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Nos Lecteurs ont la Parole

L’art d’être bon : oser la gentillesse...

Le pouvoir de la bonté et de la gentillesse : nous accordons rarement à ces deux valeurs le crédit qui leur revient, précisément parce que le pouvoir de transformation qu’elles possèdent sur les individus est mal compris.

Que de vies pourront se transformer significativement dès lors que les êtres s’ouvrent à la dimension profonde des deux valeurs que sont la bonté et la gentillesse. Partageons la vision de Stefan Einhorm quand il souligne le pouvoir contagieux de la bonté et qu’il affirme : « C’est une grande responsabilité que d’être un être humain parmi ses semblables. »

Bien loin des clichés dont on affuble la gentillesse, décriée pour son côté soit hypocrite, soit « bonne poire », plutôt fade, elle est la véritable force de notre humanité : la responsabilité et l’exemple, l’authenticité et la fermeté, l’empathie et la réconciliation. Car, priver une personne de la chance de s’améliorer est une forme d’avarice. Ne perdons pas de vue que le seul sens de la vie n’est pas de réussir à se chamailler pour des choses à faire, mais de tenter de se réjouir d’être ensemble. C’est ainsi que nous pouvons espérer que les citoyens de demain auront fait dès l’école maternelle l’apprentissage, le plus fondamental pour vivre – avant celui de lire, écrire et calculer : écouter, comprendre et respecter les besoins des autres.

Oui, la bonté est un art et la gentillesse demande du courage. La conscience de ces deux aspects facilite la mise en pratique de ces valeurs dans la vie quotidienne. En effet, l’apprentissage d’un art ne tombe pas du ciel. Il demande une intention claire et une attention soutenue. La bonté est attentive, prévenante, prévoyante. Tout d’abord, elle procède à l’avance et par anticipation. Car la bonté est synonyme de « préparer » des cadeaux, des repas, une rencontre, une lettre pour l’absent... Et puis la bonté veille et prend soin pendant l’action. Enfin, elle soigne à la suite, a posteriori. Elle « répare » beaucoup : des défauts, des sanglots et des conflits, des adieux, des oublis...

Préparer, veiller et réparer, c’est tout un art, un fait d’attention, de « savoir- être » et de gratuité.

L’attention, c’est ce qui nous fait percevoir le subtil au-delà du visible. Ce qui nous permet par exemple de distinguer le silence contemplatif comblé du silence douloureux de celui qui souffre. C’est la même bonté qui nous fera nous tenir à distance de l’un et nous rapprocher de l’autre. Si nous sentons, avec Saint-Exupéry, que « l’essentiel est invisible pour les yeux », c’est que la bonté éveille en nous une sorte d’instinct du cœur pour capter ce qui n’est pas de l’ordre du visible. L’attention est aussi ce qui nous fait percevoir qu’une limite est dépassée ou risque de l’être, et qu’il est temps de dire, de réagir, peut-être même de crier « Attention ! » avec vigueur et rigueur.

Le savoir-être, c’est ce qui nous apprend peu à peu l’attitude juste, dans l’art de choisir ses mots, mais aussi dans les formes de communication non verbalisée. Ainsi, le ton de la voix, le temps accordé à autrui, le tact, les sourires, les silences attentifs et la douceur sont autant de manières d’exprimer la bonté.

L’attention et le savoir-être nous aident à être « vrais », quitte à bousculer l’autre par une colère bienveillante ou par un « non » constructif. Dans nos relations, une grande partie des malentendus et des malaises éventuels résulte de notre difficulté à dire non et à exprimer notre désaccord à temps, de façon mesurée et à la bonne personne.

Oui, la bonté n’est pas toujours confortable, ni à exprimer sincèrement ni à recevoir simplement. Si nous avons souvent appris à « être gentil » et à porter un masque de complaisance en taisant nos colères, nos désarrois ou nos désaccords « pour ne pas déranger », la bonté, elle, nous invite à oser être vrai, avec le ton adéquat, même si cela signifie « déranger » l’autre. Cette démarche, pour être juste, demande de l’antériorité, c’est-à-dire la capacité de prendre du recul à l’intérieur de soi, de se centrer un moment à l’écoute de notre être profond, de cette partie de nous qui est au-delà des émotions et des impulsions de l’ego.

Ainsi, pour rendre notre désaccord constructif, nous avons intérêt à préciser « ce à quoi nous disons oui quand nous disons non ». Les principes de la « communication non violente » peuvent nous aider à prendre conscience de l’ensemble des enjeux, en sortant notamment des pièges de la pensée « binaire » qui réduit souvent une situation à un choix entre oui et non.

Quant à la colère, lorsque nous travaillons sur cette émotion en toute conscience, à l’écoute de nos besoins, nous constatons qu’elle n’est pas au fond dirigée contre l’autre. Elle est là pour que nous nous fassions comprendre et pour que nous améliorions une relation. La colère exprime le besoin de faire évoluer le fonctionnement du système relationnel : nous ne sommes pas seuls, nous vivons tous dans un système relationnel qui cherche de façon plus ou moins réussie son équilibre, son écosystème. Alors, l’écoute sera plus efficace et plus satisfaisante que l’autorité et l’obéissance pour assurer le respect équitable des besoins de chacun.

La bonté est un savoir-être qui nous fait dépasser notre confort immédiat, pour tenter de créer, là où nous sommes, des relations basées sur la franchise et la bienveillance, même si cela passe par le conflit. Les désaccords sont un ingrédient inévitable de la vie, et non un accident. Ils découlent du respect même de nos différences. Il est utopique de prétendre aimer la différence si l’on ne supporte pas les différends. Dans une situation conflictuelle, tout l’art de la bonté consistera à ne pas rompre les liens, car elle sait que désaccord n’est pas désamour.

Si la bonté peut faire usage de franchise, voire de vigueur, elle est avant tout patiente. Et pour nourrir cette patience, nous avons besoin de nous réconcilier avec le temps, que celui-ci devienne notre ami, notre allié, l’associé qui nous aide à réaliser nos projets et non plus l’ennemi qui nous ronge et nous empêche de vivre. Ce pacte avec le temps représente du travail. Il me semble que, sans un rapport paisible avec le temps, notre bienveillance vis-à-vis de nous-mêmes comme des autres est bien vite comprise. Nous sommes si habiles à trouver mille choses plus urgentes à faire qu’être là, présent et bienveillant !

Ce savoir-être demande du courage. Un courage qui sévit autant dans la fermeté que dans la douceur. Conserver sa douceur face à l’agressivité, sa fermeté malgré la peur de déplaire, cela demande de la force intérieure et du courage. Celui de ne pas s’abandonner à l’apparente facilité des habitudes qui consistent soit à renchérir dans l’agression, selon le vieil adage « œil pour œil, dent pour dent », soit à dissimuler la vérité.

Si nous déplorons généralement la confusion et la brutalité qui règnent dans le monde, comment pourrions-nous espérer améliorer la situation sans nous impliquer pour créer à la fois plus de clarté et plus de douceur dans nos propres relations, à commencer bien sûr par celle que nous entretenons avec nous-mêmes ?

La bonté et la gentillesse se révèlent des forces de transformation sociale : ce sont nos comportements individuels qui nourrissent et transforment la conscience collective et les habitudes sociales.

La bonté est par essence gratuite. Elle donne sans compter de l’attention, du temps, de la tendresse, sans attente de retour. Non parce qu’il « faut », ou qu’on « doit »... mais parce que nous aimons donner et que c’est sans doute ce qui nous procure le plus de joie, ce qui nous comble le plus. Si nous ne donnons pas de bon cœur, c’est que nous sommes souvent empêtrés par la peur ou l’attente des remerciements ou de reconnaissance, au risque de ressasser de l’amertume, soupeser des attentes pour le futur et donc manquer l’instant présent, et la joie d’être tout simplement.

« Celui qui choisit la bonté a compris le fin mot de l’histoire. » Il n’y a sans doute pas d’autre moyen d’être profondément heureux que de vivre dans cette évidence, libre de tout calcul.

À voir comment la bonté et la gentillesse ouvrent les portes, lèvent les jugements, démantèlent les croyances et les a priori, secouent les préjugés et les idées toutes faites, dissolvent le « prêt-à-penser », jettent des ponts et créent des liens au-delà des divisions et des ruptures, réconcilient ce qui s’opposait et rassemblent ce qui se disperse... Je nourris le rêve que, tôt ou tard, plus personne n’osera prétendre que faire preuve de gentillesse est un signe de faiblesse.

Bien au contraire, il sera un jour évident que la bonté et la gentillesse sont notre vraie force, la seule capable de permettre à l’humanité de survivre aux risques qui se présentent et de trouver un sens à l’existence, la seule capable de donner à notre développement personnel une portée citoyenne et les clés d’un véritable développement social, durable et équitable.

Vers la fin de sa vie, l’écrivain philosophe anglais Aldous Huxley a déclaré : « C’est un peu embarrassant de s’être intéressé au problème humain toute sa vie et de s’apercevoir qu’en définitive l’on n’a rien d’autre à offrir en guise de conseil que : efforcez-vous d’être un peu plus gentil. »


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.


Le pouvoir de la bonté et de la gentillesse : nous accordons rarement à ces deux valeurs le crédit qui leur revient, précisément parce que le pouvoir de transformation qu’elles possèdent sur les individus est mal compris.Que de vies pourront se transformer significativement dès lors que les êtres s’ouvrent à la dimension profonde des deux valeurs que sont la bonté et la...

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