Dans ce qui pourrait être une de ses dernières interventions dans les médias en tant que gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé a défendu mercredi soir avec énergie son action à ce poste qu’il occupe depuis 1993, s’exprimant au passage sur sa succession, sur l’avenir de Sayrafa ou encore sur le dossier des réformes demandées au Liban par le Fonds monétaire international.
Un plaidoyer de plus de deux heures livré lors de l’émission Hiwar Al Marhale de la LBCI au cours duquel le septuagénaire a également assuré qu’il quitterait son poste quoi qu’il arrive à la fin, le 31 juillet prochain, de son dernier mandat, le 5e de suite depuis son arrivée à la tête de l’institution en 1993.
« J’avais déclaré il y a un an que c’était mon dernier mandat et je le confirme. Dans (cinq jours) je vais tourner une page de ma vie », a déclaré à la LBCI le chef de la Banque centrale en place depuis 1993, assurant qu'il ne resterait même pas en place pour un intérim. Il a en outre souligné que sur les trente années passées, la banque centrale avait contribué « pendant 27 ans au développement de l'économie et à la diminution des (taux) d'intérêts » via ses « politiques monétaires » sur la livre et le dollar. Il a souligné que les taux sur la livre tournaient autour de 8 % avant le déclenchement de la crise et de 6 % pour le dollar, alors que ceux sur la livre tournaient autour de 17 % en 1993 (selon les données de la Banque mondiale que nous avons consultées).
« Durant la crise (qui a éclaté en 2019, Ndlr), la BDL a aussi pris des initiatives. Nous avons diminué son impact grâce à notre politique monétaire », a-t-il ajouté avant de poursuivre : « nous sommes à une croisée des chemins. Un nouveau gouverneur doit être nommé. Mais il y a des vice-gouverneurs, notamment le 1er d’entre eux (Wassim Mansouri, Ndlr), qui doivent prendre en charge la BDL ».
Ni responsable…
Tout au long de l’entretien, Riad Salamé a refusé d’endosser la moindre part de responsabilité dans la crise économique et financière que traverse le pays et le blocage du processus d’assainissement de ce système dont il a été l'un des principaux artisans. « C’est Riad Salamé seul qui doit faire tourner l’économie libanaise ? C’est à Riad Salamé de fournir de l’électricité ? C’est à Riad Salamé d’importer du lait pour enfant ? Elle est bien bonne celle-là ! », s’est-il amusé suite à l’une des relances de la journaliste Roula Haddad. « Je n’assume pas la responsabilité de l’effondrement (du pays) », a-t-il ponctué
Et de fait, en plus de deux heures d’entretien, le patron de la BDL n’a rien concédé ni assumé. Face aux accusations du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui lui a récemment reproché d’avoir monté un vaste système de Ponzi pendant trente ans (nom donné aux arnaques pyramidales ou les fonds apportés par les nouveaux investisseurs servent à payer les revenus dus aux anciens), Riad Salamé assure que si c’était le cas, la BDL n’aurait pas pu continuer de soutenir l’État et subventionner les importations pendant près de 4 ans.
Face aux avis d’économistes critiques de sa politique qui lui a fait dépenser « 40 milliards de dollars pour stabiliser le taux de change » selon la journaliste, l’homme assure que ce choix a été payant jusqu’en 2015 et même approuvé par le Fonds monétaire international jusqu’en 2016, époque à laquelle les première ingénieries financières ont été lancées. Il s'agit de complexes opérations d’échanges de titres menées entre 2016 et 2018 avec les banques locales au prix d’effets secondaires qui ont contribué à ébranler le système dans la durée. « Je suis devenu le bouc-émissaire du système (…) La BDL n’a pas dépensé l’argent, elle a financé l’État. L’effondrement n’est pas venu de la BDL, mais de la conjonction de plusieurs facteurs » a-t-il encore affirmé, citant le défaut de paiement sur les eurobonds du gouvernement de Hassane Diab en 2020, l’impact du Covid, le défaut de paiement de l’explosion du port ou du conflit russo-ukrainien.
Sur le dossier des réformes, Riad Salamé a assuré que la BDL avait fait « tout » ce que le FMI lui avait demandé, que ce soit l’audit de ses comptes ou le « projet de réforme bancaire ». Il a aussi souligné que le volet juricomptable de l’audit n’était « pas exigé par le FMI » et que le rapport transmis au ministère des Finances par Alvarez & Marsal, le cabinet qui s’en était occupé, n’était qu’un « brouillon ».
… ni coupable
Riad Salamé a aussi été interrogé au sujet du déroulement des enquêtes lancées dans plusieurs pays d’Europe sur la société Forry Associates Ltd, dans laquelle son frère Raja et lui sont poursuivis pour « enrichissement illicite, faux, et usage de faux ».« Il s'est avéré que les fuites provenant notamment de la justice des pays étrangers ont été orchestrées par un groupe qui m'a pris pour cible pour certaines raisons. Ce groupe a chargé un avocat qui n'était pas honnête dans son rapport », a-t-il indiqué en faisant référence à Me William Bourdon, qui défend l’association Sherpa et au collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban. Ces deux organisations sont à l’origine des plaintes lancées en France contre le gouverneur et son entourage.
« Il existe un groupe au Liban et à l'étranger qui (me) cible », a poursuivi Riad Salamé, assurant qu’il n’y avait « pas de sommes d'argent de la société Forry à la BDL » et que ni son ex-assistante Marianne Hoayek ni lui n’avaient quoi que soit à se reprocher dans cette affaire. Le patron de la banque centrale a par ailleurs indiqué ne pas avoir « comparu devant la justice française comme Marianne Hoayek l'a fait parce qu'il n'a pas été notifié dans le respect (de la procédure) », un argument déjà invoqué dans les médias par son avocat français, Pierre-Olivier Sur. Il a ajouté que son conseil « avait demandé à la juge d'instruction Aude Buresi de (le) notifier conformément aux normes » mais que celle-ci avait « refusé et a émis un mandat d'arrêt international » à son encontre, la fameuse notice rouge d’Interpol qui le vise depuis mai dernier.
Sayrafa et la succession
Le gouverneur a aussi défendu la plateforme Sayrafa lancée en 2020, et qui est devenu en près de trois ans une sorte de boîte noire affichant un taux de change proche de celui du marché mais évoluant à quelques encablures de celui-ci selon un mécanisme qui n’a jamais été clairement exposé.
Le gouverneur a expliqué que cette plateforme avait été imaginée comme un moyen de permettre à la BDL d’intervenir sur un marché de plus en plus dominé par le cash au fur et à mesure que la crise s’aggravait et d’avoir une certaine « transparence permettant de savoir qui vend ou achète des dollars ». « C'est une plateforme pour voir ce qui se passe sur le marché, vu que ni l'État ni les organes sécuritaires n'ont pu contrôler les applications qui indiquent le taux de change », a-t-il développé. Toujours selon lui, cet outil a permis à la BDL de s’imposer comme « l’acteur principal » du marché des changes et de parvenir à le « contrôler ».
Commentant le projet dévoilé la semaine dernière par ses 4 vice-gouverneurs de créer une plateforme de change opérée par une société internationale afin de servir de balancier à un régime de change flottant en remplacement de l’actuel qui fait coexister plusieurs taux, le gouverneur a estimé que cela « prendrait du temps », avant de considérer que la BDL « devait rester présente sur le marché ». Après la fin de mon mandat, « j'espère qu'il n'y aura plus de fluctuations sur le marché mais cela n'est plus entre mes mains », a-t-il encore déclaré, jugeant au passage que les critiques qui évoquent la possibilité que la BDL manipule le taux de change étaient « sans fondements »
Enfin sur la question de sa succession, le gouverneur a insisté sur le fait qu’il « n’avait aucune influence sur la séance qui aura lieu jeudi pour nommer un nouveau gouverneur ». Nommés en 2020, les quatre vice-gouverneurs de la BDL Wassim Mansouri (1er vice-gouverneur), Bachir Yakzan (2e), Salim Chahine (3e) et Alexandre Moradian (4e) ont exhorté le gouvernement à désigner un nouveau patron de la banque centrale avant la fin du mandat Salamé. Ils se sont entretenus à deux reprises cette semaine avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati.
En cas de vacance, Wassim Mansouri (chiite) remplacerait M. Salamé, conformément au Code de la monnaie et du crédit, alors que ce poste est traditionnellement réservé à un maronite. Les gouverneurs adjoints ont menacé de démissionner si un successeur n'est pas dûment nommé, une question qui fait polémique en l'absence d'un président de la République et d'un gouvernement de pleins pouvoirs. Le vice-Premier ministre Saadé Chami a estimé mardi que le gouvernement n'est pas en mesure de nommer un successeur à Riad Salamé.
commentaires (18)
En deux temps et trois mouvements nous avons assisté avanthier soir, sous nos yeux ébahis et nos oreilles incrédules à la confirmation/transformation de Riad Salamé en Marie-Antoinette Madoff. Oui, Riad, tu as peut-être été, j’insiste sur le terme «peut-être», un espoir de la finance libanaise dans un très, très, très lointain passé.Tu as probablement su manœuvrer ton arrivée puis ton maintien au pouvoir (et à la BDL accessoirement) Tu as magnifiquement courbé l’échine devant tous les dirigeants et hommes politiques qui ont défilé sous tes yeux et à qui tu as rendu des « services » divers et variés pour rester à ton poste. Oui, mais voilà, la roue tourne Riad et aujourd’hui c’est à ton tour de passer à la caisse, c’est à ton tour de payer les millions de pots cassés et les milliards de casseroles que tu traines derrière toi. Tu as beau nier, réfuter, ne rien assumer, dire que tu ne savais pas, le hic c’est que plus personne ne te croit. Entre une Marie-Antoinnette levantine qui, au lieu de conseiller à ses manants de manger de la brioche, leur suggérerait de bouffer plutôt des manakiches et un Madoff du pauvre embourbé dans sa fuite en avant, tu ne sais pas quoi, qui choisir. Tu cherches un énième échappatoire mais plus personne ne te croit et les journalistes complaisants buvant tes paroles comme de l’eau bénite sans te contredire se font de plus en plus rares. PS:Je ne veux pas te déprimer mais tu sais que pour Marie-Antoinette et pour Madoff, ça s’est très très mal terminé
DC
11 h 42, le 28 juillet 2023