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Nos Lecteurs ont la Parole

Un air d’été de Montréal, 35 ans plus tard

« Hkili, hkili aan baladi hkili... »

Mon cher Marwan, comment vas-tu ? Depuis mon retour de Beyrouth en janvier je n’ai plus eu de tes nouvelles. J’espère que tu te portes bien. Comment va le Liban ? Il paraît que vous connaissez un été qui bat tous les records au niveau de l’afflux des touristes et, bien entendu, celui des émissaires. Ce qui est une très bonne chose. Au sujet des touristes bien entendu ! Allez-vous avoir bientôt un président ? Ou bien nous dirigeons-nous vers un nouveau Taëf ? Sommes-nous à la veille d’avoir un président non chrétien? Ou une sorte d’une nouvelle Constitution ? Paraît-il que l’enjeu de l’élection présidentielle est intimement lié à celui des déplacés syriens.

Mais aujourd’hui dans ces lignes, je ne parle pas de politique même si je dérive. J’ai décidé de ne plus en parler.

Car la politique pour moi désormais n’est que mensonge, calomnie et hypocrisie. Comme disait mon ancien prof à Mont La Salle, la politique ne connaît ni Dieu ni les hommes.

Alors, qu’est-ce donc je peux te raconter mon cher Marwan ? Tu sais, ça fait 35 ans que je suis au Canada. J’y ai atterri un certain 20 juillet 1988 à 21 ans. Dans la fleur de l’âge, me disait-on, tu es au sommet de l’énergie et du dynamise ! Tu verras, me disait-on ! Le Canada, « Sky is the limit ! » Mais, pour moi, à l’époque, la limite n’était pas le ciel. La limite, c’était quand est-ce que je vais avoir suffisamment de fric pour retourner au Liban. Eh oui ! Je ne voulais pas quitter mon pays. Je t’ai déjà raconté mon histoire. Comme si c’était hier. 35 ans, toute une vie ! L’expérience du déracinement, Marwan, est épouvantable et combien éprouvante ! Cet éloignement, ce déchirement, ces adieux au port de Jounieh à destination de Larnaca, puis Amsterdam pour Montréal. Ça marque toute une vie à jamais. Ces scènes d’adieu, mon cher Marwan, tu les emporteras dans tes souvenirs jusqu’à ton dernier souffle.

En 1988, je me rappelle très bien, il n’y avait ni internet, ni courriels, ni WhatsApp. Il y avait une certaine Em Ali, qui je ne sais par quelle combine avec quelqu’un au central téléphonique de Beyrouth, réussissait à nous connecter avec nos proches.

À cette époque, on se précipitait à la Maison de la presse internationale dans les quatre coins de Montréal pour mettre la main sur une édition de L’Orient-Le Jour même si vieille de la veille ou de l’avant-veille !

Alors que se passe-t-il au Canada ? Que se passe-t-il dans ma ville ?

Il y a plus de trois semaines, le 24 juin, on a fêté au Québec la Saint-Jean-Baptiste. Il s’avère que c’est le patron des Canadiens français, ou des Québécois. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien, même après 35 ans.

Il y a eu aussi la fête du Canada. Le 1er juillet. Tu sais, le Canada a été fondé en 1867. Entre le Canada et moi nous avons un siècle de différence d’âge. Amusant, non !

Sais-tu que le Canada fut fondé par pur défaitisme ? De peur d’être annexé par les voisins américains ? Il n’y a jamais eu ici une guerre d’indépendance. Il n’y a pas de sang qui fut versé. Pas de lutte, pas de morts, pas de sacrifices. Ce n’est pas comme chez nos voisins du sud comme on les appelle ici, ni comme chez nous. Alors le sentiment patriotique ici, ça n’existe pas. C’est remplacé par ce qu’on appelle le multiculturalisme, ou cette chimère ou fausse illusion, « l’unité dans la diversité. » Or il n’y a guère d’unité. Juste de la diversité et absence d’identité.

On connaît un été très chaud ici. 40 degrés. Les feux de forêt font rage. La qualité de l’air pire qu’à Pékin ! On suffoque ! En hiver il fait moins 40, en été plus 40 ! De quoi devenir dingue ! Et on blâme les changements climatiques ! Je ne suis pas vraiment sûr. Je suis climatosceptique. Je croirai aux changements climatiques quand je verrai un palmier ou un néflier pousser dans mon jardin.

Si chez toi mon cher Marwan les enjeux politiques, économiques et sociaux ne manquent pas. Ici chez nous c’est relativement le calme plat. On s’ennuie. Le radio journal chez nous dure 10 minutes, le téléjournal, un peu plus. Il n’y a rien à raconter. Quand on regarde ce qui se passe ailleurs, au Soudan, au Yémen, en Ukraine ou ailleurs dans ces parties délaissées et oubliées du monde, je me demande si ici on ne vit pas sur une autre planète. C’est ennuyant le manque d’action ! Oui, il y a des cocktails Molotov qui sont lancés sporadiquement dans la vitrine de quelques restaurants, des assassinats ici et là. Le tout lié à la mafia et au crime organisé. Mais attends ! On a Fady, oui, Fady Dagher, notre nouveau chef de police d’origine libanaise. Tu savais? Lui, il va tout régler grâce à son approche pacifiste, fraternelle et communautaire !

Tout récemment, grâce ou à cause de quelques illuminés fanatiques, un grand enjeu se dessine à l’horizon. L’islamisation de la société québécoise. Tu ne peux pas imaginer mon cher Marwan l’état des lieux dans les écoles et les universités. On s’en va droit vers une catastrophe si l’État ne réalise pas la gravité de la situation et ne tranche pas par voies légales pour éradiquer l’influence des islamistes dans la sphère publique.

Tu sais, au Québec, dans les années 60, durant ce qu’on appelle la révolution tranquille, on a chassé, gentiment, les religieux et les religieuses des secteurs de l’enseignement et de la santé, et l’État supposément laïc a pris la relève. Les bonnes sœurs ont retiré leur voile et se sont intégrées à la société civile. L’État a remplacé l’Église dans toutes les sphères publiques.

Aujourd’hui, plus de 60 ans plus tard, les artisans de ce mouvement doivent se retourner dans leur tombe ! Figure-toi qu’on doit débattre si on tolère ou non des lieux de prière dans nos écoles publiques. Si des professeurs originaires du Maghreb ont le droit d’accepter ou de refuser des accompagnatrices d’enfants en difficulté dans leurs classes. Si un professeur d’éducation physique peut refuser d’exercer sa profession dans une école en présence de jeunes filles !

Je termine là-dessus mon cher Marwan en te souhaitant un bel été. Profite de la mer et du soleil du Liban. Même si ça sent les égouts et les poubelles. Même si le dollar est à 100 000 livres libanaises. Un certain a chanté « il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ». Je n’en sais rien, honnêtement. Peut-être. Un autre a chanté « n’oublie jamais d’où tu viens ».

Quand on renie et dénigre ses racines et ses origines, son histoire et son peuple, c’est qu’on est dépourvu de racines et d’origine et qu’on n’appartient à aucun peuple et à aucune histoire tel un nomade dans un désert aride, sans but et sans fin.

Alors, mon cher Marwan, pour conclure, n’oublie jamais tes racines et tes origines. Malgré tout. Sois-en fier. Ne les dénigre pas. Et si un jour tu décides d’immigrer, rappelle-toi que ton pays est et demeurera là où ton cœur est. Là où tu as aimé pour la première fois. Là où tu es né et là où tu as grandi. Là où tu as bu ta première gorgée d’eau. Aucun pays n’est parfait, aucun peuple n’est parfait, aucune société n’est parfaite. Là où ton cœur est, ton pays est.

Porte-toi bien mon cher Marwan!

Montréal, Canada

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« Hkili, hkili aan baladi hkili... » Mon cher Marwan, comment vas-tu ? Depuis mon retour de Beyrouth en janvier je n’ai plus eu de tes nouvelles. J’espère que tu te portes bien. Comment va le Liban ? Il paraît que vous connaissez un été qui bat tous les records au niveau de l’afflux des touristes et, bien entendu, celui des émissaires. Ce qui est une très bonne...

commentaires (2)

Bravo pour cette lettre d'un" été montréalais", on a erré dans d'autres pays et on est au très chaud ou au très froid ici selon la saison ... et on rêve de ce pays où on a bu la première gorgée d'eau, plongé dans la Méditerranée et grimpé très haut dans la montagne au climat bienveillant mais....Merci pour ce texte qui touche mon coeur.

MIRAPRA

04 h 31, le 18 août 2023

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Commentaires (2)

  • Bravo pour cette lettre d'un" été montréalais", on a erré dans d'autres pays et on est au très chaud ou au très froid ici selon la saison ... et on rêve de ce pays où on a bu la première gorgée d'eau, plongé dans la Méditerranée et grimpé très haut dans la montagne au climat bienveillant mais....Merci pour ce texte qui touche mon coeur.

    MIRAPRA

    04 h 31, le 18 août 2023

  • C’est bien Daesh va prendre la relève

    Eleni Caridopoulou

    19 h 02, le 14 août 2023

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