« Je pense que les gens sont fatigués d’attendre, que vous êtes fatigués d’attendre (et) je ne sais pas combien de temps la Banque du Liban pourra tenir seule ». C’est sur cette petite phrase qui n’a pas été retranscrite dans le communiqué final que le gouverneur par intérim de la Banque du Liban (BDL), Wassim Mansouri a conclu sa courte conférence de presse vendredi matin au siège de l’institution.
Un bref moment d’improvisation résume avec simplicité le reste du contenu d’une intervention jusqu’ici très formelle et à sens unique dans laquelle le 1er vice-gouverneur qui a pris ses nouvelles fonctions suite au non-remplacement de l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, a confirmé ce qui se disait déjà, notamment dans les milieux politiques et bancaires.
À savoir que, dans le contexte actuel de crise prolongée et de divisions politiques, la marge de manœuvre de la BDL est limitée et qu’elle ne financera plus les dépenses de l’État sans que les dirigeants politiques n’enclenchent sérieusement le processus de réforme du pays, en suivant la stratégie de « correction de la politique monétaire » présentée depuis juillet par les 4 vice-gouverneurs.Cette stratégie s’aligne sur les prérequis de l’accord préliminaire signé en avril 2022 par le Liban avec le Fonds monétaire international (FMI).
« La Banque du Liban peut actuellement compter sur les dollars injectés sur le marché par les expatriés et les touristes qui sont nombreux à visiter le Liban cet été. Le problème, c’est que la saison est presque terminée et que le processus de réforme n’avance toujours pas », analyse pour L’Orient-Le Jour un dirigeant de banque souhaitant garder l'anonymat. « Les choses risquent de se compliquer encore plus d’ici fin septembre si rien ne bouge », affirme-t-il craindre.
Salaires du public
Seule exception à la rigueur affichée par M. Mansouri : les employés de la fonction publique pourront bien, ce mois-ci encore, retirer leurs rémunérations en dollars, au taux auquel la plateforme Sayrafa de la BDL est restée figé, soit 85.500 livres.
Ce montant représente 7.000 milliards de livres libanaises, soit près de 82 millions de dollars au taux indiqué qui a déjà été mis de côté. « Il a également été convenu de garantir les besoins de l'armée et des forces de sécurité, sans affecter les réserves de devises de la Banque du Liban », a-t-il encore assuré, sans davantage détailler ces « besoins ».
Le gouverneur par intérim a justifié cette décision en invoquant deux arguments : le fait que ce choix contribue à stabiliser un peu plus longtemps le taux de change sur le marché (qui flotte autour de 90.000 livres pour un dollar depuis le début de l’été, et le fait de garantir un certain niveau de « transparence et d’équité » en distribuant des dollars à « 400.000 familles » libanaises.
Pas de planche à billet
Le vice-gouverneur a, en revanche, indiqué que la BDL ne pourrait pas répondre à l’ensemble des demandes des différentes institutions (Électricité du Liban) ou ministères (Télécoms, Santé, Éducation) qui ont besoin de convertir en dollars les livres libanaises qu’elles détiennent. « Les réserves de devises de la BDL ne couvrent qu’une partie des besoins des ministères cités », a-t-il notamment déclaré. Cette fin de non-recevoir intervient alors que doit se tenir lundi une réunion du comité ministériel chargé du dossier de l’électricité qui doit régler la question du paiement d’un navire de fuel destiné à EDL et déjà arrivé au large des côtes libanaises.
M. Mansouri a également fustigé le fait que le gouvernement a adopté un budget 2023 avec un déficit de « 46.000 milliards de livres », soit 24 % des dépenses publiques, alors que les 4 vice-gouverneurs avaient insisté dans leur stratégies pour que les dirigeants élaborent une loi de finances équilibrée pour l’année en cours. Se demandant « où le gouvernement compte combler ses besoins en devises », il a assuré que la BDL ne prêtera pas d’argent à l’État, ni en livres ni en dollars, et qu’il ne fera donc pas tourner la planche à billets ni puisera dans ses réserves de devises à cette fin. « Il est vital que le gouverneur par intérim ne flanche pas sur ce point. C’est sans doute le seul moyen pour forcer la classe dirigeante à lancer les réformes demandées », a encore commenté le dirigeant de banque interrogé.
Pour rappel, le FMI a insisté à plusieurs reprises depuis le début de la crise en 2019 sur le fait que la BDL ne devait plus financer les dépenses de l’État.
Audit d’Alvarez & Marsal
Le gouverneur p.i. a enfin affirmé que la BDL comptait donner suite aux résultats préliminaires de l’audit juricomptable rendu par le cabinet Alvarez & Marsal (A&M) qui épingle la gestion de la BDL pendant plusieurs années. « J’assure que la BDL et tous ses services vont faire tout ce qu’il faut pour que l’audit soit complété, notamment en fournissant à la société les documents qu’elle affirme ne pas avoir reçus et de fournir aussi toutes les informations demandées par la justice », a-t-il déclaré.
Il a indiqué, en outre, avoir écrit au ministère des Finances pour manifester formellement cette volonté de coopérer, qui avait déjà été mise par écrit à travers deux décisions du conseil central de la BDL publiées respectivement le 10 février 2021 et le 7 septembre 2022, selon lui. Il a aussi souligné que la Commission d’enquête spéciale (CSI), qu’il préside en sa qualité de gouverneur par intérim, allait étudier le rapport élaboré par le cabinet d’audit à la demande du gouvernement. Il n’a cependant pas fait référence à l’autre audit établi par KPMG avec le concours d’Oliver Wyman, spécialisé dans les standards des banques centrales.
Bilan d’étape
Le gouverneur p.i. a enfin consacré une partie de son intervention à établir un bilan d’étape de l’action de la BDL depuis sa prise de fonction, revenant notamment sur la publication du bilan des réserves de devises, qui seront actualisées tous les 15 jours et publiées sur le site de la BDL, ou encore le résumé de l’auditeur des réserves d’or du pays qui a été relayé jeudi.
Il a aussi assuré que « la stabilité du taux de change à l’ombre du contexte actuel et des divisions politiques et des autres paramètres ne relève pas d'une coïncidence mais résulte de la coopération soutenue entre la Banque du Liban, le gouvernement et le ministère des Finances, avec le concours des autorités judiciaires et sécuritaires qui empêchent toute tentative d’attaque spéculative sur la monnaie nationale ». Le tout dans les règles fixées par le Code de la monnaie et du crédit et « sans coût sur les réserves de devises de la BDL ».
Au niveau des chiffres il a indiqué que la masse monétaire de livres en circulation atteignait désormais 59,9 mille milliards de livres, un niveau largement inférieur aux environs de 75.000 milliards de livres atteints fin juillet, selon les bilans intermédiaires publiés par l’institution.
Comme lors de sa dernière conférence de presse faite fin juillet, le gouverneur n’a pas répondu aux questions, mais a promis de « proposer autre chose la prochaine fois » aux journalistes présents.
commentaires (10)
Pour le moment Wassim Mansouri tient bon le gouvernail. Moi à sa place, je dénoncerais en son âme et conscience toutes les malveillances qu’il aurait constaté.
Mohamed Melhem
21 h 22, le 04 septembre 2023