Les quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban ont présenté jeudi les grandes lignes d’une stratégie visant à « corriger la politique monétaire » du pays ainsi qu'à paver la voie au redressement de son économie et de ses finances. Leur plan marque une nette rupture avec la politique du gouverneur en place depuis 1993, Riad Salamé, dont le mandat termine à la fin du mois. Le quatuor, composé de Wasssim Mansouri (premier vice-gouverneur), Bachir Yakzan (2e), Salim Chahine (3e) et Alexandre Moradian (4e), a consigné les principaux éléments de cette stratégie sur un document de trois pages que L’Orient-Le Jour a pu se procurer. La réunion à laquelle a assisté le vice-président du Conseil des ministres et ancien cadre du Fonds monétaire international Saadé Chami a duré trois heures et demi.
À l’issue des débats, le président de la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, le député Georges Adwan, a indiqué que « l’étude du dossier devait se poursuivre » et qu’une conférence de presse sera bientôt organisée pour « tout clarifier » au public. Wassim Mansouri a laissé entendre de con côté que la balle était dans le camp des députés.
Quel est l’objectif immédiat du plan ?
La stratégie des vice-gouverneurs s’articule sur six mois et ambitionne plus spécifiquement de laisser flotter le taux de change dollar/livre de « façon maîtrisée » et d’être relayé sur une plateforme de change « reconnue internationalement » de manière à refléter la « vraie valeur de la livre ».
Il s’agit donc bien de l’abandon de la plateforme Sayrafa lancée par la BDL en 2020 et son remplacement par une nouvelle opérée par un acteur international, évoqué à plusieurs reprises dans les médias ces derniers jours. Les moyens pour y parvenir s’inscrivent dans l’esprit des exigences de réformes du Fonds monétaire international, avec qui le Liban a signé un accord préliminaire en avril dernier, sans l’avoir encore mis en œuvre.
Selon la stratégie des vice-gouverneurs, la transition peut se faire tout en prenant soin « d’assurer la stabilité sociale » et en protégeant le pouvoir d’achat des fonctionnaires comme des catégories les plus vulnérables.
Elle implique en revanche de lancer d’importantes réformes et mesures « qui augmenteront la demande de livres libanaises sur le marché » et accorderont une certaine « profondeur » à la plateforme de change.
Elle doit enfin être actionnée dès le mois d’août et s’articuler sur trois axes : un premier budgétaire, un deuxième qui concerne les réformes financières et un troisième qui met l’accent sur une action coordonnée des autorités pour renforcer le rôle de la plateforme de change.
Une mesure transversale prévoit que le Parlement adopte une loi qui permette à la BDL de prêter au gouvernement « jusqu’à 200 millions de dollars par mois en moyenne sur six mois, pour un total qui ne pourra pas dépasser 1,2 milliard ». Une proposition dont la finalité semble être de donner les moyens à l’État, en défaut de paiement depuis mars 2020 et qui n’a toujours pas entamé de négociations avec ses créanciers, de se financer le temps que la stratégie commence à porter ses fruits.
Les réformes budgétaires
Au niveau budgétaire, les vice-gouverneurs appellent à ce que le budget de 2023 soit voté par le Parlement dès août et que celui de 2024 le soit d’ici à novembre prochain.
Or l’avant-projet de budget de 2023 (son brouillon) vient d’être transmis par le ministère des Finances au gouvernement sortant qui doit l’approuver avant de l’envoyer au Parlement pour qu’il y soit voté. Ce qui veut dire que l’exécutif puis les députés doivent mettre les bouchées doubles pour voter le budget de cette année avec « seulement » huit mois de retard et adopter celui de 2024 dans les délais normaux.
Les vice-gouverneurs considèrent en outre que le montant des recettes pourrait être augmenté dans le budget de 2024 pour passer de l’équivalent de près de 2 milliards de dollars actuellement sur l’année, dont 40 % sont collectés en cash, à 4,5 milliards de dollars en procédant aux ajustements adéquats (qui ne sont pas précisés dans le document). Les vice-gouverneurs considèrent que le seuil minimum devrait être de 3 milliards de dollars minimum, soit 15 % du PIB, un seuil en deçà duquel la Banque mondiale considère qu’un État ne peut pas être viable ni mettre son économie sur la voie de la croissance.
Réformes financières
Les vice-gouverneurs appellent le gouvernement à soumettre un projet de loi de contrôle des capitaux « dans les deux semaines » afin que le Parlement l’adopte avant fin août.
Ils lui demandent également de « revoir et d’approuver » avant fin septembre les projets de lois organisant la répartition des pertes accumulées par le pays (plus de 70 milliards de dollars, selon les chiffres validés par le Fonds monétaire international) ainsi que celle de la « restructuration du capital (des banques) ». Le gouvernement devra également « trouver des moyens pour protéger les déposants éligibles » via des instruments financiers dédiés.
La BDL devra, pour sa part, s’engager à ajuster la réglementation pour permettre l’instauration d’un taux de change flottant d’ici à fin septembre. Elle continuera d’acheter autant de dollars que possibles, dans les limites de ce que lui permet le Code de la monnaie et du crédit.
Elle devra également employer une enveloppe approuvée par le Parlement pour stabiliser « autant que possible » le futur taux de change unifié à celui de la plateforme Sayrafa de la BDL (85 500 LL pour un dollar actuellement). Elle emploiera enfin une fonction spécifique activée sur la nouvelle plateforme de change pour répondre aux éventuelles attaques spéculatives sur la monnaie.
Coopération multipartite
Le troisième axe se décompose en quatre chantiers qui doivent tous être mis en œuvre avant fin septembre.
La BDL va coordonner avec les banques et institutions financières autorisées pour « fixer de nouvelles règles destinées à garantir le jeu de l’offre et de la demande sur la nouvelle plateforme ».
Le ministère de l’Économie et du Commerce devra obliger les commerces de détail à vendre leurs biens et services en livres.
Le Parlement devra autoriser l’émission de nouvelles coupures de livres, avec des dénominations supérieures à 100 000 LL (un projet de loi a déjà été approuvé par les commissions parlementaires).
Et enfin, une des dispositions de la loi de contrôle des capitaux qu’aura adoptée le Parlement imposera à tous les importateurs d’acheter les dollars auprès des banques et institutions financières autorisées. Ce qui les détournera en principe du marché noir.
Un projet ambitieux qui devrait toutefois se heurter à l'opposition d'une partie de la classe politique.
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17 h 28, le 23 juillet 2023