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Société - Liban

Au Liban, le tabou des femmes seules

Veuves, divorcées, mères ou non mariées, les célibataires représentent une large part de la société. Mais dans un pays resté en arrière sur le droit des femmes, un tabou continue de planer autour de celles qui doivent davantage se battre pour exister.

Au Liban, le tabou des femmes seules

Deux femmes dînant seules dans un restaurant à Beyrouth. Photo Joao Sousa

« Je suis célibataire et heureuse de l’être, mais il faut sans cesse travailler pour gagner le respect », nous confie Mirna, une quinquagénaire jamais mariée. Comment vivre seule dans une société qui attend des femmes qu’elles se marient et procréent ? Cette question restée longtemps taboue a fait l’objet d’un débat il y a quelques mois, lors de la table ronde « Regards croisés sur la place des femmes seules au Liban », organisée par l’Institut français à Zghorta, dans la continuité d’une série de podcasts, réalisés par la journaliste Tiphaine Malfettes. Une occasion rare de débattre de ce sujet pourtant omniprésent dans la société.

« On se confronte à un mur, surtout lorsqu’on veut parler des mères célibataires et des enfants conçus hors mariage, observe Tiphaine Malfettes lors d’un entretien avec L’Orient-Le Jour. Les divorcées s’avèrent la plupart du temps incapables de retrouver un mari. Les veuves sont au contraire relativement épargnées. »

« Quand les hommes me voient, ils pensent que c’est open »

Bien qu’elles soient de manière générale poussées à préserver un certain label de « respectabilité » suivant les normes de la société, les femmes seules ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Souvent perçues comme des proies faciles par leur entourage masculin, les divorcées, en particulier, paient le prix fort de leur célibat. « Quand les hommes me voient, ils pensent que c’est open, qu’ils peuvent sortir avec moi sans prise de tête, que je n’ai aucune attente… comme si j’étais frustrée », lâche Rana, quarantenaire élevant seule ses trois enfants. Après plus de dix ans à supporter un mari dépressif et alcoolique, elle a fini par demander le divorce auprès des tribunaux religieux de sa communauté. « Un soir, nous étions seuls à la maison, il en a profité pour me frapper. Ça a été le déclic pour le quitter », raconte cette directrice d’une société de conception de jeux vidéo.

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Les statistiques compilées par les tribunaux religieux traitant du statut personnel des Libanais établissent en effet que les épouses sont de plus en plus nombreuses à demander le divorce, par refus des violences conjugales, ou des relations à distance due à l’exil d’un des conjoints pour travailler à l’étranger. Depuis les années 1970, le nombre de divorces a doublé au Liban, jusqu’à atteindre 34 % des mariages contractés, selon une étude publiée en 2022 par le Centre d’information et d’aide à la décision du Conseil des ministres égyptiens. Ce taux reste toutefois inférieur au reste du monde arabe et à l’Europe. Les pressions économiques, l’évolution des normes sociétales, les réformes juridiques, mais surtout l’évolution du rôle des femmes seraient à l’origine de cette augmentation des cas de divorces.

Si le divorce des épouses est aujourd’hui davantage accepté par les familles libanaises, il s’avère ensuite plus difficile pour les femmes de retrouver un mari. Une étude publiée en 2013 par Riad Tabbara, directeur du Centre d’études et de projets pour le développement, établit que le nombre de femmes célibataires divorcées est quatre fois supérieur à celui des hommes, qui ont davantage de facilité à se remarier. « J’aimerais trouver un partenaire avec qui je pourrai vivre une vraie expérience de couple », poursuit Rana, dont l’ex-mari s’est remarié aux États-Unis. « Mais je ne vais pas non plus me tuer si ça n’arrive pas... Le plus important, c’est d’être acceptée comme je suis, et de réussir à changer les choses autour de moi. Car je n’ai jamais voulu que l’on m’impose quoi que ce soit », relativise-t-elle.

« J’ai découvert ma force »

Le mariage paraît donc moins attractif pour des femmes de plus en plus éduquées, capables de faire carrière, et de vivre de façon autonome comme les hommes. L’étude de Riad Tabbara indique aussi que l’âge moyen du mariage est aujourd’hui de 32 ans au Liban, alors qu’il était de 24 ans dans les années 1990. Dans un contexte où les migrations économiques jouent un rôle-clé, le mariage ne semble plus une priorité pour les moins de 35 ans, majoritairement célibataires.

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« Je ne suis pas célibataire par choix, je n’ai tout simplement pas rencontré la bonne personne. C’est le destin », estime pour sa part la quinquagénaire Mirna, qui rêvait de trouver un mari riche pour ne pas travailler. « Ma mère me répétait toujours : tu es belle et éduquée, tu es une fille à marier... comme si le mariage était une récompense », analyse avec le recul l’enseignante de français. À l’aube de la trentaine, Mirna décide de s’installer seule à Tripoli. « J’ai découvert ma force, en vivant des situations jusque-là inimaginables ! Je suis devenue quelqu’un de responsable, avec une vie sociale riche et beaucoup d’amis, relate-t-elle. Chacune a le pouvoir de décider de l’image qu’elle souhaite renvoyer aux autres. Mais une situation continue de bloquer : une femme non mariée peut difficilement avoir des enfants. ». Ici, il faudrait nuancer parce qu’il y a des cas de femmes ayant eu des enfants hors mariage au Liban.

Les mères célibataires s’avèrent impossibles à quantifier tant elles sont marginalisées par la société. « Un danger de mort plane sur certaines qui trouvent refuge auprès d’ONG, dénonce Tiphaine Malfettes. Faire des enfants hors mariage n’est pas concevable dans les mentalités de nombre de Libanais. »

« Je suis célibataire et heureuse de l’être, mais il faut sans cesse travailler pour gagner le respect », nous confie Mirna, une quinquagénaire jamais mariée. Comment vivre seule dans une société qui attend des femmes qu’elles se marient et procréent ? Cette question restée longtemps taboue a fait l’objet d’un débat il y a quelques mois, lors de la table ronde « Regards...

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La souffrance dans notre pays se trouve sur chaque marche de l'échelle, à chaque étage, à chaque étape de la vie, dans chaque classe sociale et chaque coin de la rue et à tous les âges. La vie est difficile dans cet Orient désorienté, mais on finit toujours par trouver son chemin, l'aimer, et ne plus pouvoir nous en séparer.

Céleste

00 h 32, le 20 juin 2023

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Commentaires (1)

  • La souffrance dans notre pays se trouve sur chaque marche de l'échelle, à chaque étage, à chaque étape de la vie, dans chaque classe sociale et chaque coin de la rue et à tous les âges. La vie est difficile dans cet Orient désorienté, mais on finit toujours par trouver son chemin, l'aimer, et ne plus pouvoir nous en séparer.

    Céleste

    00 h 32, le 20 juin 2023

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