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Insolence française ou ingratitude libanaise ?

Que faut-il penser du discours du 14-Juillet d’Anne Grillo dans lequel elle s’interroge avec insistance sur ce que serait le Liban sans l’aide de la France ? Près d’une semaine après, l’impact de cette allocution auprès de larges pans de l’opinion publique libanaise donne à penser que l’ambassadrice de France était allée trop loin dans l’expression de son ressentiment contre une forme d’ingratitude des Libanais devant les efforts constants de Paris en faveur du pays du Cèdre. Ou du moins qu’elle s’était montrée quelque peu condescendante à leur égard.

En gros, une première catégorie a conclu que le discours était insolent dans le fond et dans la forme, alors qu’une deuxième considérait que la diplomate avait visé juste, mais en utilisant les mots qu’il ne fallait pas. Les Libanais étant généralement très dispersés sur tout, on peut en déduire l’existence d’une troisième catégorie qui pense que Mme Grillo a eu raison sur toute la ligne.

Quoi qu’il en soit, ce qui devrait retenir l’attention dans cette séquence, c’est ce que celle-ci nous révèle du rapport qu’ont les Libanais avec la crise de leur pays ; de la façon dont ils voient leur propre rôle et celui des autres ; et de leur perception de la place du Liban dans le monde.

Un peu d’histoire aiderait à éclairer le sujet : un ancien pilier de l’ambassade de France à Beyrouth, François Abisaab, raconte qu’au début de la guerre civile, dans les années 1975-1976, le premier émissaire français au Liban, Maurice Couve de Murville, ancien ministre des Affaires étrangères de Charles de Gaulle, a réuni les protagonistes politiques libanais à la Résidence des Pins et leur a tenu à peu près le discours suivant : « Si vous ne mettez pas fin immédiatement au conflit, vous allez détruire votre pays et après des années vous serez contraints de revenir à la table de dialogue et de conclure un accord entre vous. Alors épargnez-vous ces destructions et mettez-vous d’accord tout de suite. » À la fin de cette réunion, nombre de délégués politiques présents ont avoué à M. Abisaab qu’ils avaient trouvé Couve de Murville un peu « gâteux »…

Une dizaine d’années plus tard, alors que la guerre faisait toujours rage, les conseils de Couve n’ayant pas été suivis, un journaliste américain de passage à Beyrouth était un jour assailli par des confrères libanais qui l’interrogeaient à qui mieux mieux sur les derniers avatars du « complot » de Washington contre le pays du Cèdre. À la fin, un peu excédé, le journaliste américain leur dit ceci : « À ma connaissance, s’il y a un complot dont vous devriez vous plaindre, vous Libanais, c’est que la terre entière vous a oubliés »...

Ces deux anecdotes, si elles sont loin de résumer toute la complexité du problème libanais, en disent long cependant sur la légèreté avec laquelle la classe politique de ce pays, et derrière elle une bonne partie de l’opinion, se réfère toujours à l’étranger, soit pour lui enjoindre de trouver des solutions aux crises du Liban, soit au contraire pour se débiner de leur propre responsabilité et accuser cet étranger de tous les maux qui s’abattent sur cette terre. En somme, le Libanais n’est jamais responsable, ni de l’existence du problème dont il souffre lui-même ni de la solution à ce problème.

Aujourd’hui, rien n’a changé… Les « naïfs » bien-intentionnés vous diront combien le Liban est important pour que cinq puissances acceptent de se réunir à Doha afin de parler de l’avenir de ce pays, sachant qu’à l’exception du représentant de la France, il ne s’agit que de fonctionnaires ou de diplomates de deuxième (ou troisième) rang qui ne sont là que pour éviter un effondrement total et définitif de l’État libanais, et les « petits malins » tenteront de vous épater en vous persuadant qu’ils savent tout sur les dessous de table et les liens de la haute diplomatie avec les intérêts au Liban de telle société pétrolière et de tel homme d’affaires sulfureux.

Au final, l’engagement de la France au pays du Cèdre est une réalité indéniable, un engagement qui est la traduction d’une empathie introuvable ailleurs dans le monde. En particulier après le drame du 4 août 2020, le Liban a réellement été une passion française et presque uniquement française. Ceux qui ne l’ont pas remarqué ou l’ont tout simplement oublié sont des aveugles ou des ingrats. Levées de fonds, conférences internationales, implication politique au plus haut niveau, engagements individuels, aides aux écoles, etc. Paris est allé sur tous les fronts. Alors, oui, comme l’a dit Anne Grillo, où serions-nous sans la France ?

Mais cela ne signifie pas pour autant que c’est à la France de trouver des solutions aux problèmes du Liban. Les Libanais ont le droit de juger que l’option retenue par Paris du ticket Sleiman Frangié (à la présidence) – Nawaf Salam (au Sérail) est bancale et insatisfaisante. Elle l’est, assurément, comme le serait d’ailleurs tout arrangement suggéré de l’extérieur et qui ferait nécessairement la part trop belle aux exigences d’un parti-État qui a pris en otage toute la République libanaise.

Car le problème du Liban n’est pas l’élection d’un président ni la nomination d’un Premier ministre. Le problème du Liban réside dans le fait qu’on n’a toujours pas réussi à remédier aux causes de cette prise d’otage. Et ce traitement, ce n’est guère le quintette de Doha et de Paris – ni le sextette de Téhéran – qui pourra l’administrer. On ne le dira jamais assez : c’est aux Libanais de s’en charger…

Que faut-il penser du discours du 14-Juillet d’Anne Grillo dans lequel elle s’interroge avec insistance sur ce que serait le Liban sans l’aide de la France ? Près d’une semaine après, l’impact de cette allocution auprès de larges pans de l’opinion publique libanaise donne à penser que l’ambassadrice de France était allée trop loin dans l’expression de son ressentiment contre...
commentaires (24)

Insolence française, évidemment : cocorico!

Politiquement incorrect(e)

16 h 52, le 25 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (24)

  • Insolence française, évidemment : cocorico!

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 52, le 25 juillet 2023

  • Bravo à Elie Fayyad pour son édito . Je partage entièrement son analyse et ses conclusions !!! Bravo à Anne Grillot qui s’est investit totalement dans son mandat de 3 ans à Beyrouth dans la période la plus délicate de l’histoire du Liban et son rapport à la France . Et Mabrouk pour son nouveau poste à AMNO qui est plus important que tous les mandats d ambassadrice . J en sais qq chose puisque AMNO était mon interlocuteur principal pendant 13 ans au Quai lorsque j étais à mon poste a Paris . Bonne chance aussi aux Libanais qui œuvrent pour la reconstruction non pas du Liban mais de l état inexistant de ce beau pays si complexe et si beau !! Leila Shahid p

    Chahid Leila

    09 h 49, le 24 juillet 2023

  • Un peu les deux !

    Wow

    20 h 31, le 22 juillet 2023

  • Merci à la France mille fois et je ne comprends pas son insistance pour aider ce pays déclassé pour longtemps. Il n’y a plus rien dans ce pays, à fuir.

    Jacques d

    21 h 48, le 21 juillet 2023

  • Rappelez vous toujours , amis Libanais, que Paris n'est pas la France

    Yves Gautron

    20 h 35, le 21 juillet 2023

  • la france aurait du exiger l'application de l'accord de taef en 1992, si elle avait un tant soit peu les interets des Libanais a coeur. mais mitterand etait plus occupe a faire des enfants a droite/gauche

    Elementaire

    18 h 23, le 21 juillet 2023

  • C'est incroyable que tous les problèmes du Liban soient toujours imputés aux autres, que ce soit dans le passé, le présent ou le futur !

    Pandora

    15 h 00, le 21 juillet 2023

  • Tres bon article et merci pour l histoire !

    Aboukhaled Nadine

    14 h 53, le 21 juillet 2023

  • Nos médiocres de zommes au pouvoir nous ont rendu dans un état tel que n'importe qui n'importe où et n'importe quand peut nous critiquer, insulter et assassiner sans qu'on ait les arguments adéquats pour nous défendre ! Un etat sûrement plus désastreux que la peste ou que la famine du début du 20eme. Allez hop, une petite prière pour nos polytiriens pour kils nous soient miséricordieux

    Wlek Sanferlou

    14 h 42, le 21 juillet 2023

  • La France nous a abandonné depuis qu'elle a permis Arafat de sortir vivant de Beyrouth ! Et aujourd'hui encore grâce à cette envie de nous imposer les réfugiés syriens...

    Tania

    14 h 24, le 21 juillet 2023

  • """ l’engagement de la France au pays du Cèdre est une réalité indéniable, un engagement qui est la traduction d’une empathie introuvable ailleurs dans le monde""". À tel point qu’on ne peut pas vivre sans la France, on est bien sûr reconnaissant. Seul ce côté paternaliste (en l’occurrence maternaliste, maternalisé, pardon, Madame l’Ambassadrice), en général des discours paternaliste envers les anciens protectorats, et autres colonies ou département d’outre-mer, oui ces discours qui disent une vérité qui fait mal, mais ne servent à rien que de mettre le doigt sur la plaie. On le sait depuis longtemps que le Liban est un pays sacrifié, d’abord par les Libanais eux-mêmes. Notre désinvolture de traiter les sujets liés à la guerre, à la crise économique, et que penser d’un pays et son peuple qui ne comptent que sur les autres pour se redresser. Quand on a tout le mal à relever un homme, mais comment un pays et son économie, un pays qui manque de tout, surtout de sécurité, se contentant d’aides internationales… Un mot sur la confidence attribuée à Maurice Couve de Murville et ses ""conseils"" me rappelle d’autres déclarations incendiaires de Louis de Guiringaud, n’étaient que de relancer la "patate chaude" au Libanais, et de très bien se laver les mains, l’autre façon de ne pas assumer ses responsabilités de grande puissance… Ils avaient leurs excuses : de petites puissances régionales hurlaient alors à l’ingérence dans les affaires du pays…

    NABIL

    13 h 24, le 21 juillet 2023

  • 1) éloignons nous un instant des considérations dramatico-émotionnelles, qui n'ont guère leur place dans les relations entre États. Macron faisant son sketche à Bey après l'explosion au port, c'était de la pure com et expression de vanité. C'était le méconnaître que d'en attendre une suite...Le surinvestissement de bcp de libanais dans une supposée figure salvatrice relève plus de l'incapacité à se regarder en face et à nommer les vrais problèmes, que dans une naïveté certes existante. De ce point de vue, nous sommes, que ça plaise ou pas, comme tous les autres pays arabes, profondément enracinés dans une culture du mensonge/déni avec perpétuel renvoi des responsabilités à l'autre. 2) L'idée que les miettes libanaises (un peu de gaz-pétrole, la poste et que sais-je encore...) seraient l'explication du cynisme micronien est erronée. Il voit plus grand (non pas qu'il ait raison et ne se fourvoie pas) : apparaître comme un deal-broker aux yeux de Uncle Sam, préparer le terrain pour prendre la tête de Total/CGM à l'issue de son mandat et tenter de capitaliser sur ses relations avec Téhéran, Riyadh, etc m...Rastignac 4.0

    IBN KHALDOUN

    13 h 15, le 21 juillet 2023

  • Lorsque Macron est arrivé tel le Messie au Liban pour constater les dégâts que le cataclysme avait causé pour s’offrir un bain de foule et en faisant des déclarations passionnées, en prenant les libanais dans ses bras leur promettant de punir les coupables, les libanais se sont sentis leur pousser des ailes et croyaient qu’enfin quelqu’un aller agir pour les sauver de leurs tortionnaires. Leur espoir fut vite douché lorsque ce même Macron a été vu bras dessus bras dessous avec ces criminels buvant leurs paroles et courbant l’échine pour satisfaire leurs conditions aux dépens de la population encore sous le choc de leur crime indescriptible. Il ne peut pas nier le fait de les avoir sauvés d’une situation qui sonnait le glas à leur diktat pour les remettre en scelle et leur donner un pouvoir qu’ils étaient sur le point de perdre définitivement vu l’ampleur de la catastrophe. Macron avait juré aux libanais de les débarrasser de tous les corrompus avec les sanctions immédiates qui conviennent, trois ans après, et quelques crimes supplémentaires qui sont venus se greffer à la longue liste de leur lourd bilan criminel, ils sont toujours là à exiger un président et à bloquer, grâce à sa sollicitude et aux promesses manquées, les libanais ont simplement exprimé leur déception d’une politique bancale et ça n’est que justice. Personne ne peut convaincre les libanais que la France a participé à leur sauvetage. Aucune sanction ni jugement des pourris alors pourquoi nous jeter la pierre?

    Sissi zayyat

    11 h 04, le 21 juillet 2023

  • Et qui nous dit que le quintette de Doha ne conspire pas contre le Liban en vue de poursuivre le plan régional de kessinger : le "nouveau proche orient ? Sont-ils vraiment intéressés à "aider" le Liban à se remettre sur pied ou à garder le Liban à l'état de terrain vague où tout un chacun vient servir ses intérêts.

    Hitti arlette

    10 h 24, le 21 juillet 2023

  • L'interet de la France pour le Liban est manifeste : Un ou deux puits de petrole et de gaz a exploiter, deux ports de haute mer a reconstruire (Beyrouth et Tripoli), les postes Libanaises a restructurer et operer et bientot un aeroport international entier a construire (Kleiat) et peut etre un operateur de telephonie mobile. Aide desinteressee s'il en faut.

    Michel Trad

    10 h 17, le 21 juillet 2023

  • Il ne s'agit pas d'ingratitude mais plutot d'incomprehension. C'est vrai que la France fait des efforts pour les Libanais et est un des rares pays á le faire mais il y a une conviction chez le peuple libanais que les aides y compris celles de la France sont détournées de leur objet par la clique au pouvoir et contribuent á son maintien. D'où la conviction de nombreux libanais que si la France veut vraiment changer les choses, il vaut mieux qu'elle n'intervienne pas. Egalement, les besoins du Liban sont tellement importants que , soyons réalistes, ni la France ni l'Europe, ni le fmi ne pourront tirer le pays d'affaires. Les pays du Golfe pourront. La confiance retrouvée, les libanais eux mêmes pourront. Mais pour que les pays du Golfe interviennent ou que les libanais eux même investissent á nouveau il faut des changements dans la classe politique (le problème Mme Grillo est plus dans les personnes que dans les lois) , et que le système judiciaire garant des investissements fonctionne (or il ne fonctionne pas pour les déposants qui ont investi 150 Mds de dollars ni pour juger les corrompus) Si la France veut aider le Liban elle devrait pousser á la sortie la classe politique actuelle et aider de l'extérieur á l'établissement d'un Etat de Droit Le Liban dans sa structure sociale, politique et économique actuelle ne se réformera pas de l'intérieur.

    Moi

    10 h 03, le 21 juillet 2023

  • Bonjour Elie , je trouve ton article tres realiste.Mais sans avoir ta plume , j'aurai une certaine reflexion a faire. merci a la France pour son grand soutien. .mais toujours, certaines considerations economiques viennent a un moment donne ,se greffer a la situation. il ne faut pas oublier qu au debut du siecle dernier , apres la chute de l empire ottoman , les accord de Sykes Picot ,ont remodele toute la region ,grandement par des considerations economiques et strategiques ,et etroitement pour la diversite ethnique. La declation Balfour est venue rendre la situation inextricable, d ailleurs,nous subissons les consequenses a nos jours .si certains pays de la region entament des discussions et signent des accords ,pour aboutir a un reglement partiel de la situation ,ce n est ,encore une fois que pour des considerations economique et strategiques mutuelles.Et ,probablement, la mainmise sur le Liban, n est que pour des considerations economiques. Pauvre Liban et Libanais.

    Jimmy Barakat

    08 h 56, le 21 juillet 2023

  • Vous avez mis le doigt sur la plaie M. Fayad.

    Khairallah Issam

    07 h 46, le 21 juillet 2023

  • Le Liban n'est aujourd'hui qu'une mosaique imparfaite de communautes qui n'ont souvent rien de commun. Rien qu'a voir les chretiens que s'echarpent issus pourtant de la meme religion, on se dit que creer une osmose entre tous ces agglomerats est mission aujourd;hui impossible. Rien que l'episode de la plage de Saida est assez significatif de la fracture irremediable entre deux mondes qu'aucun president ne pourra reduire. Seule solution, a mon humble avis, un consensus pour aboutir a deux entites independantes. Difficile certes, sinon le chaos a court terme.

    Roborm

    06 h 46, le 21 juillet 2023

  • On à toujours besoin des conseils d’où ils viennent, aussi bien des sages du Liban que de l’extérieur. ´Ambassadrice du Liban dans sa bienveillance vision pour le Liban en parlant de ce que serait le Liban sans l’aide de la France. C’est une vérité indéniable et on doit la remercier d’avoir parlé ainsi. A nos députés d’en prendre crédit de ses paroles et de s’y mettre pour remédier à la chute du Liban. La France n’impose rien du tout, mais propose de ce qui semble être bon pour le Liban qui est dans le coupeur de tous les français. Dans mon enfance, depuis notre regretté De Gaule, les français ont toujours eu à cœur le Liban au point que des mariages mixtes de raisons ont eu entre des français et des françaises avec des libanaises et des libanais.

    Mohamed Melhem

    06 h 06, le 21 juillet 2023

  • Immaturité libanaise.

    Mago1

    03 h 40, le 21 juillet 2023

  • Bravo pour votre lucidité. Paul Demaret

    Demaret Paul / COLLEGE of EUROPE

    00 h 39, le 21 juillet 2023

  • Bravo pour votre lucidité. Paul Demaret

    Demaret Paul / COLLEGE of EUROPE

    00 h 38, le 21 juillet 2023

  • Le cancer qui métastase au Liban ne sera éradiqué que par l'ablation des cellules cancéreuses, l'équivalent d'une chimiothérapie de cheval et une radiothérapie brutale. C'est le coût à assumer pour qu'une rémission puisse être rendue possible. Bonjour les chirurgiens...

    Joseph ADJADJ

    00 h 38, le 21 juillet 2023

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