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Moyen-Orient - Éclairage

Pour Washington, ce n’est pas le moment de fâcher Riyad

Le « New York Times » a révélé samedi que les États-Unis avaient été informés dès l’année dernière d’exactions des gardes-frontières saoudiens à l’encontre de migrants.

Pour Washington, ce n’est pas le moment de fâcher Riyad

Le président américain Joe Biden reçu par le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane lors de son passage à Djeddah le 15 juillet 2022. Bandar Al-Jaloud/AFP

Les États-Unis étaient au courant, mais n’ont pas fait de vagues. Ayant fait grand bruit lors de la parution d’un rapport de Human Rights Watch (HRW) la semaine dernière, les exactions commises contre des migrants éthiopiens par des gardes-frontières saoudiens avaient pourtant été révélées dès l’année dernière par l’ONU. Déjà le 3 octobre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) envoyait une lettre aux autorités saoudiennes pour signaler les allégations reçues quant à des centaines de morts et de blessés parmi les migrants qui essayaient de franchir la frontière à partir du Yémen. Selon le département d’État américain, cité par le New York Times, ce courrier a été rendu public 60 jours plus tard, permettant à l’administration démocrate de prendre connaissance d’accusations spécifiques.

Deux poids, deux mesures

Depuis, les condamnations se sont faites rares et discrètes. En janvier, le représentant adjoint des États-Unis à l’ONU, Richard Mills, a déclaré durant un briefing sur le Yémen « rester préoccupé par les allégations d’abus contre les migrants à la frontière avec l’Arabie saoudite », et le dossier a été brièvement mentionné dans le rapport annuel du département d’État paru en mars sur les droits humains en Arabie saoudite. À la sortie du rapport de HRW, Washington a affirmé avoir soulevé la question avec les autorités saoudiennes et demandé l’ouverture d’une enquête approfondie et transparente.

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Ce qui contraste avec les réactions qui ont suivi l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en octobre 2018. Cet épisode, pour lequel le prince héritier Mohammad ben Salmane (dit MBS) est pointé du doigt pour sa responsabilité directe, d’après les services de renseignements américains, avait provoqué un tollé international, conduisant à l’isolement du dirigeant de facto du royaume. Mais les circonstances sont désormais bien différentes. Après l’invasion russe de l’Ukraine et la flambée des prix des hydrocarbures qui s’en est suivie, Riyad a retrouvé sa place dans le concert des nations et MBS s’est vu réhabiliter. Durant une tournée régionale en juillet 2022, le président américain Joe Biden s’est ainsi rendu à Djeddah pour rencontrer le dauphin saoudien, qu’il avait pourtant promis de traiter en paria, dans l’espoir de le convaincre d’augmenter la production de pétrole de l’OPEP+ en pleine inflation. En vain. Les deux dirigeants pourraient s’entretenir à nouveau en marge du sommet du G20 en Inde en septembre, selon plusieurs médias, alors que les coupes de production saoudiennes n’ont pas provoqué de hausse incontrôlée des prix.

Car un autre sujet tient aussi à cœur au locataire de la Maison-Blanche : l’architecture sécuritaire de la région, consistant surtout à consolider le front anti-iranien avec son allié israélien. D’autant que Téhéran a développé ses activités nucléaires après le retrait unilatéral de Donald Trump de l’accord de Vienne en 2018, augmentant considérablement son stock d’uranium enrichi à 60 % et se rapprochant ainsi du seuil d’enrichissement nécessaire pour fabriquer l’arme nucléaire. Face à l’échec des négociations pour retourner au deal de 2015, Washington a entamé des pourparlers bilatéraux sur la question des prisonniers, pour lesquels un accord d’échange a récemment été trouvé et qui ont permis de ralentir le programme nucléaire iranien, selon le Wall Street Journal.

La normalisation avec Israël

Parallèlement, la Maison-Blanche a accentué ses efforts diplomatiques en vue d’une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, poids lourd du monde musulman, qui offrirait une caution symbolique forte à la reconnaissance de l’État hébreu. En vue de conclure un accord avant le printemps 2024, lorsque Joe Biden concentrera ses efforts sur sa campagne présidentielle, la Maison-Blanche tente d’obtenir des concessions importantes sur le dossier palestinien, a révélé vendredi le média Axios. De quoi respecter l’ambition officielle du royaume wahhabite de se poser en défenseur de cette cause auprès de sa population et des pays arabes. Une tâche difficile avec le gouvernement actuel de Benjamin Netanyahu, le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui réunit notamment des ultraorthodoxes et des suprémacistes juifs. Selon des sources mentionnées par Axios, Ron Dermer, ministre israélien aux Affaires stratégique, en charge notamment du dossier de la normalisation avec les pays arabes, n’aurait pas montré de signe d’ouverture en ce sens lors de son récent passage à Washington, précisant qu’Israël serait néanmoins prêt à concéder sur le programme nucléaire saoudien.

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Car, pour une normalisation, Riyad a posé ses conditions à Washington : faciliter les ventes d’armes au royaume, conclure un pacte sécuritaire et, surtout, obtenir une assistance pour développer son programme nucléaire. Malgré le risque de voir la région plonger dans une course à l’enrichissement d’uranium et au développement de l’arme nucléaire – bien que les autorités saoudiennes assurent officiellement n’avoir qu’une visée civile –, les États-Unis semblent envisager cette possibilité. Surtout que l’Arabie saoudite étudierait une proposition chinoise pour construire une centrale nucléaire dans le royaume, selon des représentants saoudiens cités vendredi par le Wall Street Journal. Une option plus abordable et qui ne serait pas conditionnée à un respect par Riyad de non-enrichissement et de non-exploitation de ses mines d’uranium, contrairement aux exigences de non-prolifération imposées par Washington. Si l’offre est sur la table, les officiels saoudiens interrogés par le quotidien américain ont cependant avoué qu’elle visait plutôt à obtenir une flexibilité sur ces questions de la part des Américains, pour qui la coopération sécuritaire et technologique avec Pékin est une ligne rouge.

Les États-Unis étaient au courant, mais n’ont pas fait de vagues. Ayant fait grand bruit lors de la parution d’un rapport de Human Rights Watch (HRW) la semaine dernière, les exactions commises contre des migrants éthiopiens par des gardes-frontières saoudiens avaient pourtant été révélées dès l’année dernière par l’ONU. Déjà le 3 octobre, le Haut-Commissariat...

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