Rechercher
Rechercher

Société - Interview express

« Le brevet libanais est otage de la mauvaise gouvernance »

La professeure et spécialiste de l’éducation Maha Shuayb répond aux questions de « L’Orient-Le Jour », suite à la décision du gouvernement d’annuler le brevet.

« Le brevet libanais est otage de la mauvaise gouvernance »

La professeure Maha Shuayb, détentrice de la chaire de l’Académie britannique de l’éducation en conflit à l’Université de Cambridge et au Centre pour les études libanaises (CLS). Photo DR

La décision d’annuler les épreuves du brevet libanais est tombée ce mercredi. Loin de faire l’unanimité, la mesure a été adoptée par le gouvernement qui a invoqué des difficultés logistiques au sein des forces de l’ordre. Elle a été annoncée par le ministre de l’Éducation, Abbas Halabi, qui s’est plus tard insurgé contre la décision ministérielle. La professeure Maha Shuayb décortique cette décision pour L’Orient-Le Jour. Détentrice de la chaire de l’Académie britannique de l’éducation en conflit à l’Université de Cambridge et au Centre pour les études libanaises (CLS), elle publie régulièrement des recherches sur le secteur éducatif au Liban.

Comment expliquer l’annulation des épreuves du brevet ?

Il est impensable d’annuler un examen officiel à deux semaines de l’épreuve. L’État avait en principe fait une étude sur base de laquelle il a obtenu un financement de l’Unicef. La façon de faire et le timing sont la preuve que notre système ne fonctionne pas et que nous manquons de planification. C’est de toute évidence un mauvais management de la part du ministère de l’Éducation et du gouvernement. Mais lorsqu’on voit la réaction du ministre Abbas Halabi, on se demande comment le gouvernement peut prendre une décision contraire à la volonté du ministre. Certes, cette mauvaise gouvernance ne se limite pas au secteur éducatif. Au Liban, rien ne se déroule de manière professionnelle. Le brevet est malheureusement l’otage de la mauvaise gouvernance et des conflits entre les responsables politiques.

Pour mémoire

Le Liban peut-il accompagner la « transformation de l’éducation » en temps de crise ?

Sur le plan de la décision elle-même, cela pourrait être une bonne décision, sachant que les élèves de l’école publique n’ont pas eu de journées de classe appropriées en qualité et quantité. Une étude que le CLS a menée sur la préparation des élèves aux examens officiels a montré que la majorité d’entre eux ne sont pas prêts pour ces examens. Mais encore faut-il que la décision officielle aboutisse à une solution, qu’elle permette de connaître l’impact du manque d’apprentissage des élèves et quelle stratégie adopter pour régler le problème. Nous espérons dans ce cadre qu’aboutira la stratégie annoncée par le ministère de l’Éducation et le CRDP (Centre de recherche et de développement pédagogique), dont une partie porte sur l’apprentissage manqué. La continuité sera-t-elle assurée au ministère de l’Éducation pour sa bonne application ?

Cette décision ravive le débat sur l’annulation du brevet. Faut-il ou pas annuler cet examen de fin d’études complémentaires ?

Personnellement, je suis avec l’approche française dans ce dossier. D’autres pays l’ont annulé définitivement. J’estime qu’il faut garder le brevet libanais sans pour autant qu’il soit une condition du passage de classe. J’estime aussi que l’examen doit être facile. En France, à titre d’exemple, les élèves passent de classe même s’ils échouent au brevet. Et l’examen est si facile que seuls les très faibles le ratent. Au Liban, en revanche, le brevet est considéré comme une passoire et comme un facteur d’exclusion, parce que le système part du principe qu’il faut faire une sélection et ne faire réussir que les meilleurs. Or l’éducation doit créer des opportunités et ne pas limiter celles-ci aux élites. D’où la nécessité que le brevet permette d’établir un diagnostic pour déceler les faiblesses des élèves, leur apporter un soutien et mieux les orienter.

Que vaut le brevet libanais aujourd’hui ?

Aujourd’hui le brevet est un examen facile au Liban mais pour les mauvaises raisons. C’est en général parce que le programme n’a pas été bouclé. Pour rappel, lorsque Élias Bou Saab était ministre de l’Éducation (2014-2016), il a annulé 45 jours de classe, soit le tiers d’une année scolaire, et donc amputé le programme, pour réduire les coûts.

La question qui se pose aujourd’hui est le niveau des élèves, une véritable catastrophe. Car la crise a eu une influence néfaste sur le niveau de l’éducation. Dans une étude récente que nous avons menée sur le budget de l’éducation, nous avons relevé que les élèves de l’école publique au Liban ont raté 600 jours de classe durant ces années de crise. Cette année, nous considérons qu’ils ont eu 60 jours de classe, sachant que leurs journées sont plus courtes, vu l’absentéisme élevé des enseignants. D’ailleurs, seulement 8 % des élèves ont bénéficié de 5 jours de classe par semaine. Dans ce cadre, les élèves du secondaire réussiront-ils à rattraper leur retard d’ici à la terminale, pour avoir le niveau requis à l’université ?

La décision d’annuler les épreuves du brevet libanais est tombée ce mercredi. Loin de faire l’unanimité, la mesure a été adoptée par le gouvernement qui a invoqué des difficultés logistiques au sein des forces de l’ordre. Elle a été annoncée par le ministre de l’Éducation, Abbas Halabi, qui s’est plus tard insurgé contre la décision ministérielle. La professeure Maha...

commentaires (1)

"les élèves de l’école publique au Liban ont raté 600 jours de classe durant ces années de crise"... eh oui, on fait tout pour marcher à reculons, destination "dark ages"...

Wlek Sanferlou

15 h 12, le 25 juin 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • "les élèves de l’école publique au Liban ont raté 600 jours de classe durant ces années de crise"... eh oui, on fait tout pour marcher à reculons, destination "dark ages"...

    Wlek Sanferlou

    15 h 12, le 25 juin 2023

Retour en haut