J’ai été réveillé samedi matin par une série de messages envoyés par mon père. « Tu ne suis pas ce qui est en train de se passer ? C’est sans précédent depuis 1973 ! » En me précipitant sur les informations, j’ai compris qu’il faisait référence à l’offensive surprise lancée par le Hamas contre Israël le matin même. « Tu exagères », lui ai-je tout de suite répondu. Comment une énième escalade entre le Hamas et Israël pourrait-elle être comparable à une guerre menée simultanément par Sadate et Hafez el-Assad il y a exactement 50 ans ? Autant le dire tout de suite : j’avais tort.
Personne n’avait anticipé l’ampleur de ce qui s’est passé samedi. Personne n’imaginait que le Hamas soit capable de mener une telle opération, bombardant les territoires israéliens et s’infiltrant dans le même temps dans plusieurs localités, faisant des centaines de morts, des milliers de blessés et prenant des dizaines d’otages. Personne n’imaginait une telle faillite de l’appareil sécuritaro-militaire israélien, l’État hébreu donnant un sentiment de fragilité sans équivalent depuis au moins… 1973.
Il y aura un avant et un après 7 octobre 2023, pour les Israéliens, pour les Palestiniens, et pour toute la région. Ce n’est pas que les rapports de force entre les différents acteurs ont fondamentalement évolué, mais plutôt que toutes les digues ont sauté et que tout le monde va devoir recalibrer sa position à partir de ce postulat.
Le Hamas a réalisé un coup de force sans précédent dans l’histoire de son mouvement. Son offensive risque d’être perçue comme un « exploit » dans l'ensemble du monde arabe, où la supériorité israélienne est vécue comme un traumatisme collectif. Le mouvement islamiste va désormais se présenter comme le seul défenseur local de la cause palestinienne éliminant de facto un Fateh en fin de vie. Le 7 octobre enfonce ainsi le dernier clou dans le cercueil d’Oslo.
Si le Hamas a pu surprendre de la sorte son ennemi israélien, il le doit sans doute à son rapprochement avec le Hezbollah et l’Iran. Après des années de brouille en raison de la guerre syrienne, la relation semble être plus solide que jamais, en témoigne le fait qu’une partie des dirigeants du mouvement se soit installée au Liban. Le Hamas est-il devenu un pur proxy iranien, à l’instar du Jihad islamique, et la décision de l’attaque a-t-elle ainsi été prise à Téhéran ? Le centre de commandement de l’opération se situe-t-il au Liban ? Pour l’instant, ce ne sont que des hypothèses mais qui paraissent plausibles compte tenu du contexte. L’opération est clairement marquée du sceau de « l’axe de la Résistance ». L’Iran en sort, pour le moment, lui aussi renforcé en se positionnant comme le seul parrain de la cause palestinienne et en rappelant que tout accord de paix susceptible de modifier la géopolitique régionale devra passer par lui.
L’attaque semble en effet avoir tué dans l'œuf, au moins à court terme, le processus de normalisation israélo-saoudien. Le royaume ne peut pas signer la paix avec un Israël qui va sans doute réduire Gaza en cendres et se montrer plus radical que jamais vis-à-vis des Palestiniens. L’Arabie saoudite et ses rêves de transformer le Moyen-Orient en une « nouvelle Europe » se retrouve coincée entre un « axe de la Résistance » sous parapluie iranien dont le cœur du projet consiste à faire peser une menace permanente de déstabilisation sur la région et un Israël dirigé par une coalition d’extrême droite qui rêve d’effacer au sens propre et figuré toute présence palestinienne entre la Méditerranée orientale et la Jordanie. Mohammad ben Salmane va être contraint de revoir ses calculs pour exister dans cette équation.
Benjamin Netanyahu, lui, l’insubmersible Premier ministre israélien, le « Monsieur sécurité » rétif à la guerre qui a tout fait pour dépolitiser la question palestinienne, vient de vivre la plus grande débâcle de sa carrière politique. Il est déjà perçu en Israël comme le grand responsable de cette faillite qui va lui valoir des attaques de tous les côtés, en particulier des plus radicaux au sein de son propre gouvernement. Comment répondre à un tel affront ? Couper les ailes du Hamas, en supprimant un nombre important de ses combattants, ne suffira pas à réinstaurer la capacité de dissuasion israélienne. Se lancer dans une guerre d’élimination du mouvement islamiste, semblable à l’opération Galilée en 1982 au Liban, paraît extrêmement complexe. Comment annihiler le Hamas d’un territoire aussi dense et aussi favorable à son combat contre l’État hébreu que ne l’est la bande de Gaza ? Israël a vécu le 7 octobre comme son 11-Septembre et sa riposte a de grandes chances d'être la copie du modèle de son allié américain. Parce qu’il n’a rien à offrir sur le plan politique, le gouvernement Netanyahu va répondre par un déchaînement de violence et de haine à Gaza et ailleurs avec l’approbation de la communauté internationale. Non seulement cela ne réglera rien, mais cela devrait en plus fragiliser l’alliance avec les pays arabes et donner encore plus d’écho à la rhétorique belliciste de « l’axe de la Résistance ».
Israël est en plus sous la menace de l’ouverture d’un second front à la frontière avec le Liban. Le Hezbollah va-t-il sauter le pas et ainsi entraîner toute la région dans une escalade incontrôlable ? Le parti chiite et son parrain iranien doivent être tentés d’asséner un nouveau coup à un Israël affaibli à un moment où ils ont tous les deux besoin d’un regain de légitimité, mais une telle opération pourrait être extrêmement coûteuse pour lui et pour le Liban. « L’axe de la Résistance » peut se satisfaire du déroulé des événements pour le moment et conserver cette option pour un second temps. Pour passer à l'action, il devra sans doute être convaincu en amont qu’il dispose d’une certaine légitimité à le faire tant au Liban que dans le monde arabe et surtout qu’il est en capacité d’imposer un nouveau rapport de force à Israël. Même Téhéran ne peut risquer la destruction du Liban, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, sans obtenir en contrepartie quelque chose de conséquent.
Et la cause palestinienne dans tout cela ? L’opération du Hamas va aboutir à la destruction de Gaza, à l'accélération de la colonisation israélienne et à la mort de milliers, si ce n’est plus, de Palestiniens. Prise en otage par l’Iran, la cause palestinienne va être ramenée des décennies en arrière tant les images des atrocités commises samedi par le Hamas sur des civils risquent de marquer les opinions publiques occidentales.
Et c’est bien là le plus grand drame – au-delà de la mort des civils d’un côté comme de l’autre – de cette séquence. Israël tue, colonise, emprisonne, enferme des Palestiniens quasiment en toute impunité depuis des décennies et ne leur laisse aucune autre alternative que la violence pour espérer vivre un jour avec dignité sur cette terre trois fois sainte. Le Hamas offre aujourd’hui à la fois la seule et la pire réponse à cette humiliation. Parce qu’il porte un projet de société rétrograde, parce qu’il tient la bande de Gaza par la propagande et par la terreur, parce qu’il fait passer les intérêts du mouvement avant ceux des Palestiniens, parce qu’il paraît de plus en plus dépendant des desiderata de Téhéran, le Hamas est un cancer pour la cause palestinienne. Mais rien ne nourrit plus ce cancer que l’arrogance et le mépris d’Israël.
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LA LIBRE EXPRESSION
13 h 01, le 09 octobre 2023