Rechercher
Rechercher

Politique - Focus

Quand le Liban officiel abandonne à leur sort les détenus et disparus en Syrie

Le pays du Cèdre s’est abstenu jeudi de voter pour une résolution onusienne mettant en place un organisme d’enquête relative à ce dossier.

Quand le Liban officiel abandonne à leur sort les détenus et disparus en Syrie

L’Assemblée générale de l’ONU en réunion. Photo d’archives AFP

« C’est une honte. » C’est ainsi que Ali Abou Dehen, ancien détenu dans les geôles du régime syrien, commente pour L’Orient-Le Jour l’abstention du Liban concernant le vote d’une décision de l’Assemblée générale des Nations unies de créer « l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en République arabe syrienne ». L’instance en question est chargée de « faire la lumière sur le sort de toutes les personnes disparues en République arabe syrienne et le lieu où elles se trouvent, et d’apporter un soutien approprié aux victimes, aux survivants et aux familles des personnes disparues, en étroite coopération et en association avec tous les acteurs concernés ». La résolution a été votée jeudi soir avec une majorité de 83 voix favorables, 11 contre et 62 abstentions, dont celle du Liban.

La diplomatie libanaise a donc fait un nouveau pied de nez aux parents de centaines de victimes et disparus qui luttent depuis des décennies pour découvrir le sort de leurs proches. « Cela fait depuis les années 80 que nous militons pour cette cause. Et les autorités font la sourde oreille », déplore Ali Abou Dehen.

Une prise de position que le palais Bustros affirme « comprendre », sans pour autant contribuer à panser la plaie. Car l’important est ailleurs. « Il est dans l’intérêt du Liban de ne pas aller à l’encontre de la (quasi-)unanimité arabe. Il est tout aussi crucial de maintenir les canaux de communication avec Damas pour régler tant la question des disparus et détenus que celle des réfugiés syriens. Nous avons donc choisi le moindre des maux », affirme à L’OLJ une source diplomatique anonyme.

C’est d’ailleurs ce qui ressort d’un communiqué publié vendredi par le ministère des Affaires étrangères qui tente de se justifier. « Si le Liban avait voté pour la résolution, le travail de la commission ministérielle arabe dont fait partie le Liban pour régler la crise en Syrie aurait été impacté », explique le texte, dans une allusion à la commission formée en mai dernier à l’issue d’une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, peu avant le sommet de Djeddah, marquant le retour de la Syrie dans le giron arabe, 12 ans après le début de la révolte de 2011.

Lire aussi

La plaie des familles de disparus syriens rouverte par la normalisation

« La décision de s’abstenir a été prise après concertation avec le Premier ministre (sortant), Nagib Mikati, en conformité avec la quasi-unanimité arabe », poursuit le communiqué du palais Bustros, dans une référence au Qatar et au Koweït, les seuls émirats arabes à s’être prononcés en faveur de la démarche onusienne. Et le ministère des AE de préciser que le Liban « ne voudrait pas politiser un dossier humain par excellence, à la faveur de sa politique de distanciation (…) », et « ne veut pas faire un choix qui ne résoudra pas la crise des disparus libanais ».

La diplomatie officielle a toutefois tenu à réitérer son engagement à respecter « les décisions et résolutions internationales », comme pour tenter de calmer la colère des familles et des victimes. En vain. Car jamais « le gouvernement libanais n’a considéré le dossier comme une affaire prioritaire », souligne Ziad Majed, politologue et spécialiste de la Syrie, soulignant que le pays n’a jamais exigé ses ressortissants d’une manière claire. Il est rejoint par Ali Abou Dehen. Ce dernier souligne que « seul Saad Hariri (le leader du courant du Futur) a soulevé la question lors de son déplacement à Damas en 2009 ». Le Courant patriotique libre, fondé par Michel Aoun, ex-chef de l’État, proche de la Syrie, s’oppose à cet argument en assurant que l’ancien président a évoqué ce dossier à plusieurs reprises avec Bachar el-Assad, mais que la démarche n’a pas donné les résultats escomptés.

Les anti-Hezbollah se déchaînent : « une ignominie »

En attendant une prise de position du courant aouniste, et alors que le Hezbollah, grand allié local du régime syrien, observe un silence radio, les anti-Damas sont rapidement montés au créneau avec un seul maître mot : la honte. Qualifiant de « honteuse » l'abstention de vote du Liban, le chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a estimé que « le gouvernement devait non seulement appuyer la résolution des Nations unies, mais aussi demander que le traitement du dossier libanais puisse relever des compétences de l'ONU, afin de déterminer le sort de centaines de Libanais enlevés et détenus dans les prisons syriennes depuis 1975 ». « C’est honteux que le Liban se montre neutre à l’égard d’un crime commis par le régime syrien contre des centaines de Libanais disparus », estime de son côté Ziad Hawat, député des FL. « Plus déplorable encore est l’attitude des gouvernements qui n’ont jamais accompli leur devoir sur ce plan », ajoute-t-il. Le parlementaire FL se montre conscient que le duo Nagib Mikati-Abdallah Bou Habib est responsable du choix fait jeudi soir à New York. Mais à ses yeux, ils ne sont pas les seuls à blâmer. « Il y a aussi Michel Aoun lui-même. Car nombre de détenus ont été enlevés dans la foulée de sa guerre de libération (1989) contre l’armée syrienne. Plus récemment, cet allié du régime n’a pas évoqué le dossier avec Bachar el-Assad », déplore M. Hawat. Allant encore plus loin, Georges Okaïs, également député FL, a exhorté sur Twitter les familles des Libanais concernés à faire du lobbying pour que la future instance onusienne s’autosaisisse du dossier.

Lire aussi

Disparus de la guerre : quand les proches s’en vont sans avoir appris la vérité

De son côté, le bloc du Rassemblement démocratique (affilié au Parti socialiste progressiste du député druze Taymour Joumblatt) ne compte pas se contenter de condamnations verbales. Marwan Hamadé, député joumblattiste, confie que son groupe entend adresser une interpellation officielle au cabinet Mikati au sujet de « cette ignominie faite aux Libanais, et cette insulte faite au Liban, le pays message ». Sauf que cela dépend de la volonté presque discrétionnaire du président de la Chambre, Nabih Berry (également allié local de Damas), qui paralyse le Parlement en attendant une entente élargie autour du futur président de la République, dont l’élection se fait attendre depuis neuf mois.

Appels à démission

L’interpellation du PSP intervient dans un contexte de colère populaire contre le chef de la diplomatie, Abdallah Bou Habib. Certains collectifs et internautes vont jusqu’à l’appeler à démissionner (alors qu’il est membre d’un cabinet sortant depuis mai 2022). Tel est le cas de l’Association des Libanais détenus dans les prisons syriennes. « À la suite de la position irréfléchie et irresponsable (du Liban à l’ONU), nous appelons le ministre qui a « manqué à ses devoirs et ses prérogatives) à démissionner immédiatement et à s’excuser d’abord auprès des parents des détenus et des disparus en Syrie, mais aussi auprès des Libanais qui souffrent de certains hommes politiques arrivés à leurs postes pendant les sales temps », lance l’ONG dans un communiqué publié vendredi.

Une position qui reflète la colère exprimée sur les réseaux sociaux au lendemain de la réunion de New York. « Avis à ceux qui appellent à l’arabité, les pays arabes ont voté (pour le même choix) que le représentant du Hezbollah libanais », a écrit une internaute sur Twitter, dans une pique au ministre sortant des AE. Mais pour une autre, c’est encore plus grave : « Dieu et les mères (des disparus) vont vous maudire. »

« C’est une honte. » C’est ainsi que Ali Abou Dehen, ancien détenu dans les geôles du régime syrien, commente pour L’Orient-Le Jour l’abstention du Liban concernant le vote d’une décision de l’Assemblée générale des Nations unies de créer « l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en République arabe syrienne ». L’instance en...

commentaires (10)

Lorsque le Liban suit la majorité, et qu’il met dans sa poche ses principes moraux pour d’hypothétiques intérêts immédiats, il se comporte en vassal, sans courage, et commet une faute morale. Nous n’avons pas les dirigeants dont le pays a besoin.

K1000

17 h 44, le 01 juillet 2023

Tous les commentaires

Commentaires (10)

  • Lorsque le Liban suit la majorité, et qu’il met dans sa poche ses principes moraux pour d’hypothétiques intérêts immédiats, il se comporte en vassal, sans courage, et commet une faute morale. Nous n’avons pas les dirigeants dont le pays a besoin.

    K1000

    17 h 44, le 01 juillet 2023

  • Vachard Assad devrait libérer tous les détenus libanais et les remettre à la justice libanaise pour les juger s’ils sont aptes à rejoindre leurs familles. Pour ceux qui sont inaptes, connaître le motif de leurs futurs incarcérations et les condamner avec des dates d’emprisonnements précises.

    Mohamed Melhem

    17 h 37, le 01 juillet 2023

  • Aoun - particulièrement concerné car nombre de ses anciens subordonnés ont été déportés en Syrie - prétend avoir "évoqué ce dossier à plusieurs reprises avec Bachar el-Assad, mais que la démarche n’a pas donné les résultats escomptés". Il se serait contenté "d'évoquer" ce dossier et, devant lafin de non recevoirr, il aurait remis sa demande dans sa poche, et son mouchoir par dessus. Tout en continuant à entretenir de bonnes relations avec la Syrie sœur! Comment qualifier une telle attitude? Quelques mots me viennent à l'esprit, mais, pour éviter la censure, je me contenterai de les suggérer. Que penser, par exemple, de "l......", ou bien de "t......."?

    Yves Prevost

    07 h 13, le 01 juillet 2023

  • La majorité des libanais disparus en Syrie sont chrétiens. Ils est donc normal que les gouvernements successifs depuis plusieurs années ne s’en occupent pas. Divorce à l’amiable immédiat vaut mieux qu’une éventuelle guerre civile qui se rapproche de plus en plus.

    Lecteur excédé par la censure

    20 h 24, le 30 juin 2023

  • C'est difficile á admettre mais le Liban a fait ce qu'il devait faire en ne votant pas: Aujourd'hui on a besoin du regime syrien pour le rapatriement des réfugiés. Par ailleurs ne pas voter n'exclut pas la prise en comlte des disparus libanais en Syrie du processus.

    Moi

    19 h 55, le 30 juin 2023

  • Ironie du sort : L'ÉCRASANTE MAJORITÉ DE CEUX QUI ONT DISPARU EN SYRIE SE RETROUVENT PARMI LES DÉPLACÉS AU LIBAN ! Cette résolution renverse nos priorités !

    Chucri Abboud

    17 h 37, le 30 juin 2023

  • Et le Liban aide le boucher !

    TrucMuche

    17 h 15, le 30 juin 2023

  • Honte et décadence

    Haraoui Jean-Paul

    16 h 48, le 30 juin 2023

  • C'était la décision juste.

    Vale Diogo

    16 h 17, le 30 juin 2023

  • Nous sommes dans un non pays, parmi un non peuple et où l'honneur se résume à massacrer les femmes supposées frivoles ou à fustiger un autodafé de Saint Alcoran en Suède.

    M.E

    16 h 00, le 30 juin 2023

Retour en haut