Nagib Mikati dit tout haut ce que Nabih Berry pense tout bas. Le Premier ministre sortant a exprimé jeudi, à deux reprises, sa colère et celle de son principal soutien, le président du Parlement, après le nouvel échec de ce dernier à réunir la Chambre sous le signe de la législation de nécessité. Cet échec est notamment dû au boycottage de la séance parlementaire prévue initialement jeudi matin par l’opposition chrétienne et le Courant patriotique libre. La réunion devait notamment déboucher sur l’adoption de textes de loi à caractère financier.
M. Mikati a agité, pour la première fois depuis plusieurs mois, le spectre d’une éventuelle suspension de sa gestion des affaires courantes si, d’un côté, un nouveau président de la République n’est pas élu rapidement et, de l’autre, si les réformes exigées par la communauté internationale ne sont pas votées. Le chef du gouvernement sortant s’exprimait lors du Conseil des ministres tenu jeudi après-midi, quelques heures seulement après le report de la séance législative, faute de quorum.
La nouvelle menace – quoique toujours vague – du Premier ministre semble porteuse d’un message en direction des protagonistes ayant boycotté la séance de la Chambre, accusés de lui compliquer la tâche, mais qui estiment que la priorité devrait être à l’élection du nouveau chef de l’État. Il se trouve que M. Mikati partage ce point de vue. D’où sa décision de faire preuve de patience jusqu’à septembre avant de décider s’il doit suspendre ou non ses fonctions. Une façon de donner leur chance aux efforts de l’émissaire français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, attendu le mois prochain à Beyrouth pour un dialogue appelé à débloquer la présidentielle.
« Je suis très étonné de voir que certains (groupes parlementaires) ne se rendent pas à l’hémicycle pour la législation de nécessité », s’est indigné Nagib Mikati jeudi à l’issue d’un entretien avec Nabih Berry. Quelques heures plus tard, le milliardaire tripolitain a haussé le ton : « Si le Parlement ne vote pas rapidement (les lois instaurant les réformes financières), il nous sera impossible de poursuivre notre travail », a-t-il tonné à l’ouverture de la séance gouvernementale au Sérail. « Nous ne pouvons plus continuer à assumer seuls cette responsabilité. Tout le monde devrait coopérer en vue d’élire un président de la République, ou du moins permettre au Parlement de se réunir pour adopter les lois essentielles. Sinon, un jour, je vous notifierai d’une décision sensible liée à la poursuite de notre travail », a-t-il lancé à l’adresse des ministres.
Jusqu’à septembre…
Que faut-il en déduire ? « Mettez-vous à ma place. Cela fait plus d’un an que j’arrondis les angles. En face, ils ne veulent pas élire un chef de l’État et ne veulent même pas collaborer avec Nabih Berry pour me permettre de régler les problèmes du pays. C’est une responsabilité que je ne veux pas continuer à assumer tout seul », commente M. Mikati pour L’Orient-Le Jour, laissant ainsi entendre que l’option de suspendre l’expédition des affaires courantes est désormais sur la table. « La première option devrait être l’élection d’un président. Je suis dans l’expectative jusqu’à septembre. Si, d’ici là, aucun développement n’est enregistré, ni au niveau de la présidentielle ni en ce qui concerne les lois à caractère économique et financier, j’aviserai », poursuit-il sur un ton menaçant.
Nagib Mikati a ainsi exprimé son ras-le-bol face à « des protagonistes qui ne lui donnent pas les moyens lui permettant d’aller de l’avant dans la gestion du pays », pour reprendre les termes d’un ministre. Mais s’il a attendu deux ans de mandat et quatre ans de crise pour lancer son ultimatum, c’est parce qu’il estime qu’il n’a plus de marge pour gagner du temps : le secteur bancaire est à court d’options pour continuer de survivre sans pouvoir attirer de dépôts ni octroyer de prêts, les réserves de devises de la Banque du Liban sont désormais inférieures à 8 milliards de dollars et le gouverneur par intérim de la BDL, Wassim Mansouri, n’en finit pas de répéter qu’il ne financera pas les dépenses de l’État sans couverture légale. Sur ce dernier point, M. Mikati avait renvoyé la balle dans le camp de Nabih Berry, qui préfère voir le gouvernement s’acquitter de ses responsabilités dans ce domaine en élaborant un projet de loi détaillant les requêtes de l’exécutif. « En l’absence d’une loi sur la restructuration des banques, nous sommes dépendants d’une économie du cash, ce qui constitue un grand danger dans la mesure où c’est la porte ouverte à tous les types de crime financier », a ainsi souligné le Premier ministre lors de la séance.
En termes politiques, le coup de gueule de M. Mikati est sans doute le fruit d’un forcing berryste, après le sérieux coup asséné au maître du perchoir jeudi. « Il est normal que le Premier ministre songe à jeter l’éponge quand un camp entrave le bon fonctionnement des institutions », commente Kassem Hachem, député berryste, occultant le fait que son camp bloque la tenue de la présidentielle depuis des mois...
S'il jette l’éponge ce ne sera que bénéfice au pays. Si seulement Berry le faisait aussi.
09 h 39, le 21 août 2023