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Lifestyle - Histoires de thérapies

La guerre de juillet 2006 et les insoutenables souffrances humaines (2/3)

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

La guerre de juillet 2006 et les insoutenables souffrances humaines (2/3)

Illustration Noémie Honein

Avec le début de la guerre et les bombardements israéliens sur le sud du Liban, environ un million de personnes se sont exilées dans leur propre pays en se déplaçant vers Beyrouth et ses environs.

Mme Nayla Moawad, alors ministre des Affaires sociales, et le Conseil supérieur de l’enfance ont réuni la majeure partie des psychologues du pays dans le but de trouver des solutions appropriées à cet exil intérieur.

En fonction de leurs formations et de l’idéologie qui les traversaient, les psychiatres présents optèrent tout de suite pour une recherche immédiate des syndromes PTSD/SSPT chez les enfants. Il s’agit de plusieurs symptômes parmi lesquels l’angoisse, l’agitation ou l’inhibition, l’insomnie, les réveils intempestifs, les troubles de l’appétit avec une anorexie ou une suralimentation anarchique.

Dans ce genre de situations, guerre ou catastrophe naturelle, le problème tel qu’il est posé aujourd’hui est faussé à la base. Évidemment qu’on allait trouver ce genre de symptômes chez les enfants, mais après ? La psychiatrie moderne ne se pose pas cette question : une fois les symptômes trouvés, qu’est-ce qu’on en fait ?

Peut-on traiter tous les enfants chez qui on trouve un PTSD, le syndrome de stress post-traumatique ? Et comment ? Dans un cas individuel, des techniques de psychothérapie comportementale et cognitive sont proposées. Mais devant un phénomène de masse pareil, à quoi bon ? Le risque de médicaliser les enfants, pire, de les psychiatriser, est beaucoup plus grave que la tentative de les soigner.

Me revient à l’esprit une plainte de parents qui ont fui le Sud. Leurs enfants jouent à la guerre en endossant le rôle des combattants et en se tirant dessus avec des armes en bois, qu'ils ont fabriquées. Je réalise que c’est la façon que les enfants ont trouvée pour dépasser le traumatisme subi, tant par leurs parents que par eux-mêmes. Ma réponse aux parents est claire : « Laissez-les faire, c’est par le jeu qu’ils se soigneront des effets du traumatisme. » Je propose aussi à l’assemblée des psychologues et à la ministre des Affaires sociales qui présidait cette assemblée d’appeler notre action : « Laissons jouer les enfants. » Ce titre s’adresse aux parents, aux Israéliens qui avaient utilisé leurs enfants pour écrire sur les bombes des messages aux enfants libanais, et à nous les spécialistes, pour éviter de les psychiatriser, quelles que soient nos bonnes intentions.

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Évidemment, cela a soulevé des objections, dont l’élément central fut précisément énoncé ainsi : « Les enfants ont besoin de nos soins. » La ministre était d’accord avec ma proposition, mais devant les désaccords qui ont suivi, nous avons momentanément renoncé à cette appellation. Par contre, et à ma grande surprise, à la fin de la réunion la représentante de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l'enfance, Maha Damaj, ravie par mes propos, m’a confirmé que mes propos correspondaient parfaitement au point de vue de l’Unicef et des ONG sur le terrain.

En effet, une étude avait été réalisée par l’Unicef, Save the Children, Handicap International, Terre des hommes et d’autres ONG dont les conclusions étaient très proches de mon point de vue. Cette étude a produit un document, celui de l’Inter Agency Standing Committee dont le contenu ressemblait à mon approche. Comme lignes fortes, cette recommandation : « En sollicitant la participation active de la population à l’assistance humanitaire qu’on lui apporte, on évitera de créer un état de dépendance à l’égard des intervenants. »

Une histoire étonnante confirmera cela : dans une petite ville du Sud, une jeune psychologue animait un groupe de paroles des femmes en souffrance. Quand elle m’a vu, elle m’a proposé de me céder sa place. Les plaintes des femmes étaient insoutenables. Inspiré par mon travail d’analyste, je donnais des conseils de bon sens. Une petite fille de 3 à 4 ans n’arrêtait pas de sortir, puis de rentrer auprès de sa mère qui était bien impliquée dans les échanges. Quelle ne fut ma surprise lorsque la petite fille a pris un billet de 1 000 livres libanaises de sa mère et me l’a donné ! Maha Damaj me propose alors de faire une étude pour l’Unicef d’évaluation sur le terrain des besoins en tout genre des habitants du Sud et de la banlieue sud, fortement touchés par les bombardements israéliens.

Avec le début de la guerre et les bombardements israéliens sur le sud du Liban, environ un million de personnes se sont exilées dans leur propre pays en se déplaçant vers Beyrouth et ses environs.Mme Nayla Moawad, alors ministre des Affaires sociales, et le Conseil supérieur de l’enfance ont réuni la majeure partie des psychologues du pays dans le but de trouver des solutions...

commentaires (1)

Que valent tous les sacrifices s’ils se soldent par une "victoire divine". Tous les ""chemins empruntés à deux pour arriver à y voir clair"" et même à plusieurs, on restera dans le brouillard de la guerre… Nous avons la culture du martyre (chrétien comme musulman) et c’est la dimension la plus importante…

Nabil

17 h 03, le 21 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Que valent tous les sacrifices s’ils se soldent par une "victoire divine". Tous les ""chemins empruntés à deux pour arriver à y voir clair"" et même à plusieurs, on restera dans le brouillard de la guerre… Nous avons la culture du martyre (chrétien comme musulman) et c’est la dimension la plus importante…

    Nabil

    17 h 03, le 21 juillet 2023

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