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Société - Reportage

À Mar Mikhaël, le ballet nocturne des enfants mendiants

Durant la période évaluée entre 2019 et 2021, l’Unicef a constaté que les familles libanaises sont sept fois plus nombreuses à faire travailler leurs enfants depuis la crise. 

À Mar Mikhaël, le ballet nocturne des enfants mendiants

Un enfant courant dans une rue de Beyrouth. Photo d'illustration Joao Sousa/L'Orient-Le Jour

Pour Issa*, 13 ans, casquette bleue visée sur la tête, la nuit s’annonce longue. « Ça fait des heures que je tourne, mais personne ne me donne des sous », soupire-t-il. Il est 20 heures en ce début de semaine, et les restaurants et bars de la rue d’Arménie, dans le quartier de Mar Mikhaël à Beyrouth, sont déjà pleins.

Avec Ghazi, 12 ans et arborant Spiderman sur son tee-shirt, les deux cousins libanais longent les voitures la main tendue, le regard las. « J’ai besoin d’un livre pour l’école, mais il coûte 15 dollars », raconte Issa. « Je ne suis pas comme eux », précise-t-il, en allusion aux enfants mendiants originaires de Syrie. Ghazi, lui, explique simplement devoir nourrir sa famille.

De l’autre côté du trottoir, deux frères syriens Hamad et Ghiza, 9 et 12 ans, tentent de vendre leurs roses. Café à la main, cernes sous les yeux, Hamad explique en désignant une femme recroquevillée plus loin dans la rue : « C’est pour ma maman. » De 17 heures à 2 heures, ils récoltent entre 1,5 et 2 millions de livres libanaises (entre 16 et 21 dollars) qu’ils rapportent à leur mère.

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« Si je n’arrive pas à vendre tous mes mouchoirs, je ne rentre pas à la maison », indique Ilham, une petite Syrienne de 5 ans. Cette petite fille aux chaussures roses pailletées dit ne pas connaître ses parents et être venue seule. Pourtant, elle retourne souvent vers une femme assise non loin de là et qui semble garder un œil sur elle.

Dans la bouche de ces enfants, il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux. Les commerçants de la rue d’Arménie les connaissent bien. « Ce sont toujours les mêmes, répètent ceux interrogés, et ils reviennent avec les mêmes histoires » que leur ont inculquées leurs parents, présument-ils : un père handicapé par un disque au dos, la nécessité de nourrir sa famille ou d’aller à l’école...

« J’ai peur que cela devienne un business »

« Vous voyez, ses parents sont juste là-bas », pointe du doigt Hagop**, barista d’un café très fréquenté du quartier. « Ils l’envoient ici parce qu’ils savent que notre clientèle est aisée et qu’elle donnera de l’argent plus facilement à un enfant. C’est pour cela que les parents les utilisent comme appâts », commente-t-il.

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Ilham en ressort justement, bredouille, puis se dirige, chancelante, vers la supérette de Mohammad*, dont les sucreries de toutes les couleurs contrastent avec la rue sombre. C’est ici que la petite a pris l’habitude de venir s’acheter à manger. « Je me suis attaché à elle depuis le temps », lance, attendri, le commerçant à l’allure d’armoire à glace. Une affection qui décuple sa colère envers ses parents : « Ils font des enfants puis les jettent dans la rue dans l’unique but que les gens aient mal au cœur et leur donnent des sous ! s’exclame-t-il de sa grosse voix. Évidemment, ça marche, et c’est terrible. »

Si la mendicité est illégale au Liban (article 610 du code pénal), tout comme le travail des mineurs depuis 2012 (notamment dans la rue), l’État demeure absent sur ce sujet comme sur tant d’autres dans un Liban en crise depuis près de quatre ans. Amira Sukkar, présidente de l’Union pour la protection de l’enfance au Liban (UPEL), craint même l’existence d’un trafic : « J’ai peur que cela devienne un business. Les enfants sont trop innocents pour se rendre compte qu’il y a une forme de manipulation des parents. » Présente au Liban depuis 1936, l’association estime que chaque enfant gagne en moyenne un million de livres chaque soir.

Faute de statistiques toutefois, le nombre exact d’enfants mendiants au Liban n’est pas connu. Seul indice : selon une étude de l’Unicef datant de 2021, 12 % des familles interrogées ont signalé avoir un enfant qui travaille. Durant la période évaluée entre 2019 et 2021, l’organisation onusienne a également constaté que les familles libanaises sont sept fois plus nombreuses à faire travailler leurs enfants depuis la crise et que le nombre d’enfants syriens qui travaillent a doublé, sans toutefois fournir de données chiffrées. Déjà, en 2016, l’Organisation internationale du travail révélait que la mendicité représentait la forme de travail des enfants la plus fréquente au Liban avec un taux de 43 %.

« Nous intervenons dès que l'on nous signale la présence d’un enfant. Nous menons une investigation sociale pour cerner la situation des enfants puis nous essayons de les scolariser et de nous assurer de leur santé », poursuit Amira Sukkar, avant d’évoquer l’exemple d’une jeune fille de 13 ans, seule et enceinte, qui a été placée dans un foyer par l’Union.

« Ça nous fend le cœur »

De retour dans la rue d’Arménie, Hamad s’approche de la vitrine d’un glacier sur laquelle il donne quelques coups à l’attention de quatre jeunes qui y sont attablés. Tous détournent le regard et un silence gêné s’installe. Puis la conversation reprend. Finalement, c’est comme si l’enfant n’existait pas. Hamad s’en va et disparaît.

Au même moment, John* et son ami Amaury, deux touristes français, sortent du glacier. « À force de les voir dans la rue, on devient indifférents. C’est très triste, ça nous fend le cœur. Mais on ne pense pas que c’est en leur donnant de l’argent que nous allons véritablement améliorer leur sort, confient-ils, avant d’acheter à manger au petit garçon. Au moins, comme ça, on est sûrs qu’il en profitera directement. »

Il est bientôt minuit et, à Mar Mikhaël, la vie nocturne bat toujours son plein. Au même rythme que le ballet incessant des enfants mendiants.

*Les noms de famille des enfants ont été préservés.

**Les prénoms ont été modifiés par souci d'anonymat des interlocuteurs.

Pour Issa*, 13 ans, casquette bleue visée sur la tête, la nuit s’annonce longue. « Ça fait des heures que je tourne, mais personne ne me donne des sous », soupire-t-il. Il est 20 heures en ce début de semaine, et les restaurants et bars de la rue d’Arménie, dans le quartier de Mar Mikhaël à Beyrouth, sont déjà pleins.
Avec Ghazi, 12 ans et arborant Spiderman sur son tee-shirt,...

commentaires (6)

Que dieu vienne en aide à tous les enfants malheureux qui eu la malchance de naitre dans des familles qui se soucient, comme de leur dernière cigarette fumée, de leurs progénitures et continuent de faire tous les jours un peu plus de miséreux dans le monde. Ces enfants n’ont rien demandé et les voilà dès leur jeune âge confrontés à la cruauté de ce monde parce que nés pauvres et dans des conditions difficiles avec des parents cupides et ignorants. La pauvreté n’excuse pas tout, beaucoup de familles sont pauvres mais acceptent les aides proposées par des associations et des écoles pour le bien être de leurs enfants au lieu de leur refuser ce droit pour qu’ils puissent les exploiter pour acheter leurs cigarettes affalés chez eux en train d’attendre que leurs gamins rentrent épuisés par des heures d’errance au soleil ou dans le froid à faire la manche. Sait on seulement s’il s’agit de ces mêmes parents qui, à l’âge de la puberté les envoient faire la guerre au service de partis vendus contre un salaire à leur mort ou pire un mausolée à leurs effigies. C’est Là que réside le comble du cynisme de l’humain ignorant. Voilà pourquoi ils font treize à la douzaine, c’est un business comme un autre mais avec des âmes innocentes.

Sissi zayyat

16 h 42, le 28 juin 2023

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Commentaires (6)

  • Que dieu vienne en aide à tous les enfants malheureux qui eu la malchance de naitre dans des familles qui se soucient, comme de leur dernière cigarette fumée, de leurs progénitures et continuent de faire tous les jours un peu plus de miséreux dans le monde. Ces enfants n’ont rien demandé et les voilà dès leur jeune âge confrontés à la cruauté de ce monde parce que nés pauvres et dans des conditions difficiles avec des parents cupides et ignorants. La pauvreté n’excuse pas tout, beaucoup de familles sont pauvres mais acceptent les aides proposées par des associations et des écoles pour le bien être de leurs enfants au lieu de leur refuser ce droit pour qu’ils puissent les exploiter pour acheter leurs cigarettes affalés chez eux en train d’attendre que leurs gamins rentrent épuisés par des heures d’errance au soleil ou dans le froid à faire la manche. Sait on seulement s’il s’agit de ces mêmes parents qui, à l’âge de la puberté les envoient faire la guerre au service de partis vendus contre un salaire à leur mort ou pire un mausolée à leurs effigies. C’est Là que réside le comble du cynisme de l’humain ignorant. Voilà pourquoi ils font treize à la douzaine, c’est un business comme un autre mais avec des âmes innocentes.

    Sissi zayyat

    16 h 42, le 28 juin 2023

  • Ils font des enfants par douzaine et savent très bien qu’ils sont incapables de subvenir à leurs besoins. Ils les jettent sous les roues des voitures pour faire la manche. Les enfants nourrissent leurs parents et les remettent en forme. Et la procréation continue.

    Hitti arlette

    19 h 13, le 26 juin 2023

  • “J’ai donné de l’argent à un mendiant, j’ai fait une très mauvaise chose “. Ceux qui donnent veulent en fait se donner à eux-mêmes bonne conscience et font que le problème perdure. Arrêtez d’alimenter ce système d’exploitation!

    Mago1

    13 h 49, le 26 juin 2023

  • Ce qui m’a choquée c’est la petite fille de 13 ans enceinte. Mon Dieu aide le Liban

    Eleni Caridopoulou

    13 h 43, le 25 juin 2023

  • Nous travail depuis des années pour essayer de trouver une solution à cette triste réalité . Ces enfants sans enfance D’où qu’ils viennent sont terriblement émouvants et tristes et ça me fend le cœur de les rencontrer. Je ne me lasserais jamais de leur donner de quoi se nourrir des bouteilles d’eau fraîche et quelquefois des jouets . Beaucoup nous disent que s’ils ne rapportent pas cette aide ils se font battre . Nous avons dialoguer chez les petits Soleils avec certains parents .. ( venant du Akkar et de la bekaa quelques fois plus simplement de Nabaa .. ) pour essayer de les scolariser . Une maison pour l’enfance avait été édifiée à Kahale pour eux avec l’aide de Mme Lahoud alors première dame . Les familles nous réclamaient à l’époque 800 et voir même 1000 dollars par enfant pour nous les confier .. Alors que toute était pris en charge pour l’enfant scolarité etc … Impossible d’y arriver Certains devenus adultes viennent nous voir régulièrement au centre . .. pour un moment de dialogue et d’humanité . Nous avons aidé quelques un à sen sortir mais rien à faire de plus .. À part continuer à compter sur l’humain lui même

    Noha Baz

    13 h 28, le 25 juin 2023

  • 1. Je doute que le mome soit vraiment libanais 2. Si c'est le cas ce n'est pas étonnant. Le gouvernement libanais a bati l'alfa et l'omega de sa politique economique sur la mendicité systemique et en est fier !!! 3. Que ce soit le petit libanais ou les deux petits syriens, ce constat pose des questions sur le programme de la Banque Mondiale pour aider les familles les plus pauvres et sur l'aide des nations unies pour les réfugiés syriens. Ces insitutions ont elles vérifié si les aides vont vraiment aux populations ciblées plutot qu'aux proches des hauts fonctionnaires et des barons de la mafia locale dans la plus pure tradition libanaise de partage du butin? 4. Je suis contre ces aides car elles rendent les populations dépendantes, incitent á la paresse sociale et neutralisent pour longtemps les capacités de production sans vraiment améliorer les revenus. Il vaut mieux foutre trois ou quatre corrompus en prison, ce qui sera un signe que les gouvernants sont (devenu) responsables et que le système judiciaire fonctionne, restructurer le secteur bancaire, et utiliser le capital sympathie que le Liban possède encore pour permettre l'export et le tourisme (= que les chancelleries au lieu d'aider á la mendicité contribuent au développement economique) .

    Moi

    02 h 13, le 25 juin 2023

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