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Société - Entretien

Tirana Hassan : « HRW continue de demander une mission d’enquête mandatée par l’ONU sur l’explosion au port »

La directrice exécutive de Human Rights Watch revient sur les nombreux signes d’un déclin des droits et libertés dans la région.

Tirana Hassan : « HRW continue de demander une mission d’enquête mandatée par l’ONU sur l’explosion au port »

Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. Andrew Lunn © Human Rights Watch

Menaces contre les minorités, lois archaïques et discriminatoires, entraves contre les efforts judiciaires ou médiatiques de combattre l’impunité… Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch, revient sur les nombreux signes d’un déclin des droits et libertés dans la région.

La menace et la pression constante exercée sur les personnes LGBT au Liban s’est encore accentuée ces dernières semaines ; comment expliquer le recul de leurs libertés ?

L’incapacité du gouvernement libanais à changer les lois et les politiques discriminatoires à l’égard des personnes LGBT et l’incapacité des forces de sécurité à les protéger ont contribué à alimenter la violence à leur égard et à étouffer les revendications pour leurs droits.

La répression des structures militantes s’est poursuivie au Liban : depuis 2017, les forces de sécurité ont régulièrement interféré dans les événements relatifs aux droits liés au genre et à la sexualité, et en 2022, à la suite d’une directive illégale émise par le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, le gouvernement a effectivement interdit toute conférence, activité ou manifestation liée à l’homosexualité ou traitant de celle-ci.

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La montée de la rhétorique anti-LGBT de la part de responsables officiels et d’acteurs non gouvernementaux a déclenché la panique parmi les personnes LGBT et a probablement accru le harcèlement et les menaces en ligne auxquels elles sont déjà confrontées et pour lesquels elles ne disposent d’aucun recours légal.

Les plateformes numériques ont permis aux personnes LGBT de s’exprimer et d’amplifier leur voix, mais elles sont également devenues des outils de répression et de contrôle de la vie privée : les applications de rencontres et les réseaux sociaux ont permis aux autorités de collecter des images, des messages textuels, des chats et d’autres informations qui peuvent être utilisées pour persécuter les personnes LGBT. Ce ciblage numérique a eu de lourdes conséquences hors ligne, notamment le chantage et l’« outing », la violence familiale et les arrestations arbitraires par les FSI.

La liberté d’expression et d’association semble être en net recul dans le monde arabe. Les journalistes et les militants sont pris pour cible. Comment le Liban se situe-t-il par rapport au reste de la région ?

Contrairement à d’autres organisations, telles que Freedom House ou Reporters sans frontières, qui disposent d’un système de classement sur lequel nous nous appuyons, nous ne comparons pas les situations dans différents pays. Notre travail consiste à enquêter sur les violations graves, où qu’elles se produisent, et à plaider en faveur du changement. Selon nous, la question à se poser est la suivante : « Comment le Liban protège-t-il les droits de ses citoyens et réagit-il aux atteintes aux droits de l’homme ? »

Au Liban, des journalistes, des avocats et des militants continuent d’être convoqués pour des enquêtes par les services de sécurité libanais en raison de leur travail. En 2019, HRW a documenté l’utilisation croissante par des personnalités politiques et religieuses des lois libanaises sur l’insulte et la diffamation pour cibler et museler les journalistes, les militants et les personnes accusant des fonctionnaires de corruption ou documentant la détérioration de la situation du pays.

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Les cas de Jean Kassir et de Lara Bitar, qui ont été convoqués au début de l’année par les services de sécurité en réponse à des articles publiés par leurs médias respectifs, illustrent les risques auxquels les journalistes libanais sont confrontés lorsqu’ils dénoncent la corruption et la culture de l’impunité dans le pays. Suite à la pression de l’opinion publique et des ONG, l’enquête contre Kassir a été abandonnée et l’affaire de Bitar a été transférée au tribunal des imprimés, conformément à la loi. De même, l’absence d’enquête sérieuse sur l’assassinat du journaliste et opposant au Hezbollah Lokman Slim constitue un signal alarmant…

Dans un rapport publié récemment, HRW a dénoncé les nombreuses restrictions à la mobilité des femmes existant dans la zone MENA. Quelles sont vos principales conclusions, en particulier en ce qui concerne le Liban ?

De nombreux pays de la région empêchent encore les femmes de se déplacer librement, à l’intérieur des frontières nationales ou à l’étranger, sans l’autorisation d’un tuteur masculin – généralement leur père ou leur frère ou leur mari.

Ces restrictions sont en contradiction avec les lois et les Constitutions de nombreux États, qui garantissent l’égalité des femmes, et violent le droit international qui garantit l’égalité, la non-discrimination et la liberté de circulation pour tous.

Au Liban, les femmes ont le droit de voyager sans l’autorisation de leur époux depuis 1974. Toutefois, certaines règles religieuses sur le statut personnel peuvent considérer qu’une femme voyageant ou quittant le domicile sans l’autorisation de son mari commet une faute, ce qui peut constituer un motif de divorce et lui faire perdre le droit à une pension alimentaire.

Dans un Liban en crise, la question de la présence des réfugiés syriens revient constamment sur le devant de la scène. Quelles sont les dérives que vous avez pu observer ?

En mai et avril 2023, l’armée libanaise a arbitrairement arrêté et sommairement déporté des milliers de Syriens, sans tenir compte de leur statut de réfugié et de leurs craintes de persécution en cas de retour en Syrie. Ces personnes n’ont pas eu la possibilité de contester leur expulsion et ont été renvoyées en Syrie quelques heures seulement après leur arrestation. Ceux qui n’avaient pas de preuve de résidence légale ont été expulsés, ce qui est particulièrement préoccupant étant donné que, selon la dernière étude disponible, cela concerne 83 % de la population syrienne au Liban – d’autant que, depuis 2015, les autorités libanaises ont imposé des règles qui empêchent de nombreux réfugiés syriens d’obtenir ou de renouveler leur permis de séjour. En 2021, Human Rights Watch a constaté que les réfugiés syriens qui sont retournés en Syrie depuis le Liban et la Jordanie entre 2017 et 2021 ont été victimes de graves violations des droits de l’homme et de persécutions de la part du gouvernement syrien et des milices affiliées, des menaces qui persistent aujourd’hui.

Les enfants sont également victimes de discrimination : cette année, le ministère de l’Éducation a choisi de priver des milliers d’élèves réfugiés syriens de cours au Liban. Cette décision fait suite aux grèves des enseignants libanais qui protestaient contre la forte dévaluation de leurs salaires et à la suspension des cours du matin, fréquentés principalement par des élèves libanais, qui en a résulté.

Plusieurs pays occidentaux se tournent aujourd’hui vers la justice internationale pour que les crimes commis en Syrie ne restent pas impunis. Est-ce suffisant ?

Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre d’un effort croissant visant à tenir responsables les auteurs des atrocités commises en Syrie. En saisissant la Cour internationale de justice (CIJ), les autorités canadiennes et néerlandaises signalent aux auteurs de graves violations des droits de l’homme en Syrie qu’il est possible de leur faire rendre des comptes. Les enjeux sont importants, tant pour les victimes des atrocités commises en Syrie que pour les efforts déployés à l’échelle mondiale pour mettre fin à l’impunité.

Par ailleurs, les Nations unies ont recueilli un grand nombre d’informations et de preuves possibles qui ont été et seront essentielles pour soutenir les différentes poursuites pénales, en Allemagne, en Suède et en France, et les efforts visant à faire en sorte que la Syrie rende des comptes devant la CIJ.

Toutes ces initiatives jettent les bases qui permettront de briser le climat d’impunité omniprésent en Syrie. Il est particulièrement important de maintenir cette exigence fermement ancrée dans l’agenda international alors que certains pays commencent à normaliser leurs relations avec les autorités syriennes.

Concernant la double explosion du 4 août 2020, où en sont les efforts de HRW pour qu’une enquête internationale puisse voir le jour ?

Une enquête approfondie menée par HRW a révélé que l’explosion résultait de l’incapacité du gouvernement à protéger le droit à la vie des personnes et a mis en évidence les décisions, ou l’absence d’actions, de divers responsables politiques et de sécurité qui ont permis que le nitrate d’ammonium soit stocké dans des conditions aussi dangereuses au port de Beyrouth.

HRW continue de travailler avec des organisations libanaises et internationales, des survivants de l’explosion et les familles des victimes pour demander une mission d’enquête mandatée par l’ONU sur l’explosion. Cette enquête internationale est nécessaire de toute urgence, étant donné l’ingérence politique répétée dans l’enquête nationale et les obstructions par des politiciens et des fonctionnaires – notamment par le dépôt de demandes de récusation du juge d’instruction par les suspects – qui ont conduit à ce que l’enquête soit effectivement suspendue depuis décembre 2021.

Nous avons insisté sur la nécessité d’adopter une loi visant à protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire conformément aux normes internationales. En particulier, les autorités libanaises devraient modifier les codes de procédure civile et pénale afin d’empêcher la suspension automatique des enquêtes judiciaires lorsque les plaignants intentent une action en justice contre le juge d’instruction.

« Mon gouvernement a fait cela », lit-on sur un muret devant les ruines du port de Beyrouth. Photo João Sousa

Menaces contre les minorités, lois archaïques et discriminatoires, entraves contre les efforts judiciaires ou médiatiques de combattre l’impunité… Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch, revient sur les nombreux signes d’un déclin des droits et libertés dans la région.La menace et la pression constante exercée sur les personnes LGBT au Liban s’est...

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