A peine tournée la page du black-out d'électricité au Liban la semaine dernière, que la production de courant se retrouve à nouveau au centre d'un imbroglio politique et financier autour de l'importation de navires de fuel pour alimenter les centrales du fournisseur public. Un nouveau bras de fer opposant le ministre de l'Énergie Walid Fayad, un proche du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) au Premier ministre sortant Nagib Mikati, et au ministère des Finances, tenu par Youssef Khalil, proche du mouvement Amal.
Le CPL est notoirement à couteaux tirés avec le président de la Chambre Nabih Berry, et avec M. Mikati.
Dans un communiqué publié vendredi, le ministère de l'Énergie a ainsi appelé les personnes ''ayant des questions'' sur le rationnement du courant ''à les adresser aux autorités responsables, à savoir le gouvernement, le ministère des Finances et la banque centrale''. Le texte a accusé les ''tenants d'un autre discours'' d'induire l'opinion publique en erreur et d'avoir un parti pris envers le secteur des générateurs privés'', un marché florissant dans le pays, sur fond de coupures d'électricité récurrentes depuis des années.
Pas d'augmentation de production sans navires
Le ministère a justifié une demande de financement envoyée au ministère des Finances pour le paiement de ''58 millions de dollars'' à verser pour l'importation de carburant pour les centrales. Sans ce fuel ''la mise en oeuvre du plan pour l'électricité et l'augmentation de la production ne peuvent perdurer'', a-t-il estimé, soulignant que ce carburant est nécessaire ''en plus du fuel irakien'', obtenu via un accord récemment prorogé avec Bagdad. Le ministère a rappelé que les fonds réclamés sont normalement alloués ''à partir d'un montant de 300 millions de dollars octroyés à EDL via une décision du gouvernement publiée au Journal officiel en janvier dernier, et dont seuls 193 millions de dollars ont été utilisés jusqu'à présent, ce qui laisse 107 millions de dollars". La demande d'ouverture d'un crédit de 58 millions ''a été approuvée par le ministre des Finances, et la Banque du Liban est tenue de l'exécuter", a ajouté le ministère.
Une source au ministère a affirmé à L'Orient-Le Jour que ''sans les navires de fuel, la promesse de fournir 10 à 12 heures d'électricité aux Libanais est impossible à tenir."
Il convient de rappeler que le gouverneur par intérim de la banque centrale, Wassim Mansouri, s'était engagé à ne plus verser de fonds au gouvernement en l'absence d'une loi adoptée par le Parlement et prévoyant un remboursement des montants octroyés à l'État. De son côté, le Premier ministre Nagib Mikati avait déclaré à des médias locaux qu'il n'autoriserait l'ouverture d'aucune nouvelle ligne de crédit pour financer du carburant pour EDL, et reproché au ministre Fayad de ne pas lancer d'appels d'offres conformes pour l'importation de fuel. Certains médias accusaient par ailleurs le ministère de l'Énergie d'avoir importé du carburant alors que les réserves d'EDL sont actuellement à capacité.
La source précitée a toutefois démenti cette dernière allégation. Selon elle, ces réserves ne permettraient de fournir du courant que ''pendant deux jours, si nous voulons assurer 10 à 12h d'électricité par jour''. Elle a également expliqué que les stocks importés sont nécessaires malgré l'importation de fuel irakien, qui ne peut être utilisé en l'état et doit être échangé via un appel d'offres, au cours duquel le produit perd de sa valeur pour être ensuite livré en moindres quantités.
La réponse des Finances
Répondant aux accusations, le ministère des Finances s'est dégagé de toute responsabilité concernant les pénuries de courant et a confirmé avoir envoyé une demande d'ouverture d'un crédit de 58.877.946 dollars au bénéfice de la société Coral Energy DMCC en début de semaine dernière. ''Ainsi, il incombe au ministère de l'Énergie d'expliquer publiquement les raisons du retard actuel'' dans l'importation du carburant, a ajouté le ministère.
L'imbroglio de vendredi est survenu suite au black-out ayant frappé plusieurs heures le Liban en milieu de semaine, après que la société Primesouth avait commencé à mettre à l'arrêt mercredi les deux centrales électriques qu'elle opère pour le compte d'EDL, à savoir celles de Deir Ammar (Liban-Nord) et Zahrani (Liban-Sud), pour protester contre l'accumulation des arriérés de paiement dus par l'État. Ces deux centrales ont ensuite recommencé à produire de l'électricité jeudi soir, moins de 24 heures après l'arrêt, suite à un accord trouvé avec le gouvernement et reposant sur l'utilisation, pour payer Primesouth, des Droits de tirage spéciaux octroyés au Liban par le Fonds monétaire international.
Vendredi, EDL avait par ailleurs expliqué que son incapacité d'assurer ses versements était due, non pas à un manque de fonds, mais à un problème lié au mécanisme de conversion de ses recettes obtenues grâce au paiement des factures, se félicitant d'avoir pu établir un bilan financier ''sans déficit'' pour la première fois depuis des années.
Dans « Liban » il y a le « i » pour imbroglio
11 h 25, le 21 août 2023