Éric Reinhardt, « aucun prix littéraire, mais une grande intégrité »

Il figure parmi les favoris du prix Goncourt 2023, mais il sait qu'il divise : Éric Reinhardt assume une position d'écrivain qui n'a « aucun prix littéraire, mais une grande intégrité ». Sarah, Susanne et l'écrivain (éditions Gallimard), paru en août, était attendu comme l'un des romans phares de cette rentrée littéraire.

Éric Reinhardt savoure le succès, depuis que L'Amour et les Forêts, adaptation par Valérie Donzelli d'un roman de 2014, a été salué par la critique cinématographique au festival de Cannes, puis adoubé par les spectateurs.

La position en première ligne de l'attention médiatique est inconfortable : que l'œuvre suivante ait des faiblesses, et la critique se retournera.

Mais inspirée de faits réels, sur la descente aux enfers d'une mère de famille qui quitte le domicile conjugal et un mari dédaigneux, cette fiction a plu. Elle est sur la première liste des 16 titres en lice pour le Goncourt, dont sont absents d'autres auteurs à succès.

Au festival Le Livre sur la place à Nancy, Éric Reinhardt, 58 ans, retrouve sa ville natale, quittée dès l'enfance.

« J'étais très complexé »

« Je me souviens être tombé amoureux ici pour la première fois de ma vie, d'une Fanny, en dernière année de maternelle. Elle avait des petits souliers rouges. Elle était brune », raconte-t-il. Sans préciser s'il a été aimé en retour.

L'inquiétude de l'être semble encore travailler le romancier, un demi-siècle plus tard. Dans les cercles littéraires, écrivait fin août un membre du jury du Goncourt, Pierre Assouline, « citez son nom et vous ne récolterez que des réactions radicales » − admiration ou aversion.

« Le caractère clivant de ma personne, je ne me l'explique pas (...) Je ne sais pas pourquoi, à certains moments, on me traite de parisien mondain », déplore-t-il. « C'est à cause de mon visage, de la façon dont je m'habille, de ma silhouette. De la façon dont je marche. »

Mais « j'ai grandi en banlieue, à Clichy-sous-Bois, puis à Corbeil-Essonnes », des villes plutôt pauvres, insiste-t-il. Et « quand j'ai commencé à publier, j'étais très complexé par mes origines sociales ».

L'homme évite cocktails ou dîners, ce qui lui vaut peut-être un manque d'alliés dans les jurys. Il écrit essentiellement depuis la campagne du Perche, en Normandie où, d'après un éditeur habitué de la même région, il est vêtu de manière plus rustique.

« Immédiatement touché » 

Ses échanges avec des anonymes dans la foule de Nancy lui font revendiquer des lecteurs loyaux.

« Ça fait chaud au cœur de constater − les gens viennent et vous le disent −, après 25 ans, neuf livres, aucun prix littéraire, mais une grande intégrité de ma part, aucune concession, un vrai engagement dans mon travail, qu'on construit un lectorat fidèle, qui me suit livre après livre », détaille-t-il.

De ce lectorat venait la femme ayant inspiré l'héroïne de L'Amour et les Forêts, histoire d'une épouse qui se détache d'un mari aussi terne que possessif.

Même procédé pour Sarah, Susanne et l'écrivain, né du témoignage d'une lectrice envoyé par courrier électronique.

« Les deux pages de ce mail que j'ai reçu m'ont immédiatement touché au cœur. J'étais bouleversé et je me suis senti concerné », se souvient-il. Ensuite, une fois trouvée la forme de la narration, « j'ai écrit dans un état d'allégresse, de plaisir pur ».

Difficile de percer si Éric Reinhardt croit et rêve au Goncourt, ou s'il doute profondément. Lorsqu'on paraît en août pour mieux y prétendre, relève l'auteur, « qu'on a la chance de faire partie des livres qui sont sous le feu des projecteurs, ça crée un effet de levier, donc ce serait absurde de s'en passer. Mais ça peut être aussi un enterrement de première classe », quand on est éliminé.