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Lifestyle - Histoires de thérapies

L’adolescence (2/3) : Céline, ou la naissance des seins

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière avec des interlocuteurs qui resteront anonymes.

L’adolescence (2/3) : Céline, ou la naissance des seins

Illustration Noémie Honein

Quand elle est venue me voir pour la première fois, Céline* était mal habillée et avait l’air d’un sac de patates. Pourtant, elle était très belle. « Justement, je ne veux pas être belle », avoue-t-elle, comme si elle lisait dans mes pensées. J’ai été saisi par la puissance de cette déclaration, ainsi exprimée d’emblée par une fille de 14 ans. Elle était le chouchou de la famille, seule fille parmi 5 enfants. De plus, née en dernier, attendue par ses parents avec impatience, elle a toujours joui de son statut de sœur de quatre garçons. Comme toujours dans ces cas-là, les quatre garçons l’ont adoptée, et elle était heureuse de faire comme eux. Elle était un « garçon manqué », lui disait-on, et elle partageait les jeux de garçon de ses frères et de leurs amis. « Alors, dites-moi pourquoi vous ne voulez pas être belle. » « Parce que, depuis que ces saloperies de seins ont poussé, le regard des amis de mes frères a changé. Surtout André. Maintenant, il me regarde avec… désir, je le vois dans ses yeux qui se dirigent en permanence vers ma poitrine… On dirait qu’il ne pense qu’à ça. » « À quoi ? » « Vous le savez bien. Avant, André et moi jouions ensemble, nous faisions du vélo ensemble, parfois même, quand nous étions en vacances tous ensemble et que nous n’avions pas assez de place, il nous arrivait de dormir dans le même lit. » Je garde un silence neutre, mais bienveillant. « Maintenant, depuis que mes seins ont poussé, tout cela est terminé. »

La souffrance de Céline était grande. Devenir femme l’amenait à perdre un grand nombre de choses, et surtout cette amitié avec les garçons, à leur tête André, le grand ami de son frère. « En plus, j’ai eu mes règles, et j’ai sali mon slip et mon pantalon. Et figurez-vous que ça s’est vu… »

Devenir femme était donc à ses yeux un peu synonyme de honte. Elle ne voulait pas être différente des autres, et les autres, pour elle, c’étaient les amis de son frère. La puberté paraissait être un problème pour Céline, et, à vrai dire, je me sentais à ce moment-là impuissant. Elle était en retard par rapport à la moyenne des filles, comme si elle avait voulu retarder le moment de sa puberté. Et comme si elle lisait encore dans mes pensées, elle me dit : « Je ne comprends pas pourquoi les autres filles de ma classe sont contentes d’avoir eu leurs règles. »

Finalement, elle m’a plutôt à la bonne et me raconte l’histoire de sa famille. Sa mère s’appelle Dominique, « un prénom de fille, mais aussi de garçon, précise-t-elle avec une sorte de mépris. Et évidemment, c’est elle qui «porte le pantalon», comme on dit. Son père s’écrasait et laissait faire sa femme. « C’est elle qui décide de tout », poursuit-elle avec une sorte de rage. Encore une fois, je me sentais impuissant, et encore une fois, Céline me donnait le courage de continuer. » « Vous savez, je l’aime bien, ma mère, mais j’aurais voulu que mon père réagisse au moins une fois. » « Oui. » « Imaginez-vous qu’il n’avait même pas son mot à dire pour la couleur des murs que l’on devait repeindre. » « Et vos frères dans tout ça ? » « Ils ont compris et sont restés en dehors pour ne pas avoir à subir cela. » Les choses devenaient plus claires. Être comme ses frères lui permettait d’échapper à sa mère qui ne pouvait pas lui servir de modèle identificatoire féminin. « Comment faire ? » demande-t-elle, comme si elle lisait encore une fois dans mes pensées. « Finalement, dans tout mon entourage familial, il n’y a qu’une femme, c’est ma grand-mère paternelle. Évidemment, ma mère ne l’aime pas, et on la voit rarement. » Elle venait de trouver la solution : la grand-mère. « Je devrais lui rendre visite plus souvent et, peut-être, apprendre d’elle comment être une femme. »

*Le prénom a été modifié

Quand elle est venue me voir pour la première fois, Céline* était mal habillée et avait l’air d’un sac de patates. Pourtant, elle était très belle. « Justement, je ne veux pas être belle », avoue-t-elle, comme si elle lisait dans mes pensées. J’ai été saisi par la puissance de cette déclaration, ainsi exprimée d’emblée par une fille de 14 ans. Elle...

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