gisèle Azzi, connue sous le nom de Khoury. Son show est terminé. » Certes. Mais certainement pas son combat.

« Pour Gisèle, Beyrouthine extra-muros. » C’est en ces termes que le journaliste et écrivain Samir Kassir dédie à Gisèle Khoury son plus grand succès littéraire, Histoire de Beyrouth, publié en 2003. En privé, la dédicace est autre : « Je t’offre ma vie, m’a-t-il dit après en avoir terminé la rédaction », nous confiait la journaliste et réalisatrice en 2015 lors d’un...

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Noha Baz

15 h 38, le 16 octobre 2023

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Commentaires (4)

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    Noha Baz

    15 h 38, le 16 octobre 2023

  • Repose en paix Gisèle. Ton combat, ainsi que celui de Samir, ne sont pas vains. Un jour le printemps reviendra sur Beyrouth et sur le Liban!

    Joseph KHOURY

    07 h 55, le 16 octobre 2023

  • Paix à son âme.

    LE FRANCOPHONE

    21 h 55, le 15 octobre 2023

  • Repose en paix Gisèle, toi qui n'a jamais baissé les bras et dont le combat nous inspire toutes!

    DOUMET Rima

    20 h 05, le 15 octobre 2023

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