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Nos Lecteurs ont la Parole

Fragments de vérité

Quand on pense à la Syrie, on est happé par les tourbillons du mensonge et de l’infamie, par le flot de migrants manipulés dans l’intérêt des nations, par l’anarchie militarisée au service de la politique, à tel point qu’on oublie que son territoire est un musée à ciel ouvert équivalent à la dimension d’un pays. Il faudrait simplement laver la boue qui couvre son paysage. Visiter une ville ou un pays, c’est pratiquer l’héroïsme de la marche et découvrir les richesses historiques, mais en plus l’écho humanitaire transmis par ses monuments à travers les millénaires. La sagesse d’une nation émerge de la vérité de son héritage historique. Soumise à la violence, à des idéologies ou à des dictatures, elle tend à se désagréger et à perdre son authenticité. Debout à Rome sous le balcon de Mussolini, nul ne pouvait soupçonner que le drame syrien se racontait à l’étage des anciens bureaux du duce. Cependant, le Palazzio Venezia, dont l’histoire accidentée remonte à plusieurs siècles, avait été transformé en musée national. Ce jour-là, Rome redécouvrait et pleurait la Syrie, son ancienne province. Une exposition iconoclaste contre la destruction planifiée, « Syrie, splendeur et drame », organisée par des bienfaiteurs et experts italiens pour jeter la lumière sur les dangers guettant le patrimoine culturel syrien en train d’être pulvérisé sous les yeux d’une communauté internationale indifférente et silencieuse, accusée de complicité et de complotisme, projetait la magnificence de l’héritage universel étalé sur plusieurs siècles dont bénéficie le panorama du pays, soumis à une désintégration systématique, mettant en relief l’effroyable tragédie humaine, pendant que les racines d’une civilisation subissaient une éradication irréversible, soulignant l’ampleur de la catastrophe culturelle, dont l’ultime issue serait une amnésie sélective des origines, réduisant les capacités intellectuelles de tout un peuple à un horizon réductif.

Un montage de diapositives statiques de la Syrie paisible, soudain atomisée par des cris de panique, des tirs d’artillerie, le fracas des bombes, des explosions, le bruit des sirènes, le bourdonnement d’un hélicoptère, saisis par des vidéos d’une rare intensité, le tout rythmé sur une bande sonore d’Ennio Morricone, accentue la dimension de la tragédie. Toutes les racines d’une civilisation, la Syrie romaine, la citadelle d’Alep, les sanctuaires chrétiens, le passé islamique et ottoman risquaient de disparaître dans la folie meurtrière. Déjà la Syrie de l’axe de la résistance avait adopté l’abandonnement de la culture, mais un peuple dépouillé de son héritage historique risque aussi de perdre sa vérité, déjà si difficile à collecter. Peut-être est-ce l’intention cachée ? L’effort intense d’imposer une autre réalité décompose son identité et sa culture. D’une manière dramatique, déchirant toute expectative, la vérité, morcelée par des courants divers et une pensée rigide, s’était déjà échappée de la Syrie par vagues successives. D’ailleurs, elle n’y avait jamais trouvé l’accueil d’un sanctuaire. C’était 2014. Aujourd’hui, en 2023, des fragments de vérité qui avaient survécu dans le carnage, considérés comme autant de dogmes sacrés, continuent à bercer les illusions de plusieurs esprits enflammés, stimulés par la confusion des sentiments.

« Je souhaite découvrir la vérité aussi facilement que je détecte le mensonge », avait écrit Cicéron dans De natura deorum à propos de la vérité. Une notion difficile à définir qui échappe à toute délimitation. Son chemin est parsemé d’obstacles, soulignant les limites et les dislocations inéluctables de l’esprit victime du dynamisme imposé par sa quête. Mais ce que Nietzsche appelle « l’esprit de pesanteur », une posture intellectuelle imprégnée de tuyautages fixes et rigoristes, de principes ankylosés et d’un savoir étroit et suffocant, convaincu de posséder l’ultime vérité, s’impose comme l’obstacle irréductible devant une restructuration. On oublie l’essentiel d’un pays, on corrompt son âme, on défigure sa spécificité, on désarticule sa vérité. En somme, la tragédie syrienne n’est qu’une copie tardive amplifiée de la tragédie libanaise, mais aussi sa charpente, et dont la trame, tissée par des fragments disparates de vérité, ayant perdu toute cohérence, continue à travers les méandres du prosaïsme et de l’insipidité dans la quête d’une vérité perdue, enlisée dans les sables mouvants de la lutte pour le pouvoir et les éléments sociaux. D’aucuns cherchent à travers ces fragments de vérité, déformés par des perspectives allégoriques, à souder l’engrenage disjoint. Nulle omnipotence ne pourra avoir un impact permanent.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Quand on pense à la Syrie, on est happé par les tourbillons du mensonge et de l’infamie, par le flot de migrants manipulés dans l’intérêt des nations, par l’anarchie militarisée au service de la politique, à tel point qu’on oublie que son territoire est un musée à ciel ouvert équivalent à la dimension d’un pays. Il faudrait simplement laver la boue qui couvre son...

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