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Lifestyle - Histoires de thérapies

L’adolescence (3/3) : Ahmad ou le premier amour

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes.

L’adolescence (3/3) : Ahmad ou le premier amour

Illustration Noémie Honein

J’étais encore à Paris quand je reçois une demande de thérapie venant d’un adolescent, Ahmad*. Très aimé par ses parents et tout autant par ses frères et sœurs, il venait d’avoir 18 ans. Tout le monde s’apprête à fêter cela, mais il n’est pas heureux. Simone*, la fille dont il est amoureux, n’est pas de la fête. Pour des raisons soi-disant religieuses, sa famille ne l’a pas invitée. Depuis que son histoire d’amour avec elle a pris de l’ampleur, sa famille s’est raidie. « En fait, me dit-il, ma famille s’est rendu compte que je ne lui appartenais plus, et, croyez-moi, ce n’était pas une question de religion. »

Ahmad et Simone se connaissaient depuis l’école et leur amour est né alors qu’ils avaient environ 10 ans. Une très belle histoire d’amour dont les parents ne voulaient pas. « Je pensais déjà : j’aime Simone plus que ma mère. » Cette remarque prédestinait Ahmad à sortir de l’adolescence sans trop de problèmes. Évidemment, ses parents, surtout sa mère, ne l’entendait pas de la même manière. D’où les difficultés qui ont surgi. Ahmad est dans un dilemme sérieux. À 18 ans, encore à l’école, il n’est pas indépendant et doit subir le poids de la famille. Il ne peut renoncer à Simone et les frais d’université sont un problème. Comment va-t-il faire ? « Je quitte la maison, j’ai trouvé un job de pompiste la nuit. Je vais m’installer avec Simone, travailler la nuit et faire mes études de droit », me dit-il.

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Je suis en admiration devant ce garçon qui prend avec courage des initiatives à un âge précoce, dans un milieu plutôt fermé. Il faut ajouter que « l’amour donne des ailes ». Bien qu’il ait bien senti une certaine satisfaction chez moi, évidemment, je ne l’ai ni encouragé, ni découragé. Peu de temps après, j’apprends qu’il a réalisé ce qu’il voulait. Sa famille n’était pas d’accord, mais l’amour de Simone était plus fort. Ses parents ont cherché à lui mettre des bâtons dans les roues, cessant tout soutien financier, le menaçant de le renier. Rien n’y a fait. Il fait un emprunt à la banque, loue un petit meublé avec Simone et commence son job de pompiste la nuit ainsi que ses études de droit. De son côté, Simone fait un boulot de baby-sitter pour arrondir les fins de mois.

Les parents d’Ahmad n’en sont pas restés là, le mettant devant le fait attendu de la religion de l’enfant à naître, refusant toujours de recevoir Simone chez eux. Mais rien n’arrête le jeune homme.

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Ma surprise est grande lorsque j’apprends que Simone est enceinte. La famille se met en branle. Ils cherchent à le délégitimer devant les instances religieuses musulmanes. Rien n’y fait, là aussi. Le fils les menace de se convertir à la religion chrétienne, ce qui tempère leur ardeur un moment. Mais les menaces continuent. Ils menacent même les parents de Simone qui, avec sang-froid, restent de marbre. Le problème devient presque une question d’État.

Je reçois moi-même des menaces personnelles, m’accusant d’avoir facilité leur union, ce qui m’oblige à faire appel à l’avocat de l’ordre des médecins qui m’a assuré de son soutien : les parents d’Ahmad ont ainsi reçu une injonction juridique les sommant de cesser leurs agissements. C’est à ce moment seulement que les choses se sont apaisées. « Nous sommes en France et non au Maghreb », leur déclare le juge. J’avoue humblement que cette histoire me donne encore parfois des sueurs dans le dos. Je ne pensais pas que le métier d’analyste pouvait en arriver là.

*Les prénoms ont été modifiés

J’étais encore à Paris quand je reçois une demande de thérapie venant d’un adolescent, Ahmad*. Très aimé par ses parents et tout autant par ses frères et sœurs, il venait d’avoir 18 ans. Tout le monde s’apprête à fêter cela, mais il n’est pas heureux. Simone*, la fille dont il est amoureux, n’est pas de la fête. Pour des raisons soi-disant religieuses, sa...
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