Voilà ce qu’ils gouvernent : rien qui tienne debout, rien qu’ils tentent de redresser si toutefois ils en sont capables. Un œil sur les hydrocarbures offshore, l’autre sur leur survie politique, ils n’ont aucune intention de s’entendre sur un candidat à la présidence de la République et leurs gesticulations ne sont qu’une suite d’échecs dont le monde entier, à commencer par les Libanais eux-mêmes, a fini par se désintéresser. Mais tandis qu’en ce moment même, les rats font bombance sur le peu qu’il restait du palais de Baabda, une merveilleuse unité se fait jour autour de la seule urgence du moment : faire interdire le film Barbie et transformer l’inique loi 534 pour en faire une nouvelle Bible de la juridiction homophobe. C’est que le communiqué diffusé à l’issue de la réunion ministérielle informelle accueillie le 8 aout par le patriarche maronite n’y va pas de main morte. Il invite « toutes les autorités, les institutions éducatives, les médias et la société civile à s’attacher à l’identité nationale, à son éthique et à ses valeurs, notamment la famille ». Il invite aussi à affronter « les idées qui heurtent l’ordre divin et les principes partagés par tous les Libanais ».
Heureux sont-ils, ces gardiens autoproclamés de l’ordre divin et des principes de « tous les Libanais », eux qui ne sont même pas fichus de mettre un minimum d’ordre dans le cloaque humain par leurs bons soins créé. Heureux sont-ils de se croire les sentinelles d’une identité nationale diluée dans la boue de leur sauvagerie tribale, et de nommer « valeurs » et « éthique » leurs pratiques mafieuses, leurs discours haineux, l’ignorance et le chaos qu’ils entretiennent pour mieux régner sur une racaille qui ne cesse de s’autogénérer. Parallèlement à l’Irak où, mystérieusement, le même discours, les mêmes éléments de langage, les mêmes craintes pour les « valeurs » sont diffusés par les imams en parfaite harmonie avec les propos récents du chef du Hezbollah, le Liban officiel fourbit lâchement ses armes contre les plus vulnérables d’entre les vulnérables. Les homosexuels et les membres de la communauté LGBTQ+, pour la plupart déjà rejetés dans leurs propres familles, harcelés à l’école, à l’université, dans leurs milieux professionnels, doivent se préparer à une nouvelle guerre qui s’annonce féroce. Ils sont pourtant le sel de cette terre, ses artistes, ses rêveurs, ses créatifs, ses faiseurs.
L’arc-en-ciel est le nouveau bouc émissaire dont on va bientôt se servir pour détourner l’attention du marigot qui clapote ici-bas dans sa vase. Déjà s’effacent ses joyeuses couleurs, diabolisées, bannies. Sans la magie du Soleil, le Liban n’aura plus que celle de ses cendres.
Je ne saurais regarder ce laid miroir. Il a mauvaise mine le pays rêvé. Je comprends votre dépit, car entre le Liban rêvé dont certains doux rêveurs se sont réjouis d’une longue guerre civile pour changer les choses, selon leurs grilles de lecture, et le Liban qu’on annonce, on se contente de donner de l’espoir, de parler de vivre ensemble. Personne n’a rien vu venir parmi les clairvoyants, les bien- pensants. Voilà le constat amer, très amer : qu’une guerre ne suffit pas pour apporter le changement dans les mentalités, puisqu’en cours de guerre, l’enjeu s’est dévoyé pour prendre un autre chemin. Tout est question de rapport de force. Mais d’où se nourrit l’obscurantisme ? D’une terre fertile de haine, de fanatisme, d’ignorance. """"Sans la magie du Soleil, le Liban n’aura plus que celle de ses cendres"""". Je n’ai pas l’âme d’un poète, ni l’esprit d’un philosophe, mais s’il l’on remplace la ""magie du soleil"" par miracle divin (ça revient au même), le Liban renaîtra de ses cendres tel un Phénix, mais autrement de celui dont on a toujours rêvé…
09 h 43, le 10 août 2023