Gérer le pays avec le moins de casse-têtes possibles. Telle semble être la devise de Nagib Mikati depuis la fin du sexennat de Michel Aoun en octobre dernier. Et les nominations de première catégorie, notamment pour ce qui est du nouveau gouverneur de la Banque du Liban, ne dérogent pas à cette règle. « Pas de Conseil des ministres pour nommer un nouveau patron de la banque centrale ou pour proroger le mandat de Riad Salamé », a tranché le chef du gouvernement sortant dans des propos rapportés lundi par la presse locale.
M. Mikati a donc barré la voie aux accusations lancées contre son cabinet sortant d’aller au-delà de ses prérogatives d’expédition des affaires courantes dans le sens le plus strict du terme. Une façon pour le chef du gouvernement, orphelin de la couverture du Hezbollah, d’éviter une levée de boucliers de la part des partis chrétiens, comme ce fut le cas du patriarche maronite, Béchara Raï, dimanche.
Bien au-delà de la dimension strictement constitutionnelle, les propos du chef du gouvernement sortant sont à interpréter sous un angle politique. « Je ne veux pas de nominations. Ce qui m’importe le plus, c’est le fonctionnement et la continuité de cette institution qu’est la BDL », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. Cette fois-ci donc, et dans une démarche assez rare depuis le début de la vacance à la tête de l’État, M. Mikati a dérogé au mot d’ordre de son plus grand soutien, le président de la Chambre, Nabih Berry, qui estime que nécessité fait loi. Une décision que ce dernier « respecte », comme il l'a souligné lundi devant une délégation de l'ordre des rédacteurs. Aïn el-Tiné ne veut pas voir le premier vice-gouverneur Wassim Mansouri (chiite) aux commandes de la BDL après le départ de Riad Salamé, le 31 juillet. « C’est une très grande responsabilité. Et le président de la Chambre veut éviter que l’on dise que les chiites ont pris la tête de la BDL et échoué à résoudre la crise », justifie un proche du président de la Chambre.
« Si Berry demandait à Mikati de déplacer le soleil… »
Les propos de MM. Berry et Mikati interviennent quelques jours après la menace de démission collective lancée jeudi par les quatre vice-gouverneurs, dont Wassim Mansouri lui-même. Une démarche qui, aux yeux du chef du Parlement, était censée pousser Nagib Mikati à passer à l’acte. D’autant que le Premier ministre avait déjà avalisé et mis en exécution certains choix polémiques de M. Berry. Au point de pousser Marc Daou, député issu de la contestation, à aller très loin dans une critique adressée aux deux responsables. « Si Nabih Berry demande à Nagib Mikati de déplacer le soleil, il le ferait », a lancé le député de Aley dans une déclaration radiodiffusée dimanche.
Quelques jours après le communiqué de jeudi, Nabih Berry s’est entretenu durant le week-end avec Nagib Mikati. Ce dernier, qui avait toujours veillé à garder la porte entrouverte à des nominations, se veut aujourd’hui intraitable : « Pas question de nominations. La balle sera dans le camp des vice-gouverneurs qui devraient expédier les affaires courantes, même s’ils jettent l’éponge », dit-il, rappelant que son cabinet est démissionnaire (depuis les législatives de mai 2022), mais continue d’expédier les affaires courantes jusqu’à l’élection d’un nouveau président.
Le Premier ministre sortant a donc finalement décidé de mettre de l’eau dans son vin, ne voulant pas assumer seul la responsabilité de décisions d’une grande ampleur telles que les nominations. Nagib Mikati n'a pas oublié la polémique sur le changement de l'heure, il y a quelques mois... Cette fois-ci, il devait donc assurer la plus large couverture politique à ce train de décisions. Sauf qu’outre le niet catégorique des chrétiens, une importante pièce manque au puzzle : la bénédiction du Hezbollah. Celui-ci maintient sa position qu'un cabinet sortant ne peut pas procéder à des nominations. « En période de vacance présidentielle, certains fonctionnaires ne peuvent pas décider de se départir de leurs responsabilités, sous prétexte qu’il n’y a pas de président, ni de cabinet doté des pleins pouvoirs », a souligné Hassan Fadlallah, député Hezbollah, dimanche, dans une critique du communiqué des quatre vice-gouverneurs, mais aussi – et surtout – à Nabih Berry (pourtant l’allié le plus constant du Hezbollah) qui rejette l’option Mansouri. Même le Parti socialiste progressiste se distancie de son partenaire de longue date sur ce plan. À l'issue d'un entretien lundi avec Nagib Mikati, Waël Bou Faour, député joumblattiste, a critiqué le communiqué des vice-gouverneurs. « S'il n'y a pas d'entente autour du futur gouverneur de la BDL, le premier vice-gouverneur devrait s'acquitter de ses responsabilités », a-t-il dit.
Le niet du Hezbollah n’est pas la seule raison derrière la volte-face de M. Mikati qui avait donné le sentiment d’être prêt à aller au-delà des affaires courantes, comme l’a montré l’approbation d’un train d’avancement de militaires en juin dernier… sous probable pression de M. Berry. Il y a aussi la colère des partis chrétiens et de Bkerké contre la manière dont le duo Nabih Berry-Nagib Mikati gère le pays en l’absence d'un président. Dans son homélie dominicale, le prélat a vivement tancé le président de la Chambre et son protégé, critiquant les concepts de « législation de nécessité » et de « nominations de nécessité » mis en place par le chef du législatif pour justifier la tenue de séances législatives de la Chambre durant le vide présidentiel, et accorder au gouvernement la faculté d’aller au-delà de la notion d’affaires courantes. Mgr Raï s’est donc montré hostile à la nomination d’un nouveau patron de la BDL. Mais il s’est montré pour une démarche à même d’épargner à l’armée le scénario du vide. « Allez comprendre ce que veulent les maronites ! » commente pour sa part Nagib Mikati.
On lui souhaite de disposer d'une cave bien fournie...
17 h 56, le 11 juillet 2023