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Lifestyle - Rencontre

Dr Sandrine Atallah : Parlons peu, parlons sexe

Deux ans après son retrait médiatique, la première sexologue libanaise, colauréate avec Gaëlle Bou Ghannam du Prix FFE 2023, revient pour « L’Orient-Le Jour » sur ses frustrations liées à l’hypersexualisation du corps des femmes à l’antenne et sa répulsion vis-à-vis de la vague d’obscurantisme dans le pays. 

Dr Sandrine Atallah : Parlons peu, parlons sexe

Sandrine Atallah a les mots et l'audace qu'il faut. Photo Jad ABOU JAOUDÉ

« Vous avez une voix très sexy. » À cet instant, Sandrine Atallah comprend qu’elle a été piégée. Invitée pour parler d’éducation sexuelle, elle ne récoltera que remarques sexistes et moqueries déplacées… Le 7 mars 2021, la MTV diffuse en direct et en prime-time un nouveau numéro de son talk-show de divertissement hebdomadaire Aa Gher Kawkab (« Sur une autre planète »). Présentée par Pierre Rabbat, l’émission aux coups de sang réguliers dérape quand la médecin sexologue fait son entrée sur le plateau. « Ils ne voulaient pas du tout parler du sujet pour lequel j’étais conviée. Ils n’ont fait que questionner ma personne, ma profession, le fait que j’existe ! » 

Deux ans après cet accrochage télé, le Dr Atallah, toujours choquée par l’attitude de ces hommes de plus de quarante ans à l’humour d’adolescent prépubère, refuse désormais toute invitation. Ce regard condescendant assorti de misogynie, la première sexologue libanaise y a fait face pendant plusieurs années. Malgré les minimes progrès récents, elle continue de dénoncer le traitement des médias vis-à-vis des femmes. Mais que signifie être une femme sexologue au Liban ? Dr Sandrine Atallah, longtemps aux premières loges des débats télévisuels enflammés, apporte quelques éléments de réponses.

Du sexe de LBC à… al-Manar

Les années 1990 à 2000, propices au changement et à la diversité des contenus dans les médias audiovisuels, brisent un à un les tabous liés au corps et aux genres dans un Liban perpétuellement en crise. Entre talk-shows engagés, concepts modernes et intervenants militants, le chemin était déjà bien débroussaillé pour Sandrine Atallah qui fait sa première apparition sur la LBC en 2010 dans l’émission Lezim Taaref (« Tu dois savoir »). Alors âgée de 30 ans, la tout juste diplômée – elle a fait des études de médecine au Liban puis 3 ans d’études de sexologie en France – parle librement de plaisir, de fantasmes féminins et d’autres envies. Et tente, avec un langage technique mais simplifié, de démystifier les questions liées au désir. Les téléspectateurs de la chaîne, plus habitués aux témoignages fantasques d’anonymes masqués en deuxième partie de soirée, découvrent alors une jeune femme qui veut les décomplexer. « Au départ, comme beaucoup d’autres médecins, je voulais simplement faire connaître ma clinique, mettre un peu de lumière sur mon travail », avoue le Dr Atallah qui verra ensuite se multiplier les invitations sur divers plateaux de la LBC donc – ou elle coprésente Lezim Taaref pendant deux saisons – jusqu’à… al-Manar. Malgré les condamnations des députés les plus conservateurs et les moqueries d'humoristes en panne d’idées, rien ne semble ébranler la liberté brandie par les télévisions privées. « Les critiques ont évolué avec le temps mais nous avons fait comprendre aux Libanais que parler de sexe pouvait se faire de manière instructive et non pornographique », juge la sexologue. Homosexualité, bisexualité, transidentité, fétichisme et Kama Sutra, Sandrine Atallah ne se met aucune limite et affirme n’avoir accepté aucun compromis. Sur les diverses plateformes mises à sa disposition, elle enchaîne les monologues explicatifs pour « une meilleure vie sexuelle » avec un discours féministe assumé.

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Speakerines et fantasmes

Mais à l’ère des réseaux sociaux, les chroniques et les interventions de la spécialiste prennent une autre dimension. Au creux de la décennie 2010, les clics se multiplient, les critiques s’intensifient. Être une femme et parler de sexe de manière aussi décomplexée ? Scandale ! « La frustration sexuelle dans notre pays est immense. Il y en a qui disaient que je les excitais, d’autres qui me traitaient de tous les noms. Et ça ne s’arrêtera pas de sitôt », déplore la sexologue et hypnothérapeute qui énumère les raisons pour lesquelles les médias traditionnels continuent de servir la soupe au patriarcat et à ses dérivés. Ces problématiques – l’objectivation et l’hypersexualisation du corps de la femme –, la plus célèbre des sexologues les met souvent en avant lors des différentes conférences et tables rondes auxquelles elle participe. « Figurez-vous que je reçois des hommes qui me confient se masturber en fantasmant sur des speakerines. D’autres qui viennent de pays arabes ultraconservateurs et m’avouent être toujours en érection pendant leur passage au Liban parce que les femmes s’habillent plus librement. » Telle est la réalité de notre région. Et le fantasme de la « femme objet que la télévision libanaise contribue à perpétuer » est toujours aussi vivace, selon Dr Atallah qui dit à demi-mot avoir réajusté sa garde-robe, « plus pudique désormais. » Quid de la liberté des femmes à se présenter comme elles le veulent ? « Je n’ai rien contre le botox ou les décolletés, mais la réalité, c'est qu’on ne voit que ça ! On ne demande pas aux hommes de montrer leurs pecs en permanence ! » 

Allô, docteur Sandrine ?

Dans sa clinique beyrouthine où se délient toutes les langues trois jours par semaine, la quadragénaire hyperactive se démène pour expliquer ses positions et l’importance de parler cash, de parler sexe. Autrefois plus libertaire, la télévision libanaise, « miroir de sa société », se cache aujourd’hui derrière les clichés faciles et les émissions provocatrices où les polémiques deviennent synonymes de succès. « À quoi bon m’afficher sur les écrans ? J’ai déjà ma notoriété et je n’ai plus de temps à perdre », affirme Sandrine Atallah, smartphone à la main. Quand on a plus d’un demi-million d’abonnés sur Instagram, on peut comprendre. Si elle ne ferme pas complètement la porte pour, un jour, animer une nouvelle émission, la sexologue a fixé ses conditions : aucune censure.

« Vous avez une voix très sexy. » À cet instant, Sandrine Atallah comprend qu’elle a été piégée. Invitée pour parler d’éducation sexuelle, elle ne récoltera que remarques sexistes et moqueries déplacées… Le 7 mars 2021, la MTV diffuse en direct et en prime-time un nouveau numéro de son talk-show de divertissement hebdomadaire Aa Gher Kawkab (« Sur une autre...

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