Sur les réseaux sociaux, nous avons demandé à nos lecteurs ce que l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth a changé dans leurs vies, et avons reçu de nombreux témoignages sur la façon dont ils ont vécu cette tragédie qui affecte leur quotidien jusqu'à ce jour.
Voici quelques témoignages :
"Le 4 août 2020, c’est la goutte qui m’a cassé le dos, alors que j’étais déjà à genou sous le fardeau de mes problèmes et ceux du pays. C’est le jour où j’ai ressenti que le fin cordon qui me reliait encore à ma patrie a été coupé pour toujours. Je me suis enfuie à Dubaï, puis au Canada. Les bruits forts me font toujours sursauter, j’ai une peur irrationnelle d’une mort soudaine, prématurée et banale. Je ne suis plus la même. Je n’ai ni oublié ni pardonné aux politiciens en charge, mais aussi aux gens qui les ont réélus".
Sandy Belle El Khoury
"Nous sommes nombreux à être miraculés. Mon fils et mon mari ont leurs bureaux en face du port, ma fille est ses deux bébés habitent en face du port, à 100 mètres à vol d’oiseau du lieu de l'explosion. Ils n’y étaient pas. Moi-même je rentrais à la maison et j’avais décidé ce jour-là, par hasard, de ne pas prendre la route maritime ! Au moment où je garais ma voiture chez moi à Hazmié, l’immeuble a été secoué par l’explosion. J’ai cru qu’elle avait eu lieu dans ma rue. Nous n’oublierons jamais !"
Nayla de Freige
"Même si j'ai perdu des proches, civils Libanais, assassinés pendant la guerre (1975-1990) de sang-froid, j'ai passé les 30 dernières années de ma vie à Paris à militer contre la peine de mort. Mais l'impunité des psychopathes destructeurs du Liban, coupables de l'explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, me fait dire que la peine capitale serait la réponse la plus adéquate à leurs agissements. Une envie de "sortir les guillotines"... et de voir leurs corps exhibés comme l'a été celui de Ceausescu... ou d'autres monstres au sang-froid et organisés en bandes... Alors je me pose la question : ont-ils réussi, par leur monstruosité, à faire de moi une barbare ?"
Anonyme
"Le 4 Août n’a pas changé ma vie... Il a détruit et massacré plusieurs vies !"
Ilo Kanaan
"Qu'est-ce qui a changé dans ma vie ? Cette apocalypse m'a fait grandir et remettre en question mes valeurs. En deux mots, j'ai mieux défini mes priorités : reconnaître mes proches, comprendre le terrain dans lequel j'ai grandi, et enfin savoir que rien n'est acquis".
Ziad Comair
"Les silhouettes de leur existence n'ont plus de consistance…
Ils les conservent au chaud sous une ombre peine…
Labyrinthe de squelettes et d’âmes en souffrance…
Qu’ils brisent à chaque réveil que les matins s’enchaînent...
J'écrirai des âmes tues et tuées, des assassins protégés…
Des non-dits, des crimes exécutés sans être jugé…
J'écrirai des colères, des p(l)eurs, et de leurs incompréhensions...
Des besoins, des rancœurs et des initiations..."
Georges El Choueifati
"Je suis Française. En 2020, j’habitais au Liban avec mon mari et mes quatre enfants depuis quelques mois. Le 4 août, nous étions en vacances en France. Quand nous avons appris l’explosion, nous étions dévastés. Et j’étais pour ma part extrêmement frustrée de ne pas pouvoir être au Liban pour aider. Surtout que je n’ai pas eu la possibilité d’y retourner tout de suite. Alors, à 40 ans, et après presque 10 ans de congé parental, j’ai repris des études et j’ai fait un Master 2 en solidarité et action internationale. J’ai rédigé un mémoire de fin d’études sur la réponse des associations libanaises à l’explosion au port de Beyrouth et j’ai trouvé un travail dans une ONG qui intervient au Liban. Depuis deux ans et demi, je travaille dans cette organisation, au service des Libanais, et contribue à la mise en œuvre de projets d’action humanitaire et de développement. La volonté d’aider après le 4-Août m’a permis de faire quelque chose pour lequel je ne me sentais pas à la hauteur. J’ai maintenant un travail porteur de sens. Et la chance de travailler chaque jour avec des gens extraordinaires. Je souhaite que les Libanais comprennent qu’ils sont exceptionnels et que leur pays est magnifique. Voilà pourquoi le 4 août a changé ma vie".
Marguerite Wiest
"Le 4 août n'a pas été un jour comme les autres, je me suis endormi en étant Ray et me suis réveillé en étant Isaac Oehlers, la plus jeune victime de l'explosion de Beyrouth. Sur le chemin du paradis, j'ai rencontré "Petit Prince", un ami aux vastes et sages expériences. Ensemble, nous avons cherché la vérité, pour trouver la coupe pouvant accueillir les cœurs brisés du peuple libanais. Rencontrant des juges, des sages ou encore des marchands sournois, nous avons cherché et cherché jusqu'à ce que nous dévoilions la vérité qui gît. Non ! Ce n'est pas un délire, c'est moi, Ray Mfarrej, qui, le 4 août, suis devenu écrivain et a écrit sont premier livre "The stars will be laughing" (Les étoiles riront) en mémoire d'Isaac Oehlers."
Ray Mfarrej
"Le 4 août 2020, à l'âge de 14 ans, j'ai fait un vœu solennel : jamais je n'oublierai, jamais je ne pardonnerai. En une fraction de seconde, mon innocence s'est envolée, mon enfance s'est évanouie. J'ai alors découvert une force insoupçonnée, celle qui me pousse à écrire et à agir. Le 4-Août a provoqué une révolution en moi, un séisme intérieur qui m'a conduit à me questionner, à m'engager corps et âme dans la société. Je me suis lancé dans la politique et j'ai façonné des poèmes douloureux, des cris de révolte. Dans chaque ligne que je trace, dans chaque phrase que je prononce, j'évoque l'écho puissant d'un cœur déchiré mais vibrant, brisé, mais résolument vivant, prêt à enflammer le monde pour qu'enfin il s'éveille."
Gabriel Fahd
"J’ai perdu ma sœur Diana le 4 août, une jeune maman de 39 ans qui a laissé derrière elle deux jeunes enfants.
Sa mort a brisé notre famille. Elle n’a pas seulement bouleversé la vie de son mari et de ses enfants, elle a changé toute notre vie, celle de mes parents, de ma sœur qui est sa jumelle, et aussi ma vie, ma relation avec mon mari, mes enfants, nos plans futurs, notre vision de ce pays, nos projets…
C’est le grand manque et le vide dans la famille, c’est l’absence de la joie de vivre, l’absence du bonheur dans toutes les occasions et les réunions familiales, c’est la souffrance au fond de chacun de nous :
Mes parents qui sombrent dans la tristesse et la douleur, en attendant de la retrouver un jour.
Ma sœur (la jumelle de Diana) qui vit avec une moitié de soi en moins, et qui n’arrive toujours pas à surmonter son absence, surtout lorsque chaque fête d’anniversaire est aussi un moment de deuil pour elle.
Et moi qui n’arrive plus à exprimer mes sentiments, je cache mes larmes et mes douleurs devant mes parents, mes enfants et mes chers neveux, j’essaie de leur montrer que la vie est belle, qu’elle continue, qu’on est fort, qu’on doit surmonter tous les obstacles, et moi qui souffre et pleure en cachette à chaque fois que je regarde ses photos et que je me souviens d’elle et de notre vie ensemble.
Seule la justice est capable d’apaiser en partie le feu qui brûle nos cœurs et nos âmes…"
Nathalie Khoury
Plus rien n’est comme avant. Ça n’est pas tant le cataclysme qui a fait le plus de dégâts et provoquer de l’amertume et du désespoir, c’est plutôt la non réaction des citoyens qui a été bien en dessous de tout ce que le monde espérait et non seulement les libanais patriotiques et les familles endeuillées qui sont livrés à eux même pour affronter ces criminels sans l’aide de leurs compatriotes. On se demande toujours comment un crime pareil a pu rester impuni pendant que les libanais font comme si de rien n’était.
10 h 58, le 06 août 2023