Pour Issa*, 13 ans, casquette bleue visée sur la tête, la nuit s’annonce longue. « Ça fait des heures que je tourne, mais personne ne me donne des sous », soupire-t-il. Il est 20 heures en ce début de semaine, et les restaurants et bars de la rue d’Arménie, dans le quartier de Mar Mikhaël à Beyrouth, sont déjà pleins.
Avec Ghazi, 12 ans et arborant Spiderman sur son tee-shirt, les deux cousins libanais longent les voitures la main tendue, le regard las. « J’ai besoin d’un livre pour l’école, mais il coûte 15 dollars », raconte Issa. « Je ne suis pas comme eux », précise-t-il, en allusion aux enfants mendiants originaires de Syrie. Ghazi, lui, explique simplement devoir nourrir sa famille.
De l’autre côté du trottoir, deux frères syriens Hamad et Ghiza, 9 et 12 ans, tentent de vendre leurs roses. Café à la main, cernes sous les yeux, Hamad explique en désignant une femme recroquevillée plus loin dans la rue : « C’est pour ma maman. » De 17 heures à 2 heures, ils récoltent entre 1,5 et 2 millions de livres libanaises (entre 16 et 21 dollars) qu’ils rapportent à leur mère.
« Si je n’arrive pas à vendre tous mes mouchoirs, je ne rentre pas à la maison », indique Ilham, une petite Syrienne de 5 ans. Cette petite fille aux chaussures roses pailletées dit ne pas connaître ses parents et être venue seule. Pourtant, elle retourne souvent vers une femme assise non loin de là et qui semble garder un œil sur elle.
Dans la bouche de ces enfants, il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux. Les commerçants de la rue d’Arménie les connaissent bien. « Ce sont toujours les mêmes, répètent ceux interrogés, et ils reviennent avec les mêmes histoires » que leur ont inculquées leurs parents, présument-ils : un père handicapé par un disque au dos, la nécessité de nourrir sa famille ou d’aller à l’école...
« J’ai peur que cela devienne un business »
« Vous voyez, ses parents sont juste là-bas », pointe du doigt Hagop**, barista d’un café très fréquenté du quartier. « Ils l’envoient ici parce qu’ils savent que notre clientèle est aisée et qu’elle donnera de l’argent plus facilement à un enfant. C’est pour cela que les parents les utilisent comme appâts », commente-t-il.
Ilham en ressort justement, bredouille, puis se dirige, chancelante, vers la supérette de Mohammad*, dont les sucreries de toutes les couleurs contrastent avec la rue sombre. C’est ici que la petite a pris l’habitude de venir s’acheter à manger. « Je me suis attaché à elle depuis le temps », lance, attendri, le commerçant à l’allure d’armoire à glace. Une affection qui décuple sa colère envers ses parents : « Ils font des enfants puis les jettent dans la rue dans l’unique but que les gens aient mal au cœur et leur donnent des sous ! s’exclame-t-il de sa grosse voix. Évidemment, ça marche, et c’est terrible. »
Si la mendicité est illégale au Liban (article 610 du code pénal), tout comme le travail des mineurs depuis 2012 (notamment dans la rue), l’État demeure absent sur ce sujet comme sur tant d’autres dans un Liban en crise depuis près de quatre ans. Amira Sukkar, présidente de l’Union pour la protection de l’enfance au Liban (UPEL), craint même l’existence d’un trafic : « J’ai peur que cela devienne un business. Les enfants sont trop innocents pour se rendre compte qu’il y a une forme de manipulation des parents. » Présente au Liban depuis 1936, l’association estime que chaque enfant gagne en moyenne un million de livres chaque soir.
Faute de statistiques toutefois, le nombre exact d’enfants mendiants au Liban n’est pas connu. Seul indice : selon une étude de l’Unicef datant de 2021, 12 % des familles interrogées ont signalé avoir un enfant qui travaille. Durant la période évaluée entre 2019 et 2021, l’organisation onusienne a également constaté que les familles libanaises sont sept fois plus nombreuses à faire travailler leurs enfants depuis la crise et que le nombre d’enfants syriens qui travaillent a doublé, sans toutefois fournir de données chiffrées. Déjà, en 2016, l’Organisation internationale du travail révélait que la mendicité représentait la forme de travail des enfants la plus fréquente au Liban avec un taux de 43 %.
« Nous intervenons dès que l'on nous signale la présence d’un enfant. Nous menons une investigation sociale pour cerner la situation des enfants puis nous essayons de les scolariser et de nous assurer de leur santé », poursuit Amira Sukkar, avant d’évoquer l’exemple d’une jeune fille de 13 ans, seule et enceinte, qui a été placée dans un foyer par l’Union.
« Ça nous fend le cœur »
De retour dans la rue d’Arménie, Hamad s’approche de la vitrine d’un glacier sur laquelle il donne quelques coups à l’attention de quatre jeunes qui y sont attablés. Tous détournent le regard et un silence gêné s’installe. Puis la conversation reprend. Finalement, c’est comme si l’enfant n’existait pas. Hamad s’en va et disparaît.
Au même moment, John* et son ami Amaury, deux touristes français, sortent du glacier. « À force de les voir dans la rue, on devient indifférents. C’est très triste, ça nous fend le cœur. Mais on ne pense pas que c’est en leur donnant de l’argent que nous allons véritablement améliorer leur sort, confient-ils, avant d’acheter à manger au petit garçon. Au moins, comme ça, on est sûrs qu’il en profitera directement. »
Il est bientôt minuit et, à Mar Mikhaël, la vie nocturne bat toujours son plein. Au même rythme que le ballet incessant des enfants mendiants.
*Les noms de famille des enfants ont été préservés.
**Les prénoms ont été modifiés par souci d'anonymat des interlocuteurs.
Avec Ghazi, 12 ans et arborant Spiderman sur son tee-shirt,...
commentaires (6)
Que dieu vienne en aide à tous les enfants malheureux qui eu la malchance de naitre dans des familles qui se soucient, comme de leur dernière cigarette fumée, de leurs progénitures et continuent de faire tous les jours un peu plus de miséreux dans le monde. Ces enfants n’ont rien demandé et les voilà dès leur jeune âge confrontés à la cruauté de ce monde parce que nés pauvres et dans des conditions difficiles avec des parents cupides et ignorants. La pauvreté n’excuse pas tout, beaucoup de familles sont pauvres mais acceptent les aides proposées par des associations et des écoles pour le bien être de leurs enfants au lieu de leur refuser ce droit pour qu’ils puissent les exploiter pour acheter leurs cigarettes affalés chez eux en train d’attendre que leurs gamins rentrent épuisés par des heures d’errance au soleil ou dans le froid à faire la manche. Sait on seulement s’il s’agit de ces mêmes parents qui, à l’âge de la puberté les envoient faire la guerre au service de partis vendus contre un salaire à leur mort ou pire un mausolée à leurs effigies. C’est Là que réside le comble du cynisme de l’humain ignorant. Voilà pourquoi ils font treize à la douzaine, c’est un business comme un autre mais avec des âmes innocentes.
Sissi zayyat
16 h 42, le 28 juin 2023