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Lifestyle - Histoires de thérapies

La guerre de juillet 2006 et les insoutenables souffrances humaines (1/3)

Le moment est sacré, intime, personnel. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

La guerre de juillet 2006 et les insoutenables souffrances humaines (1/3)

Illustration Noémie HONEIN

Lorsque éclate la guerre de juillet 2006, je venais, avec mon équipe, de fonder, quelques mois auparavant, le service de psychiatrie de l’Hôpital Mont-Liban (HML) à Hazmieh. Nous étions à environ 100 mètres à vol d’oiseau de la banlieue sud, particulièrement bombardée par l’aviation israélienne. Par mesure de sécurité, les étages encore ouverts ont été déplacés au sous-sol. De nombreux blessés étaient transportés vers les urgences. Dans ces circonstances, le Dr Élie Gharios, directeur médical, me confie une tâche presque impossible, celle d’informer une patiente de 50 ans, hospitalisée, que ses trois enfants de 17, 18 et 20 ans avaient péri dans la dernière attaque israélienne. Je lui ai d’abord répondu que ce n’était pas la responsabilité du psychiatre, mais celle d’un membre de sa famille. Mais comme personne ne voulait le faire, j’ai été obligé d’accepter.

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Avec Elyssar, l’infirmière en chef, je me dirige vers sa chambre. Dehors, la famille restante était présente, dont le mari, indemne. Il nous raconte la pire histoire que j’aie jamais entendu de ma vie : lors du dernier bombardement israélien, toute sa famille était cachée chez lui au premier étage d’un immeuble de 15 étages. Seize membres de sa famille sont morts sur le coup, dont ses trois enfants. Ils ont été enterrés mais sa femme n’a pas été informée par crainte d’une réaction violente de sa part. La douleur dans nos cœurs, Elyssar et moi-même étions sur le point d’éclater en pleurs. On nous emmène chez cette patiente, je me présente à elle et je me surprends à lui dire : « C’est la tâche la plus terrible qui m’ait jamais été confiée. » Elle hurle tout de suite : « Mes enfants ! » et regarde avec fureur son mari qui était caché derrière moi. « Tuez-moi docteur, tout de suite, je ne pourrais pas survivre à cela. » Ses proches ont cherché à la consoler et je me suis retiré avec Elyssar pour les laisser seuls.

Dans mon bureau, nous nous effondrons sans pouvoir nous retenir plus longtemps. Son quatrième enfant, âgé de 10 ans, et qui avait survécu, se trouvait aux soins intensifs. Elle demande à le voir et à nous revoir, Elyssar et moi. L’enfant cachait sa douleur en jouant avec une PlayStation. Malgré l’horreur de la situation, le père affichait un air serein devant la fatalité. L'infirmière en chef et moi réalisons alors que ce n’était pas notre fonction médicale de psy qui avait aidé, mais le fait de les avoir écoutés et accompagnés, comme de simples voisins. L’idée me vient alors de permettre aux rescapés de partager leur douleur avec le reste de la population, et, avec l’accord de Pierre Daher, PDG de la LBC, nous mettons en place une émission télévisée animée par Tony Baroud et le Dr Carol Riachi, médecin de famille, pour prodiguer les conseils de première urgence aux personnes directement frappées par la catastrophe.

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Baptisée Nous sommes tous à vos côtés, cette émission était diffusée deux fois par semaine pendant un mois et demi. Les témoignages partagés étaient insoutenables, tellement que les proches et les amis nous ont suppliés d’arrêter. Parmi ceux-ci : un homme prenant le café avec sa femme sur le balcon de leur maison est frappé par un obus qui détruit la maison mais laisse le mur du balcon intact. Sa femme a été emportée et ensevelie sous les gravats, mais lui est resté indemne, assis sur son balcon. Je lui ai recommandé de l’enterrer selon nos rites et de ne pas se précipiter. Un autre, célibataire, en vacances au Liban-Sud avec son frère et sa famille, était parti acheter des cigarettes. En chemin, un bruit infernal le surprend, il se retourne et voit la maison de son frère complètement détruite avec ses occupants. Il devait rentrer au Brésil et ne savait pas quoi faire. Je lui ai recommandé de ne pas partir avant le quarantième. Un autre encore, piégé sous les bombardements, chez lui à la maison, ne savait pas si sa mère était vivante ou morte, à l’autre bout de la maison. Je lui ai recommandé de l’appeler par son prénom et non pas « maman ».

Ces quelques exemples parmi tant d’autres m’ont amené à répondre par des conseils de bon sens, improvisés sur le vif, car les témoignages étaient en direct, pour soutenir nos compatriotes atterrés. Le fait que les téléspectateurs écoutaient leurs douleurs atténuaient leurs peines en les partageant.

Lorsque éclate la guerre de juillet 2006, je venais, avec mon équipe, de fonder, quelques mois auparavant, le service de psychiatrie de l’Hôpital Mont-Liban (HML) à Hazmieh. Nous étions à environ 100 mètres à vol d’oiseau de la banlieue sud, particulièrement bombardée par l’aviation israélienne. Par mesure de sécurité, les étages encore ouverts ont été déplacés au...

commentaires (1)

""CES QUELQUES EXEMPLES PARMI TANT D’AUTRES M’ONT AMENÉ À RÉPONDRE PAR DES CONSEILS DE BON SENS, IMPROVISÉS SUR LE VIF, CAR LES TÉMOIGNAGES ÉTAIENT EN DIRECT, POUR SOUTENIR NOS COMPATRIOTES ATTERRÉS. LE FAIT QUE LES TÉLÉSPECTATEURS ÉCOUTAIENT LEURS DOULEURS ATTÉNUAIENT LEURS PEINES EN LES PARTAGEANT"". Donc, des conseils de bon sens ! L’empathie est souvent courte, le temps d’un spectacle, de loin, (télé). C’est la mise en scène d’un drame, de la téléréalité. Nous sommes en 2006, à des années de la fin des atrocités commises par des libanais contre des libanais. Reprenons la conclusion, en la modifiant, ""le fait que les téléspectateurs écoutaient leurs douleurs sur la défaite de leur équipe de football, n’atténuaient pas leur peine, mais faisait la joie des supporters de l’équipe adverse victorieuse"". Au Liban, et c’est bien connu, on a la réjouissance du malheur de l’autre, mais il ne faut pas perdre de vue, qu’il s’agit du bombardement sauvage de l’armée israélienne, et là, il y a eu presque une unanimité, non seulement pour condamner, mais d’atténuer la douleur des victimes. D’autres témoignages de la guerre civile laissent de marbre quant à l’indifférence au sort de ses propres voisins… pour qu’ils ne viennent pas nous faire pleurer.

Nabil

09 h 59, le 07 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • ""CES QUELQUES EXEMPLES PARMI TANT D’AUTRES M’ONT AMENÉ À RÉPONDRE PAR DES CONSEILS DE BON SENS, IMPROVISÉS SUR LE VIF, CAR LES TÉMOIGNAGES ÉTAIENT EN DIRECT, POUR SOUTENIR NOS COMPATRIOTES ATTERRÉS. LE FAIT QUE LES TÉLÉSPECTATEURS ÉCOUTAIENT LEURS DOULEURS ATTÉNUAIENT LEURS PEINES EN LES PARTAGEANT"". Donc, des conseils de bon sens ! L’empathie est souvent courte, le temps d’un spectacle, de loin, (télé). C’est la mise en scène d’un drame, de la téléréalité. Nous sommes en 2006, à des années de la fin des atrocités commises par des libanais contre des libanais. Reprenons la conclusion, en la modifiant, ""le fait que les téléspectateurs écoutaient leurs douleurs sur la défaite de leur équipe de football, n’atténuaient pas leur peine, mais faisait la joie des supporters de l’équipe adverse victorieuse"". Au Liban, et c’est bien connu, on a la réjouissance du malheur de l’autre, mais il ne faut pas perdre de vue, qu’il s’agit du bombardement sauvage de l’armée israélienne, et là, il y a eu presque une unanimité, non seulement pour condamner, mais d’atténuer la douleur des victimes. D’autres témoignages de la guerre civile laissent de marbre quant à l’indifférence au sort de ses propres voisins… pour qu’ils ne viennent pas nous faire pleurer.

    Nabil

    09 h 59, le 07 juillet 2023

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