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Nos Lecteurs ont la Parole

Écouter les histoires des patients

Nos patients ont des histoires à nous raconter, donnons-leur le temps d’en parler, prenons le temps de les écouter !

Écouter l’histoire des patients n’est pas une pratique récente, elle existe depuis Hippocrate. C’est ainsi que débattre de l’importance d’écouter et de laisser les patients « raconter » leurs histoires aurait été déplacé au XIXe siècle par exemple. À l’époque, le médecin généraliste était au cœur des soins de santé ; il se déplaçait à domicile, était l’ami de la famille, entrait dans leur intimité et leur quotidien. Il pourrait ainsi nous raconter des milliers d’histoires, toutes chargées d’émotions, de douleur, de joie, d’espoir…

Tout a commencé pour moi en 2015 dans un café de San Francisco, où chaque matin, et durant six longs mois, je m’y installais pour travailler en admirant le pont iconique m’imbiber de la culture et du mode de vie des habitants de cette ville, à la fois attirante et intrigante, la ville du « tout est permis », tout en dégustant un succulent caffè latté bien chaud.

Ce matin-là, une dame d’une quarantaine d’années, belle et élancée, que je n’avais jamais vue auparavant tapotait sur son ordinateur en discutant virtuellement avec une personne qui m’avait semblé être une femme : elle donnerait bientôt une « wellness retreat ». Étant moi-même en quête d’une oreille attentive et empathique, ce concept résonna en moi. Je commence alors à naviguer sur le web jusqu’à tomber sur le terme « mindfulness », un autre nouveau terme pour moi, puis sur une formation en « Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) », réservée aux professionnels de santé à l’UCSF (University of California San Francisco). C’est ainsi donc que je découvre des disciplines jusque-là étrangères pour moi : le « mindfulness », ou la pleine conscience, et par la suite la médecine narrative, devenues aujourd’hui toutes deux ma passion. Je ne suis donc pas une experte en la matière, mais tout simplement une passionnée, curieuse d’en savoir plus.

Qu’est-ce qu’une histoire ? Et quels sont ses effets sur le cerveau ?

Une histoire est une série de faits liés et agencés en phrases pour former un paragraphe, plusieurs paragraphes agencés en texte, tout en respectant une certaine chronologie et une suite dans les idées. Depuis l’Antiquité, l’histoire s’est avérée être un bon outil de communication pour transmettre des informations, partager des valeurs et tisser des liens entre les êtres humains, ces créatures sociales en contact permanent avec des personnes connues ou étrangères. Naturellement, nous aimons les histoires, surtout celles chargées d’émotions, car elles peuvent nous faire rire, comme elles peuvent nous faire pleurer. Elles nous aident à changer nos attitudes, nos opinions, nos comportements. Elles nous inspirent pour développer de nouvelles idées et vivre de nouvelles expériences. Nos vies ne sont donc qu’une série d’histoires.

Les effets bénéfiques du « storytelling » sur le développement de l’empathie ont été démontrés en 2013 par un neuroscientifique, Paul Zak. En réalisant des IRM cérébrales fonctionnelles simultanément au narrateur et aux personnes qui l’écoutaient, il avait noté que le cerveau du narrateur et ceux de l’audience réagissaient exactement de façon identique, mais avec un certain retard pour les personnes qui écoutaient par rapport au narrateur (effet miroir) ; cela serait à l’origine du développement de l’empathie vis-à-vis d’autrui. Il avait également remarqué qu’à l’opposé des faits isolés et des chiffres qui n’activaient qu’une région minuscule du cerveau, les informations transmises par l’histoire activaient presque toutes les régions du cerveau. C’est ainsi qu’en fonction du genre (triste ou gai, stressant ou non, etc.) et de la qualité émotionnelle de l’histoire, il y a une sécrétion plus ou moins importante des hormones de stress et neurotransmetteurs, entre autres la dopamine, importante pour la mémoire. C’est ainsi qu’on se souvient à long terme, plus précisément des histoires chargées d’émotions, plus que des chiffres et des faits isolés. On peut penser par exemple aux histoires de nos amis, de nos patients ou même d’inconnus, liées à la pandémie de coronavirus ou bien à la double explosion au port de Beyrouth, qu’on va se remémorer plus facilement et plus longtemps que les chiffres relatifs à ces évènements.

La médecine narrative, c’est quoi au juste ? Qu’apporte-t-elle de plus et à qui ?

Quand une histoire tourne autour de la médecine et/ou tout sujet relatif à la santé, qu’elle soit l’expérience du professionnel de santé lui-même, du patient ou d’un membre de sa famille, on parle alors de médecine narrative. Apparu en 2000, ce terme revient à la Dr Rita Charon (Université de Columbia), pionnière de la discipline. Je me considère chanceuse d’avoir participé à son workshop de trois jours en octobre 2019, juste avant le début de la pandémie : c’est en l’écoutant que j’ai compris qu’être présent avec le patient était primordial pour une relation médecin-patient de confiance.

Selon la Dr Charon, les médecins d’aujourd’hui sont comme aveuglés par le progrès de la science et de la médecine et par l’accessibilité à la technologie, et ont tendance à oublier que les patients sont des êtres humains, ayant chacun sa propre histoire et une relation unique avec la maladie. Pour rendre à la pratique de la médecine son côté humain, développer l’empathie chez le clinicien et améliorer ses interactions et sa relation avec son patient, l’approche de la Dr Charon est de passer de « comment traiter cette pathologie » à « que désire réellement mon patient ». Selon l’experte, cela serait possible en permettant au patient de partager ses émotions et raconter son histoire au-delà de ses symptômes, ainsi que par la pratique de la médecine narrative par les professionnels de santé. Acquérir des compétences narratives et écrire les histoires des patients ont un impact positif sur le patient, mais également sur la prévention du

« burnout » du professionnel ; écrire nous permet de reconnaître et analyser nos propres émotions vis-à-vis de la maladie, la souffrance et la mort.

Donnons donc le temps nécessaire à notre patient de raconter son histoire, d’exprimer ses désirs et ses émotions. Prenons le temps de l’écouter attentivement, d’absorber, d’interpréter et d’écrire son histoire.

Fondatrice et présidente de LAMSA, ONG libanaise pour la promotion de la santé mentale et le bien-être des jeunes

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Nos patients ont des histoires à nous raconter, donnons-leur le temps d’en parler, prenons le temps de les écouter ! Écouter l’histoire des patients n’est pas une pratique récente, elle existe depuis Hippocrate. C’est ainsi que débattre de l’importance d’écouter et de laisser les patients « raconter » leurs histoires aurait été déplacé au XIXe siècle...

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