
Nathalie Masri et Nadyn Chalhoub en mode Coffee Break. Photo DR
L’interview accordée par les créatrices de Coffee Break (@coffeebreakchannel) est un sketch en soi, presque aussi drôle et délicieux que le plaisir de découvrir chacun de leur post sur les réseaux sociaux. Elles y abordent sur un ton décalé et distant tous les sujets ubuesques qui décrivent la situation libanaise. Les politiciens, les histoires à l’ordre du jour, l’absurdité de nos vies, notre éducation familiale, avec une grande part de lucidité et d’ironie. Depuis sa création en 2017, Coffee Break a pris de l’essor (64 000 followers), mais Nadyn Chalhoub et Nathalie Masri n’ont jamais pris la grosse tête. La particularité de ce binôme est que chacune des deux femmes possède un style propre et leur point commun est de puiser leur créativité artistique à la jonction de leurs deux caractères et d’en créer un seul univers artistique dans un même langage. Un va-et-vient entre fiction (le monde de Barbie) et réalité (le monde de Riad Salamé) brouille les pistes et s’affranchit des règles. Réalisées à deux cerveaux et à deux voix, elles signent dans un équilibre parfait leur double performance.
Timides dans la vie
Depuis leurs premiers pas dans cette scène de comédie particulière, Nadyn Chalhoub et Nathalie Masri ont réussi à sublimer la noirceur du quotidien en y mêlant une grande part de poésie. Marchant en parfaites équilibristes sur un fil tendu, elles ne basculent jamais dans le vulgaire, le voyeurisme ou le réchauffé. Chacune à sa manière stimule l’autre. Différentes, elles se complètent, jouant chacune à son tour le rôle de l’arbitre ou celui du public. Souvent Nathalie est celle qui pose le problème et laisse à Nadyn le soin d’analyser et d’élaborer. Nathalie est « comme dans la vie », toujours en crise existentielle. Elle cherche tout et tout le temps. « Elle peut, confie Nadyn, chercher tout aussi bien ses clés que sa raison de vivre, sa carte de crédit que son identité. Il y a toujours dans sa vie une quête d’ordre spirituel et une autre d’ordre trivial. » « Ma mère prie pour moi, précise Nathalie sans sourciller. Elle sert de médiatrice entre moi et le bon Dieu, c’est pour cela que je trouve toujours le bon chemin. Je récupère mes clés grâce à saint Antoine avec qui elle a de très bons rapports et ma sérénité grâce à Jésus qu’elle fréquente assidument. » Issues toutes les deux du monde de la publicité, elles se sont rencontrées dans le cadre professionnel, sont toutes les deux mamans, Nathalie d’un adolescent de 13 ans et Nadyn de deux enfants (3 ans et 3 mois). Au quotidien Nadyn est très drôle ou très noire et Nathalie est son public numéro un. « Quand personne ne rigole de mes blagues, dit Nadyn, j’appelle Nathalie » et celle-ci de reprendre : « Je trouve toujours du positivisme dans son humour noir. »
Elles avouent cependant être timides dans la vie. « On rase les murs dans les espaces publics, on ne sait pas recueillir un compliment », mais elles fonctionnent à l’intuition. « Il nous arrive souvent, disent-elles en chœur, d’être inspirées par notre entourage. » Nadyn confie que sa mère est sa muse : « C’est d’elle que j’ai hérité mon humour noir. Je m’inspire aussi de ses erreurs et essaie de ne jamais les reproduire. » « Ce qui nous inspire, ajoute Nathalie, c’est l’état d’esprit collectif dans le pays, qui est aussi le nôtre. Si on ressent le besoin de râler c’est que tout le Liban a un désir de râler. On se fie juste à notre intuition et à la vie quotidienne. »
On ne parlera jamais du 4 -Août
Depuis la création de leur page il y a quelques années, rien n’a changé pour Coffee Break ; toujours le même humour, avec une froideur et un grand sérieux, le même rythme, la même modestie, la même élégance dans la raillerie. Jamais d’excès de vitesse, jamais de provocations, égales à elles-mêmes, délicieuses et drôles, sauf qu’elles avouent aborder les choses avec plus de sérieux.
Nathalie Masri et Nadyn Chalhoub préfèrent en rire et nous faire rire. Photo DR
Prendre du recul, être sélectives, visionner les vidéos plus d’une fois et quelquefois ne pas aller plus loin que le montage. « À nos débuts, nous postions pratiquement tout, mais plus maintenant. Le public a droit au meilleur. Alors nous réfléchissons à l’avenir de Coffee Break, où veut-on l’emmener ? Peut-être qu’un un jour on foulera les planches de la scène, qui sait ? » Quant au budget que les filles s’octroient, il est quasi nul. « Nous avons les mêmes perruques depuis nos débuts. Nous les avions achetées quand la valeur du dollar était de 1 500 livres libanaises ! » « Une étiquette de 6 000 LL traîne encore, dit l’une d’entre elles. Imagine les poux qu’on s’attrape quand on les porte », lancent-elles en chœur.
Lorsque nous abordons le sujet de l'autocensure, celui des interdits et les thèmes qu’il ne faut surtout pas brandir, il y en a un seul qui, pour elles, est une ligne rouge, à vie, « c’est le 4-Août ». Elles avouent parler de tout, à leur façon c’est-à-dire toujours au deuxième degré, mais n’aborderont jamais ce sujet. « Nous ne sommes pas toujours comprises. Certaines personnes ne captent pas notre humour, se demandent où réside la blague exactement ; il arrive même que des politiciens ne réalisent pas que c’est d’eux dont il s’agit dans le post. »
Le secret de leur réussite c’est d’abord d’être à deux et de se comprendre immédiatement. Lorsque l’une est en mode « panne », l’autre intervient directement et vice versa. C’est ensuite l’autodérision, essentielle car « si on ne sait pas se moquer de soi-même on est incapable de se moquer des autres, enfin du moins de ceux qui le méritent, et au Liban les sujets sont variés ». Sans oublier un talent d’observation, très féminin, et une légèreté face à la pesanteur de la vie… Coffee Break, une pause-café, un pari gagnant à suivre absolument.
commentaires (3)
Je m'étonne que l'OLJ ait laissé passé des commentaires insultants notamment à l'égard de leurs invités. Ne pas oublier que le rire est le propre de l'Homme et l'une des dernières bouées d'humanité dans notre Liban face à l'animosité ambiante.
stop béton
22 h 20, le 03 octobre 2023