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Nos Lecteurs ont la Parole

Déstigmatisons la thérapie et faisons de notre santé mentale une priorité

Déstigmatisons la thérapie et faisons de notre santé mentale une priorité

Photo d’illustration Bigstock

La santé mentale et la thérapie ne doivent pas être un tabou. « Je ne suis pas fou/folle ! » « Je n’en ai pas besoin », « C’est pour les faibles », « Les psys ont eux-mêmes besoin de psys, et c’est pour les fous » : des phrases vénéneuses que j’ai communément entendu circuler de nombreuses fois dans ma vie. En effet, les préjugés sur la thérapie et les patients se répandent partout, suppléés par la résistance face à la demande d’aide. Je consacre ainsi ce texte au dénouement de ce tabou que sont, malheureusement, la psychothérapie et la santé mentale.

La thérapie, un lieu de guérison

Sans stéthoscope, sans scalpel, sans entaille, sans même verser du sang, la thérapie guérit les cœurs désespérés, les cœurs qui saignent par des douleurs exaspérées : pendant la première séance, c’est une brindille ou une graine qui s’asseoit, mais c’est une fleur qui ainsi se relève, qui fleurit au cours du temps.

La thérapie nous apprend que dans ce monde qui nous écœure et qui nous soumet à des épreuves inéluctables, l’homme peut transcender cette condition maussade à laquelle il est soumis. Il peut trouver le bonheur dans un monde qui cherche à l’attrister ; il peut trouver la paix dans un monde où la guerre change de nature, mais jamais de dimension ; il peut fonder une vie clémente dans un monde où la cruauté règne ; il peut se rendre justice dans un monde si scélérat qui cherche par les moyens les plus saugrenus à le rabaisser ; il peut être pleinement humain dans un monde qui lèse l’humanité, dans un monde où il y a beaucoup trop d’hommes mais assez peu d’humains ; il peut réussir dans sa vie, même si elle est pleine de défaites, d’échecs, et recevoir les défis avec un sourire sisyphique, même au comble de la douleur. Par-dessus tout, il peut guérir et apprendre à vivre avec un trouble qu’il croyait jadis insurmontable.

La thérapie est un lieu de guérison, un lieu propice à l’ombre du jugement et de la critique, où nous pouvons mettre en mots ce que jamais nous n’avons pu ou su extérioriser, un endroit où nous pouvons parler du fardeau qui érode notre vie et qui intervient avec la façon dont nous percevons le monde, d’autant plus que nous pouvons ne plus dissimuler notre sensibilité, notre vulnérabilité et la réalité de nos émotions, être nous-mêmes, être entièrement libres, étirer nos écailles dans un azur somptueux et rassurant, dans un monde où les émotions doivent être refoulées, mais les faux visages appréciés, dans un monde où la sensibilité ou la souffrance mentale est considérée comme une faiblesse. La thérapie s’oppose alors à ce monde trompeur, hypocrite et même fourbe en formant un univers fondé sur la liberté d’expression et d’être, l’entraide et le soutien, le but étant d’aller mieux dans tous les aspects de notre vie.

Si la thérapie nous aide, c’est parce que la parole guérit. En effet, les mots représentent l’outil le plus précieux et le plus puissant qu’un homme peut posséder ou même offrir. Pour des siècles, les mots ont manié la façon dont nous vivons, dont nous percevons les choses et la façon dont nous sommes. Combien de meurtres, d’actes odieux et de terreurs ont été commis dans l’histoire au nom de quelques mots esquissés sur un papier ? Néanmoins, si nous utilisons les mots pour manipuler les autres, pourquoi ne pas les utiliser pour aider, aimer, construire, guérir, améliorer, transmettre des connaissances bénéfiques ? Pourquoi ne pas user les mots pour une rentabilité beaucoup plus humaine ? Comment la thérapie nous aide à guérir si ce n’est par les mots, les conseils ancrés en nous comme une racine à sa terre, collés à notre peau comme un bébé au bras de sa maman que notre thérapeute manie avec une minutie chirurgicale, si ce n’est par les paroles qui, d’un maniement si aisé, non seulement nous sauve, mais atténue notre tristesse à leur écoute ?

Bien que la thérapie soit en partie consacrée aux traitements des troubles psychiques, elle vise de surcroît à provoquer des changements de comportements de vie et de pensées chez les personnes à la quête d’un sens, chez ceux qui n’arrivent pas à se définir dans un monde qui les limite de toute ses forces, chez ceux qui ont besoin d’un accompagnement dans une épreuve précise, bref, une main qui nous fait sortir de notre noyade, pour mieux vivre notre vie, nos relations, pour mieux agir et être, nous comprendre et nous aimer.

La santé mentale n’est pas une honte

L’histoire de la prison d’Alcatraz résonne un peu avec cet enfermement que les gens souffrant de troubles mentaux subissent. En effet, la prison d’Alcatraz était une prison fédérale ultrasécurisée située sur une île au beau milieu d’une baie glaciale, où les prisonniers avaient le privilège de se laver avec de l’eau chaude. La cause n’était guère humanitaire, mais cela rendait simplement beaucoup plus compliqués, en cas d’évasions à la nage, le franchissement et la tolérance de la baie glaciale. L’histoire de cette île ne résonne-t-elle pas dans le cas que nous traitons ?

Suite à la stigmatisation suprême de la santé mentale, n’a-t-on pas tous notre prison d’Alcatraz ? Un cocon, une bulle qu’on se construit lorsqu’on souffre, perchés à l’écart du monde extérieur et glacial, une zone de confort qui nous enferme, un gouffre qui nous engloutit dans ses ténèbres ? Les mœurs nous plongent dans un univers où nous sommes aveuglés face à la réalité, étant enfermés dans une bulle qui nous empêche de voir le monde tel qu’il est, ils nous trompent et nous inculquent l’idée selon laquelle la santé mentale est un tabou. Nous n’osons pas éclater cette bulle, nous n’osons pas briser ce cercle nocif par peur que les autres ne nous prennent pas au sérieux, par peur que les autres nous jugent trop ou ne nous comprennent pas, étant devenus trop intolérants face à la froideur du monde, trop habitués à l’étouffement de notre mal-être.

La stigmatisation de la santé mentale rend ainsi le franchissement du chemin vers l’aide beaucoup plus difficile, en formant une entrave à la guérison de ces gens qui ont vraiment besoin de soutien, qui le méritent profondément d’ailleurs. Mais ne suffit-il pas d’une étincelle pour allumer le feu ? C’est donc à nous de briser ce cercle vicieux, de pulvériser ce cocon, d’acquérir notre humanité. Car être humain, c’est oser, oser dire, oser parler, oser ressentir, oser prononcer ses sentiments, ce à quoi nous pensons et nous rêvons, c’est oser nous révéler nous-mêmes, oser sortir de notre bulle.

Donc ce dont la santé mentale a besoin est plus de franchise, plus d’honnêteté, plus de compréhension et plus de lumière ; transmettons aux générations que lorsque nous parlons de santé en général, il s’agit également et notamment de santé mentale. Il s’agit de ces gens qui souffrent en silence, ces gens qui ont honte de leur maladie et des pensées affreuses qu’ils croient honteuses, et pourtant nous ne sommes pas nos pensées, nous ne les choisissons pas, et la plupart du temps, elles essayent de nous convaincre que nous ne méritons pas d’être heureux, elles ne font que nous éloigner de la réalité, de ce que nous méritons réellement.

La vérité ? La honte provient de la stigmatisation et des mœurs et non de la santé en soi. La souffrance mentale n’identifie pas une personne, la lutte contre une maladie ne définit pas une personne. Nous sommes beaucoup plus que notre trouble, nous sommes des personnes avec des passions, des ambitions, un passé comblé de leçons, un futur à construire, une vie à former et à croquer à pleines dents, des amitiés à nouer, des livres à lire, des pays et tant de choses à découvrir, des désirs à assouvir, des histoires à raconter, des souvenirs à bâtir. La maladie n’est pas une définition à s’approprier. Loin de l’être. Notre nature va au-delà de cette limitation banale. Lutter contre une maladie invisible est signe de force, signe de sensibilité, d’humanité et de vie. Notre présence à elle seule, les mots que nous prononçons, même en tremblant, et le sourire que nous continuons à esquisser, même au bord des larmes, sont l’emblème de nos luttes, de nos batailles et de nos combats acharnés, mais aussi le synonyme de notre résilience. Quelle force que de rester en vie, de combattre chaque jour et de réussir à survivre, avec des pensées qui ne cherchent qu’à nous rabaisser à petit feu !

Pourquoi avoir honte de votre santé mentale, lorsque nous n’hésiterons pas face à la demande d’aide en cas de troubles physiques, en cas d’une cicatrice visible ? La demande d’aide pour les troubles psychiques ne doit pas être boudée. Elle est importante d’autant plus que la demande d’aide pour notre santé physique l’est. D’ailleurs la visibilité n’est pas un moyen équitable pour mesurer la souffrance d’une personne. Il n’y a pas une case concernant la morphologie d’une personne à cocher pour mesurer la réalité de la souffrance mentale de cette personne. En revanche, il y a des douleurs boudées et cachées au fond de notre cœur qui sont invisibles aux yeux, et cela ne réduit pas leur validité ou leur importance et ne remet pas non plus en question leur existence et leur intensité.

Les gens qui souffrent mentalement ne s’étonneront pas face à l’idée que notre cœur soit enfermé dans une cage. Il y a certaines gens qui ne comprennent toujours pas que les monstres illusoires qu’on croyait voir dans l’obscurité de nos chambres, c’est dans nos têtes qu’ils sont enfouis, c’est dans nos cœurs qu’ils peuvent résider, exister, rôder. Ils ne comprennent pas que le pire endroit où nous pouvons être est parfois dans notre tête, parce qu’ils ne peuvent écouter les voix qui ronronnent à l’intérieur, les scénarios qui se créent, les pensées qui gigotent, les émotions qui se trémoussent sans jamais lâcher prise.

Faisons alors de notre santé mentale une priorité. Cessons de cacher nos maladies ou nos souffrances mentales. Nous ne voulons pas que les autres nous aiment pour le côté positif qu’ils perçoivent en nous, en revanche nous voulons que les autres voient la réalité morose qui existe en nous, les pensées morbides, les comportements destructeurs, les souffrances quotidiennes et le côté beaucoup plus amer et réel en continuant tout de même à nous aimer pour les humains imparfaits et incomplets que nous sommes et à nous aider.

L’amour est salvateur

En fin de compte, tel le yin et le yang, il y aura toujours une dualité intrinsèque mais aussi paradoxale qui fonde notre vie humaine. Aimer une personne, c’est aimer ses imperfections, l’accepter pour celle qu’elle est, telle qu’elle est. Aimer quelqu’un, c’est aimer ses défauts et ses faiblesses. Aimer la rose, c’est aimer ses épines. Aimer la Lune, c’est aimer ses cratères. Aimer la vie, c’est aimer ses hauts comme ses bas. Aimer la nature, c’est aimer le Soleil et l’été, mais aussi l’ouragan, la pluie et l’hiver. Aimer un arbre, c’est aimer ses racines, les accepter. Aimer tout court, c’est aimer sans condition. L’amour ne fait pas de bleus, l’amour sauve, l’amour est plus que nécessaire pour une personne souffrante. Si nous ne soutenons pas quelqu’un durant la pire épreuve de sa vie, nous ne méritons pas de participer à sa réussite ou à la manifestation de son bonheur ou de sa guérison : si nous n’avons pas pleuré pour sa souffrance, nous ne pouvons prétendre être heureux pour sa renaissance.

Quelle douleur que de souffrir sans que personne ne pleure ! Quand on n’est pas aimé et qu’on souffre, quand on est seul, la vie pèse, on languit, le corps périt, le cœur crie. Alors soyons plus humains, normalisons la souffrance mentale, soyons plus gentils, nous ne savons jamais ce qui se passe derrière les rideaux de la vie d’une personne, car certaines cicatrices sont invisibles. Aimons, aimons ostensiblement, car l’amour, cette vertu divine, sauve, guérit, atténue, hors de lui, rien n’existe. Laissez derrière vous des traces indélébiles d’amour, partout où la vie vous emmène, partout où elle vous mènera, car un petit message, un « tu as mangé aujourd’hui ? » suffit à combler un cœur brisé, à tracer le sourire sur un visage renfrogné, à soulever une âme en décadence…

À tous ceux qui n’ont pas de flambeau dans le tunnel qu’ils traversent à tâtons, cela n’est qu’un petit rappel qu’une lueur étincelante d’espoir vous attend de l’autre bout de ce souterrain sombre, que la guérison est un long processus, mais le chemin, la durée et la destination importent peu lorsque la volonté d’arriver suffit à tout. Et si tout ce que vous avez fait aujourd’hui se résume à l’acte de survivre, ou à celui de manger ou de se lever du lit, je vous félicite et vous dis : vous n’êtes jamais seul(e)s dans votre souffrance fallacieuse, si aveuglante et si convaincante soit-elle. 

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La santé mentale et la thérapie ne doivent pas être un tabou. « Je ne suis pas fou/folle ! » « Je n’en ai pas besoin », « C’est pour les faibles », « Les psys ont eux-mêmes besoin de psys, et c’est pour les fous » : des phrases vénéneuses que j’ai communément entendu circuler de nombreuses fois dans ma vie. En effet, les...
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Des belles paroles mais il y aussi le suicide

Eleni Caridopoulou

20 h 35, le 20 septembre 2023

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  • Des belles paroles mais il y aussi le suicide

    Eleni Caridopoulou

    20 h 35, le 20 septembre 2023

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