Une fois de plus, les députés ont raté l’occasion d’élire un président. La douzième séance parlementaire consacrée à l’élection présidentielle avait pourtant suscité des espoirs chez certaines parties qui étaient convaincues qu’elle consacrerait un changement dans les rapports de force politiques en faveur du candidat Jihad Azour. Mais si les résultats ont donné un avantage certain au candidat des formations chrétiennes et de l’opposition, le candidat concurrent n’est pas sorti de la course. Il a même confirmé des pronostics qui lui attribuaient un minimum de 50 voix.
Chacun des deux camps peut ainsi se considérer gagnant et la présidentielle évolue dans un cercle vicieux infernal. Le président de la Chambre l’a d’ailleurs confirmé dans un entretien hier, lorsqu’il a affirmé que cela ne servirait à rien de convoquer les députés à une nouvelle séance électorale puisque ce sera grosso modo le même scénario (sachant qu’à l’issue du premier tour, où un candidat a besoin d’obtenir 86 voix pour être élu président, il y a systématiquement un défaut de quorum pour empêcher la tenue d’un second dans lequel la majorité requise est de 65 voix seulement).
Cela signifie-t-il pour autant que le Liban est condamné à rester sans président tant qu’aucun des deux camps ne sera prêt à changer de position ? Une source diplomatique occidentale se montre plus optimiste. Selon elle, ce qui s’est passé était prévisible et finalement, c’est peut-être un scénario positif. En effet, le maintien des deux principaux candidats dans la course ouvre la voie à des négociations sérieuses sur une troisième voie ou même sur l‘un des deux candidats déjà déclarés. Par contre si l’un d’eux avait été éliminé, il n’y aurait eu plus rien à négocier...
Selon la source précitée, les onze précédentes séances d’élection présidentielle avaient montré un déséquilibre entre d’un côté le camp qui appuie Sleiman Frangié, qui repose sur des alliances solides et commence la course avec un bon paquet de voix, face au camp qui lui est hostile et dont les voix sont éparpillées tout en ayant des choix multiples. C’est dans ce contexte que les conseils ont commencé à pleuvoir sur les parties politiques chrétiennes pour les pousser à s’entendre sur un même candidat, ce qui leur permettrait de combattre plus efficacement celui du tandem chiite. Même le Vatican, que le patriarche maronite et le chef du CPL ont visité récemment, s’est mis de la partie pour conseiller aux formations chrétiennes de s’entendre sur un même candidat pour renforcer leur position face à Frangié.
Une fois l’entente réalisée autour du nom de Jihad Azour, certaines parties chrétiennes, comme les Forces libanaises, se sont empressées de déclarer que ce candidat bénéficiait de plus de 65 voix et qu’il pourrait être élu lors de la séance du 14 juin. Le CPL, lui, est resté plus réservé et il a parlé d’une convergence autour du nom de Jihad Azour, sans aller jusqu’à prévoir son élection ou même à lui accorder un appui total. Par contre, toujours selon la source précitée, les parties extérieures, elles, ne se faisaient aucune illusion sur la possibilité d’élire un président le 14 juin. Pour cette source, il s’agissait plutôt de mettre en place les bases d’un dialogue sérieux sur le dossier libanais qui commence par la présidence et se poursuit avec les autres points litigieux. Pour conforter cette thèse, la source précitée ajoute que si le dossier présidentiel pouvait être réglé dans le cadre de la douzième séance parlementaire d’élection, le président français n’aurait pas décidé d’envoyer à Beyrouth un émissaire spécial, l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian, pour s’entretenir avec toutes les parties de ce sujet précis... Le fait même que la décision de confier ce dossier à l’ancien ministre a été prise avant même la tenue de la séance montre qu’en réalité, celle-ci n’était pas destinée à élire un président, mais à déclencher des négociations sérieuses à ce sujet.
De fait, aucun des deux candidats n’a pu éliminer l’autre et chaque camp possède le tiers de députés nécessaire pour faire sauter le quorum de la séance. Il n’y a donc aucune possibilité réelle pour un camp de battre l’autre. Mais en même temps, les deux camps ont été si loin dans leurs positions qu’ils ne sont plus en mesure de se rétracter sans perdre la face devant leurs bases respectives... La situation interne est donc bloquée, l’extérieur peut donc prendre le relais.
Jusqu’à présent, et alors que d’importants changements se dessinent dans la région et dans le monde, le dossier libanais n’était pas prioritaire. En effet, entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le dossier yéménite et celui de la Syrie passent avant la question libanaise. De même entre Damas et Riyad, la reconstruction de la Syrie et la lutte contre le trafic de drogue priment sur le dossier libanais. Et même entre l’Iran et les États-Unis qui mènent actuellement des négociations indirectes pour aboutir à un accord provisoire sur le dossier nucléaire, le Liban n’est pas encore abordé. Seule la France a cherché au cours des derniers mois à placer le dossier libanais à l’ordre du jour des rencontres internationales. Sa dernière tentative lors de la réunion dite des 5 (France, Arabie, États-Unis, Qatar et Égypte) qui s’est tenue à Paris en février a échoué en raison notamment de la position saoudienne hostile à l’époque à toute discussion concrète sur le dossier libanais. Aujourd’hui, la France fait une nouvelle tentative dans le cadre de la visite du prince héritier saoudien à Paris. Certes, d’autres points sont à l’ordre du jour des entretiens de l’émir Mohammad ben Salmane en France, mais le Liban sera aussi forcément évoqué. Le moment est-il venu de régler la question présidentielle libanaise ? Selon la source précitée, il est encore trop tôt pour le dire, d’autant que la France et l’Arabie ne sont pas les seules parties extérieures concernées par le dossier libanais. Mais ce qui est sûr, c’est que la séance du 14 juin constitue un bon point de départ pour les discussions à venir.
commentaires (4)
Il est clair que le système actuel du pays est un échec. Cessons de nous leurrer et de chercher des solutions de soins palliatifs. Les discussions et négociations doivent d’abord porter sur une nouvelle géographie et un nouveau système politique sur base communautaire. Les chrétiens et ceux qui portent les mêmes valeurs dans les autres communautés peuvent aisément vivre dans leurs 5000Km2. Un des deux grands partis serait au pouvoir et l’autre dans l’opposition, comme dans tout régime démocratique sain. Après tout, Monaco vit très bien sur quelques Km2. Le vivre ensemble a prouvé qu’il n’est viable nulle part sauf si une partie domine l’autre.
Lecteur excédé par la censure
15 h 04, le 17 juin 2023