Dans l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, de nombreuses questions demeurent encore sans réponse. Nous ne savons pas si le nitrate d’ammonium était destiné, dès le départ du Rhosus depuis la Géorgie, à être déchargé au port de Beyrouth. Nous ne savons pas où s’arrête la négligence et où commence la participation à une activité criminelle chez tous les responsables politiques, sécuritaires et judiciaires qui savaient que le nitrate se trouvait dans le port et n’ont rien fait pour le déplacer et le sécuriser. Nous ne savons pas non plus ce qui a déclenché l’incendie qui a provoqué la déflagration. Ces réponses sont absolument cruciales afin de déterminer ce qui relève de l’accidentel et du criminel dans cette tragédie.
Dans un pays où l’on peut assassiner un Premier ministre en toute impunité, il est possible que nous ne parvenions jamais à faire toute la lumière sur ce drame. Après tout, il a fallu quinze ans et entre 600 millions et un milliard de dollars pour que le Tribunal spécial pour le Liban condamne Salim Ayache, Hassan Merhi et Hussein Oneissi, tous les trois membres présumés du Hezbollah, à la perpétuité dans l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri. Le tribunal n’a toutefois pas pu établir la preuve d’un lien direct entre l’attentat contre le Premier ministre et le Hezbollah et/ou le régime syrien. Mais au moins a-t-il pu émettre un jugement et condamner les exécutants pour que le crime ne reste pas entièrement impuni. Un minimum de justice dont ne peuvent même pas se prévaloir les familles de Georges Haoui, Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, Walid Eido, Gebran Tuéni, Samir Kassir, Wissam Eid, Wissam el-Hassan, Mohammad Chatah, Lokman Slim et d’autres, qui ont pour point commun d’être tous des figures opposées à l’axe irano-syrien.
En l’absence d’une enquête internationale, l’affaire du port connaîtra le même sort. Malgré le courage et la détermination de Tarek Bitar, l’enjeu est beaucoup trop important pour qu’on lui laisse faire son travail. Et pour cause : trois ans après, nous avons suffisamment d’éléments pour dégager un faisceau d’indices pointant sérieusement du doigt la responsabilité du régime syrien et du Hezbollah dans cette affaire. Ce même Hezbollah qui a menacé de « déboulonner Tarek Bitar » et dont les alliés ont eu recours à toutes les méthodes pour faire obstruction à l’enquête.
Nous savons que le véritable propriétaire du nitrate, Savaro Ltd, est une entité fictive qui partage la même adresse que deux sociétés appartenant à des hommes d’affaires syro-russes. Le frère de l’un d’entre eux, Moudallal Khouri, figure sur la liste des sanctions américaines depuis 2015 pour avoir été un intermédiaire dans le cadre d’une tentative d’achat de nitrate d’ammonium à destination de la Syrie, fin 2013. Nous savons qu’à cette époque, le régime syrien utilisait le nitrate d’ammonium pour fabriquer ses barils d’explosifs et qu’en raison de l’embargo dont il faisait l’objet, il lui était difficile d’importer ce type de matière dans ses ports.
Nous savons que le véritable propriétaire du Rhosus, Charalambos Manoli, était endetté auprès d’une banque, la FBME, fondée par deux Libanais et sanctionnée en 2016 par les États-Unis pour blanchiment d’argent et pour ses liens avec le Hezbollah. Les hommes d’affaires syro-russes potentiellement impliqués dans l’importation du nitrate avaient eux-aussi des comptes dans cette banque. Nous savons que le Rhosus était endetté auprès de la Dan Bunkering, une entreprise danoise condamnée en 2022 pour avoir fourni du carburant aux avions de guerre russes en Syrie.
Nous savons que « seulement » 550 tonnes de nitrate ont explosé le 4 août 2020 et qu’il est tout à fait possible que le reste de la marchandise ait été déplacé durant les sept années où elle a été stockée dans le hangar 12. Nous savons que quatre personnes, Lokman Slim, Joseph Skaff, Mounir Abou Rjeily et Joe Bejjani ont été assassinés dans des circonstances troubles et que le seul point commun entre eux est leur intérêt et/ou connaissance sur ce que contenait ce hangar 12. Tout cela ne suffit évidemment pas à établir des preuves. Mais mises bout à bout, ces informations donnent toutefois le sentiment que la piste syro-Hezbollahie est plus que sérieuse, d’où la détermination du parti de Dieu à tuer l’enquête.
Le 14 février 2005, Rafic Hariri était assassiné dans une explosion qui a fait 22 morts et 226 blessés. Plus de 18 ans après, Salim Ayache, Hassan Merhi et Hussein Oneissi, à supposer qu’ils soient toujours vivants, sont encore en liberté. Les autorités libanaises font comme si elles n’étaient pas concernées par le sujet. Il faut dire que dès le 11 novembre 2011, Hassan Nasrallah avait prévenu : « Celui qui s’imagine que nous permettrons l’arrestation d’un de nos combattants se trompe ! Nous lui couperons la main ! » Si le Liban est devenu le royaume de l’impunité, Hassan Nasrallah en est incontestablement le roi.
Bravo pour cet article. Cependant il y a un bémol à tout ça. Les criminels ont voulu étouffer ce crime pour le rendre à jamais impuni alors que les indices pointaient toujours les mêmes, avec preuves et mobile à l’appuie. La réaction épisodique des médias qui se sont exécutés et ont cessé de relater les faits en attendant la commémoration morbide pour en parler alors que les libanais s’attendaient à ce que le contraire de ce que souhaitaient les criminels aient lieu en publiant quotidiennement, et à la UNE de tous les journaux télévisés et écrits des articles et des documentaires pointus en évoquant point point les causes et les mobiles en s’aidant des enquêtes en cours jusqu’à faire plier les plus récalcitrants en les privant du droit de s’exprimer et de raconter des mensonges gros comme une maison sur leur blancheur et leur innocence alors qu’ils savent que nous savons. Le juge Bitar n’a pas reçu le support de ces médias alors qu’il était lynché de toutes parts par les vendus criminels qui ont eu raison de lui en l’écartant de l’enquête pour que le doute persiste sur leur culpabilité. Les voilà qui occupent des postes de responsabilité dans ce poulailler au service des tueurs de leur pays, fiers du travail accompli. Quant au peuple, ah peuple! divisé et dure à être mobilisé pour sauver son pays et sa peu par la même occasion, que fait il faire pour qu’il devienne un et indivisible face aux dangers qui le guettent, concoctés par ses zaims qu’il continue à défendre?
09 h 47, le 09 août 2023