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Culture - Rentrée littéraire

Eva Ionesco, le mal du mâle

Avec « La bague au doigt », elle signe l’ouvrage le plus sulfureux de cette rentrée littéraire. Longtemps muse d’hommes au profil discutable, Eva Ionesco brise enfin l’omerta autour de sa relation chaotique avec l’écrivain Simon Liberati. Pour « L’Orient-Le Jour », elle explique pourquoi il était important de rendre des comptes.

Eva Ionesco, le mal du mâle

L’autrice et réalisatrice française Eva Ionesco à Paris en septembre 2017. Joël Saget/AFP

Elle est actrice, cinéaste et princesse de la nuit déchue, rongée par ses souvenirs. Il est un poète et écrivain multirécompensé, noyé dans ses excès. L’idylle aurait pu être des plus fantasques, mais elle se termina dans le sang. Le 15 février 2021, un appel d’Eva Ionesco à la police signe la fin demeurée d’une histoire où passion rime avec trahison. Quelques mois après l’avoir poursuivie avec une hache, Simon Liberati, son mari, est à terre, blessé. Elle vient de l’attaquer avec une fourche dans un accès de colère. C’est l’incident de trop pour ce couple qui, depuis des années, se déchire à coups d’insultes salées et de menaces répétées. « On n’a écouté que sa version des faits. Les agressions de Simon n’ont jamais été expliquées », raconte aujourd’hui Ionesco, exaspérée de voir cette affaire étouffée par la justice. Car l’histoire de ce duo star des rentrées littéraires ne peut être classifiée comme un fait divers banal. Les médias parisiens en parlent comme d’une descente en enfer attendue. Crises d’ego, jalousies et bains de larmes, l’histoire est attrayante, romanesque.

On les décrit comme la sulfureuse et le provocateur, comme Sartre et Beauvoir – moins l’engagement – s’ils sortaient sniffer de la cocaïne au Studio 54. « J’ai dû quitter Paris pendant plus d’un an, tout le monde me regardait comme une paria sans pour autant connaître toute l’histoire », indique à L’Orient-Le Jour celle qui se voit mise sous astreinte judiciaire. Avec La bague au doigt (éditions Laffont), l’un des succès de cette rentrée littéraire, Eva Ionesco souhaite remettre les pendules à l’heure, mais surtout se réapproprier sa fantasmagorique histoire qui, pendant quarante ans, a été racontée sous tous ses angles et ses aspects par des hommes qui ont profité d’une fragilité qu’elle ne souhaite évoquer qu’en pointillé. « Ce livre n’est pas un règlement de comptes, pas un acte de vengeance, juste la réalité que personne n’a voulu entendre », répète l’autrice de 58 ans, en insistant sur le pitch de cet ouvrage : l’amour. Mais peut-on aimer jusqu’à vouloir détruire autrui ? « C’est la question que je me pose… »

Anatomie d’une chute

Quand Eva Ionesco tombe sous le charme de Simon Liberati en 2013, ses fastes années parisiennes sont déjà bien derrière elle. Elle vient de réaliser My Little Princess, long-métrage avec Isabelle Huppert retraçant son enfance faite de drames et de malveillance.

Eva Ionesco, Anamaria Vartolomei et Isabelle Huppert au Festival de Cannes 2011 pour présenter « My Little Princess ». Photo AFP

« Petite, ma mère ne me voyait qu’au travers de la photographie, c’était la condition de notre relation », confesse la célèbre blonde qui, dès quatre ans, est exploitée par son aînée pour des fins dites « artistiques ». Devant sa caméra, elle pose presque dénudée, n’est vue que par le prisme criminel de sa génitrice qui la met en danger et la prive de tout sens de normalité. Jeune, trop jeune, elle est exposée à un monde où l’hypersexualisation et l’érotisation des corps sont encouragées et où l’alcool coule à flots. À 13 ans, elle est accro à l’héroïne et se voit mise à l’écart de ses parents qui perdent sa garde. Trois ans plus tard, elle fréquente le Palace et autres boîtes de nuit du faubourg Saint-Honoré, rencontre Christian Louboutin et pose nue pour Pierre et Gilles, Playboy et Penthouse.

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La fin des années 1970, libératrices jusqu’à l’écœurement, est synonyme de démesure et de soirées où se mêlent drogues dures, sexe et paillettes à outrance. Celles où elle répond aux fantasmes cinématographiques de Roman Polanski, Patrice Chéreau ou encore Catherine Corsini. Réalisateurs qui jouent ostensiblement avec les scandales qui font et défont ceux qui les entourent feront d’elle une figure sombre, encore plus incomprise. Parce que le mystère cultive le mythe. Au même moment, en 1978, ses malheurs inspirent même un certain Louis Malle qui déconstruit son enfance pour en faire un film avec Brooke Shields. « Toute mon existence a été des montagnes russes, j’ai tout vu, tout connu. Les agressions, la nuit et la violence », révèle Ionesco avec une imperturbabilité déconcertante. Après une « première vie » de remous, l’actrice ne connaîtra l’apaisement qu’à l’aube de la cinquantaine. Jusqu’à sa rencontre avec Liberati, figure intellectuelle aussi lue que contestée.

Ô rage !

Cette relation couleur menthe à l’eau qu’entretiennent deux écorchés vifs est d’abord décrite comme presque banale. Un engouement adolescent pour quinquagénaires teinté de quelque peu de cynisme. Sorties mondaines, soirées privées et best-sellers à la pelle, le gotha parisien admire deux âmes qui semblent enfin s’être apaisées l’une l’autre. Mais pour Simon Liberati, l’amour a un prix, celui des souvenirs bien croustillants de sa compagne qu’il souhaite absolument mettre en avant dans un livre. En 2015, deux ans après le début de leur relation, il sort Eva et retrace la jeunesse brisée d’Ionesco qui accepte de participer au projet. « Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert qu’il ne voulait que dépouiller mon vécu. Quand j’ai écrit mes deux premiers livres, les choses ont viscéralement changé. J’ai pris de la place et ça le dérangeait », conte l’autrice d’Innocence et des Enfants de la nuit. 

En contraste avec l’apparente légèreté de ses récits autobiographiques, Liberati, en manque d’inspiration et maladivement jaloux du succès que rencontre sa femme, « est allé chercher la noirceur pour pouvoir l’écrire ». Il affiche ainsi une mégalomanie destructrice de plus en plus poussée, abuse de stupéfiants et d’alcool, se rapproche d’Alain Soral, prend la défense de Gabriel Matzneff et affiche sa liaison avec la fiancée du fils de son épouse. Rien que ça. Des excès de folies que sa maison d’édition encourage presque. 

Simon Liberati et Eva Ionesco en 2015 au Shangri-La Hotel, à Paris. Photo AFP

En publiant Performance, son dernier roman, accueilli favorablement par la presse et lauréat du prix Renaudot 2022, un succès critique et populaire est assuré au profit d’Ionesco qu’elle délaisse. « Ça ne gênait personne ! Cet homme qui raconte la destruction d’une femme et son admiration des très jeunes filles ne questionnait pas », martèle Eva Ionesco qui répond et explique, au travers de ses écrits cash, souvent crus, les abus dont elle a été victime. Un mot qu’elle a du mal à prononcer.

Battante, pas militante

« Entre nous, il n’y aura personne, il n’y aura même pas toi », disait Liberati à Ionesco avant leurs noces. Les frasques et les tentations de celui-ci, Eva Ionesco les minimise presque dans La bague au doigt. Comme aveuglée. Comme une personne qui, jusqu’au moment de l’implosion et de non-retour, voulait rester accrochée à ce qu’elle considérait être un bel amour. Mais elle n’était en réalité qu’une muse qu’il voulait détruire. Une de plus. « Il s’est amusé à me faire du mal psychologiquement, c’est certain », analyse-t-elle désormais en décrivant l’orgueil d’un homme qui « doit se réjouir qu’on parle de lui ».

À presque 60 ans, Eva Ionesco, après trois publications de Mémoires, vit toujours avec une frustration. Celle de ne pas être assez reconnue et accompagnée dans ses batailles judiciaires et médiatiques. « Les combats, j’arrête ! La radicalité n’est pas récompensée. C’est du moins ce que je constate. » Trahie par sa mère puis son mari, Eva Ionesco, sans le dire, se réapproprie enfin sa vie au travers de l’écriture. En tournant la page Liberati, elle délaisse toute colère pour entamer l’écriture du tome final de la trilogie sur sa vie d’adolescente. Car oui, il y a encore des choses à dire.

Elle est actrice, cinéaste et princesse de la nuit déchue, rongée par ses souvenirs. Il est un poète et écrivain multirécompensé, noyé dans ses excès. L’idylle aurait pu être des plus fantasques, mais elle se termina dans le sang. Le 15 février 2021, un appel d’Eva Ionesco à la police signe la fin demeurée d’une histoire où passion rime avec trahison. Quelques...

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