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Moyen-Orient - DROITS HUMAINS

Washington et Berlin ont formé les gardes-frontières saoudiens accusés d’exactions

Les deux pays ont été chargés de former les gardes-frontières saoudiens, dont certains auraient tué des centaines de migrants depuis mars 2022.

Washington et Berlin ont formé les gardes-frontières saoudiens accusés d’exactions

Des gardes-frontières saoudiens postés à un point de surveillance à la frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen, dans le sud-ouest du royaume, le 9 avril 2015. Photo AFP

« S’ils sont commis dans le cadre d’une politique du gouvernement saoudien visant à assassiner des migrants, ces meurtres constitueraient un crime contre l’humanité », déclarait le 21 août dernier l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). Selon son rapport, les autorités saoudiennes auraient tué des centaines de migrants et demandeurs d’asile éthiopiens qui tentaient de traverser la frontière yéméno-saoudienne entre mars 2022 et juin 2023. Face à ces accusations sévères, le quotidien britannique The Guardian a révélé mercredi le rôle de la police fédérale allemande et de l’armée américaine dans la formation des gardes-frontières impliqués dans le scandale. Les accords bilatéraux passés avec Washington prévoyaient en outre une surveillance par les États-Unis de l’utilisation des compétences transmises, le personnel formé n’étant autorisé à intervenir que de manière défensive. Des révélations qui mettent dans l’embarras le Pentagone alors que le département d’État avait publiquement, bien que discrètement, reconnu les allégations d’abus et violations dès début 2023.

Coopération et suivi

C’est à partir de 2008 qu’un programme bilatéral de soutien militaire au long terme, connu sous le nom de MOI-MAG (Ministère de l’Intérieur-Groupe d’assistance militaire), a été conclu entre les autorités saoudiennes et la défense américaine. Cette dernière était alors allée jusqu’à rédiger un accord de coopération technique unique pour permettre aux forces américaines de former des unités non armées pour la première fois, requérant en échange le suivi sur le temps long de la nature de leurs opérations. Selon les déclarations d’un responsable américain au Guardian, le Commandement d’assistance à la sécurité de l’armée américaine (USasac) aurait fourni une formation aux gardes-frontières à partir de 2015, mais le financement a été interrompu en juillet. Le motif de cet arrêt restant inconnu.

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Selon le Washington Post, des responsables de la défense et du département d’État ont déclaré que le programme de huit ans exécuté par l’USasac s’est concentré sur la division maritime des gardes-frontières saoudiens, formant les troupes à la protection des infrastructures et à la sécurité maritime. Mais rien ne permet d’affirmer que les formations et armes américaines fournies aux forces saoudiennes n’ont pas été utilisées lors des attaques contre les migrants à la frontière terrestre avec le Yémen. D’autant que selon la chronologie des violations des droits de l’homme répertoriées par HRW, les gardes-frontières saoudiens formés par les Américains étaient toujours à ce moment-là sous la surveillance des États-Unis. 

Impliquée dans une moindre mesure, la police fédérale allemande avait également conclu un accord avec les autorités saoudiennes pour former des forces déployées à leurs frontières. Débuté en 2009, le programme de formation allemand s’est poursuivi quant à lui jusqu’en 2020. Mais Berlin, contrairement à Washington, n’avait pas inclus dans son partenariat une surveillance des opérations des gardes-frontières a posteriori de la formation.

Un secret de polichinelle 

Ces révélations mettent les États-Unis un peu plus dans l’embarras, alors que Washington œuvre pour instaurer le cadre d’une normalisation israélo-saoudienne et resserre ainsi ses liens avec Riyad. Et les critiques à l’encontre de la diplomatie américaine et de ses mois de silence à l’égard des agissements des gardes-frontières saoudiens se multiplient. Samedi dernier, le New York Times rapportait que des diplomates américains ont été informés des violations commises par les gardes-frontières en Arabie saoudite dès l’automne 2022. Des allégations rendues publiques au mois de décembre par les Nations unies, et communiquées ensuite au département d’État américain. Un secret de polichinelle donc, alors qu’en janvier, Richard Mills, le représentant des États-Unis aux Nations unies, faisait référence aux « allégations d’abus contre les migrants à la frontière avec l’Arabie saoudite », lors d’un briefing du Conseil de sécurité sur le Yémen.

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En mars dernier, c’est dans un rapport sur les violations des droits l’homme dans le monde sur l’année 2022 que le département d’État reconnaît enfin publiquement les allégations selon lesquelles des corps de migrants auraient été « entassés près d’un centre de détention informel dans le sud de l’Arabie saoudite », dont certains portant des marques de torture et des blessures par balle à la tête. D’autres allégations d’abus sont reconnues, comme des abus sexuels et détentions arbitraires.

Le même mois, face à d’autres rapports inquiétants sur l’état des droits de l’homme dans le royaume, les sénateurs bipartisans Chris Murphy et Mike Lee présentaient une résolution au Congrès qui permettrait de mettre fin à toute aide américaine en matière de sécurité au royaume saoudien. Si le vote de la résolution n’a pas abouti, d’autres tentatives pourraient s’inspirer de l’initiative bipartisane. Car la loi sur l’aide aux pays étrangers permet au Congrès de voter pour demander des informations sur les pratiques d’un pays donné en matière de droits de l’homme. Une prévision qui entraîne une interruption des aides si le pays concerné ne fournit pas de rapport dans les 30 jours suivant le vote de la résolution. Mais à l’heure où l’Arabie saoudite annonce une enquête conjointe avec l’Éthiopie, peu gardent l’espoir d’une investigation indépendante qui permettrait de faire toute la lumière sur l’affaire.

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Après des déclarations affirmant que le département d’Etat n’avait pas été informé des exactions commises à la frontière yéménite par les gardes-frontières saoudiens avant décembre dernier, ce dernier a officiellement reconnu avoir été alerté de la situation dès l’été 2022, rapporte le New York Times. L’organisation yéménite Mwatana de défense des droits de l’homme avait alors pris contact avec des diplomates américains basés à Riyad, avant de publier en septembre un premier rapport sur un groupe de migrants retrouvés morts à la frontière, portant des traces de torture sur le corps. Le département d’Etat a néanmoins insisté sur le fait que les unités formées étaient surtout des gardes maritimes basés en mer. Tout en reconnaissant ne pas pouvoir affirmer avec certitude que les entraînements ou armes américaines fournis aux forces saoudiennes n’avaient pas été utilisés dans les exactions commises à la frontière terrestre. Du fait du déploiement de différentes unités à ces postes, l’identification de celles impliquées est difficile. D’autant que certaines forces sont issues de tribus locales ou sont des sous-traitants du sud Yémen, rapporte le Guardian. Le ministère allemand de l’Intérieur a de son côté affirmé au quotidien avoir arrêté son programme de formations juste après avoir été informé de « possibles violations massives des droits humains ». Le journal britannique avait au préalable rapporté que le programme allemand avait été suspendu en 2020, après une interruption suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul en 2018. Si la date n’est pas précisée par les autorités de Berlin, les premiers rapports impliquant des tirs contre des migrants essayant de passer la frontière saoudienne ont commencé à émerger en 2020, avant de se multiplier en 2022 et 2023.

« S’ils sont commis dans le cadre d’une politique du gouvernement saoudien visant à assassiner des migrants, ces meurtres constitueraient un crime contre l’humanité », déclarait le 21 août dernier l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). Selon son rapport, les autorités saoudiennes auraient tué des centaines de migrants et demandeurs d’asile...
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