Rechercher
Rechercher

Tue-le-rêve


Maltraitance animale, féminicides, maltraitance infantile… notre société est bien malade. La vidéo d’une puéricultrice déchaînée sur des enfants de moins de trois ans, dans une crèche en banlieue de Beyrouth ironiquement appelée « Garde-Rêve », a fait mal à tout le monde. Insoutenables images où on la voit, en « corvée » déjeuner, gaver ces tout petits comme pour en finir. Le moment du repas, qui devrait être un moment de plaisir, de partage, de paix, d’apprentissage de l’autonomie, devient dans cet huis clos de murs rouges et jaunes une période de terreur absolue. Les enfants sont nourris debout, s’ils ont l’âge de tenir sur leurs jambes, ou couchés, s’ils sont encore nourrissons. Les bouchées leur sont enfoncées de force, et s’il leur prend de s’étouffer avec ces pâtes ou ce pain que la responsable ne leur laisse pas le temps d’avaler, alors s’abat sur eux un orage d’insultes et de coups. Une personne qu’on ne voit pas, probablement une assistante ou une collègue, s’adresse à la tortionnaire. Elle tente peut-être de calmer la rage de cette possédée, ou de se protéger elle-même de la violence dont elle est témoin, ou de « normaliser » la scène en y introduisant une conversation banale, des mots du monde extérieur sur les prix des carburants ou des rires, à l’évidence moins complices que nerveux et certainement soumis. « Tu vas nous faire arrêter », dit-elle à l’autre entre deux esclaffements.


Si ce document existe, c’est parce qu’il a été filmé en cachette par la personne en charge du nettoyage de l’établissement. Pourquoi maintenant, alors que cette crèche est établie depuis plus de cinq ans ? Un conflit a récemment surgi entre l’aide-ménagère et son employeuse. En garde à vue, la puéricultrice tortionnaire a expliqué qu’elle était seule à gérer 25 enfants et qu’elle était débordée. Aurait-il été possible à la propriétaire de hausser ses tarifs et augmenter son personnel ? Sans doute n’a-t-elle pas voulu prendre le risque de perdre sa clientèle. Avenante une fois sortie de l’enfer bariolé où elle officiait, la puéricultrice, soumise à des permanences de neuf heures et sans qualifications, mentait aux parents sur les traces de coups dont étaient couverts les petits corps, prétendait que les enfants étaient attaqués par jeu par leurs camarades. La fillette battue, 11 mois à peine, se réveille en sanglots toutes les nuits et refuse désormais de s’alimenter. « Elle fait ses dents », répond-on à la mère. Toutes les mères, d’ailleurs, dans ce camp de concentration orné de Mickeys, sont ouvertement traitées de « putes » par la même matonne.


Il faut tout un village pour élever un enfant, dit un adage africain. Certes, la crèche n’est pas un luxe pour de jeunes couples qui ont besoin de deux salaires de misère pour faire une vie. Il serait injuste de jeter la pierre aux parents obligés de confier leurs enfants pour aller travailler. Mais on pourrait tout autant leur reprocher un certain manque d’attention et d’écoute par fatigue, un excès de confiance par commodité. Une fois sorti du village, une fois établi dans ces milieux urbains délabrés qui suintent l’angoisse du lendemain, on se retrouve bien seul. Les adultes qui entourent les jeunes, cabossés par les guerres et les privations, n’ont pas de sagesses à partager ni d’histoires à transmettre. Ils subissent et font subir. La brutalité cascade, la négligence est la norme.


Un fait divers, comme on dit. La même semaine où décède une gamine de 7 ans des suites d’un viol. Un fait divers comme il en arrive partout où le chaos est roi, où l’humain, l’animal, l’environnement n’ont aucune valeur pourvu qu’un seul individu déstructuré trouve son bon plaisir à les détruire. Que sait-on de la violence ordinaire qui règne dans certaines maisons de retraite ou centres pour handicapés, ou simplement certains collèges et familles ? Doit-on voir dans ces incidents cruels, qui émergent périodiquement, les symptômes d’une crise sociétale bien plus profonde qu’on ne voudrait le croire ?

Maltraitance animale, féminicides, maltraitance infantile… notre société est bien malade. La vidéo d’une puéricultrice déchaînée sur des enfants de moins de trois ans, dans une crèche en banlieue de Beyrouth ironiquement appelée « Garde-Rêve », a fait mal à tout le monde. Insoutenables images où on la voit, en « corvée » déjeuner, gaver ces...
commentaires (2)

Pour la question très importante et essentielle de la fin de l'edito, et "en peu de mots" : OUI. J'ajouterai une autre question : est-ce la situation socio-economique actuelle en est seule responsable ? Ou bien cette dégradation des valeurs morales vient de plus loin dans le temps, et la situation actuelle n'est autre qu'une des conséquences ?

IRANI Joseph

11 h 18, le 18 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Pour la question très importante et essentielle de la fin de l'edito, et "en peu de mots" : OUI. J'ajouterai une autre question : est-ce la situation socio-economique actuelle en est seule responsable ? Ou bien cette dégradation des valeurs morales vient de plus loin dans le temps, et la situation actuelle n'est autre qu'une des conséquences ?

    IRANI Joseph

    11 h 18, le 18 juillet 2023

  • En peu de mots, oui.

    Charles Ghorayeb

    05 h 15, le 13 juillet 2023

Retour en haut