
Des réfugiés syriens s’apprêtent à monter dans le camion qui se dirige vers la Syrie. Photo Mohammad Yassine
Il est 5h30 du matin. Le soleil vient à peine de se lever que des dizaines de camions sont déjà garés sur les hauteurs d’une colline, à Wadi Hmayed, à Ersal, dans le caza de Baalbeck. « On a pris tout ce que nous avions », dit Hdiyé, 28 ans, une réfugiée syrienne, mère de deux enfants.
Couettes, meubles, électroménager, parfois même citernes d’eau et panneau solaire… À l’arrière d’un camion, ce sont des années de vie au Liban que ces réfugiés ont entassées, avant de partir à bord d’un convoi de « retour volontaire » organisé par la Sûreté générale libanaise (SG), en coordination avec les autorités syriennes. Un procédé critiqué par des organisations internationales comme Amnesty International, qui y voient des expulsions déguisées, mettant en avant le risque de possibles arrestations arbitraires et actes de torture à leur retour.
Des camions garés sur une colline. Photo Mohammad Yassine
Mardi, sur les 330 personnes inscrites, environ 200 ont passé la frontière, indique une source de la SG présente sur place. La majorité est originaire de la région de Qalamoun, située près de la frontière avec le Liban et ancien bastion des combattants hostiles au régime du président syrien Bachar el-Assad.
Un premier retour « volontaire » depuis novembre 2022, bien que timide. À l’époque, le gouvernement libanais ambitionnait de rapatrier 15 000 Syriens par mois, mais seulement quelques centaines étaient finalement partis. « Le dernier retour a eu lieu il y a un an et demi car les Syriens ne s’enregistrent pas. Tout dépend de la situation économique là-bas », explique le responsable de la SG, présent dans la tente où les agents libanais vérifient l’identité des réfugiés afin de leur remettre leur autorisation de départ.
« Nous sommes en train de mourir ici »
Cette opération de la SG a lieu dans le sillage de diverses mesures restrictives à l’encontre des Syriens annoncées la semaine dernière, alors que les migrants et réfugiés issus de ce pays font face à la résurgence d’une campagne politique appelant à leur départ – depuis le meurtre, début avril, de Pascal Sleiman, un responsable des Forces libanaises à Jbeil, pour lequel des suspects syriens ont été arrêtés.
Un agent de la Sûreté générale libanaise. Photo Mohammad Yassine
Un retour dit « volontaire », mais qui semble « forcé », selon certains témoignages recueillis, par des conditions de vie ne cessant de se dégrader dans un Liban en crise depuis près de cinq ans. « Nous sommes en train de mourir ici. C’est pour ça que l’on s’est inscrits il y a quelques mois », souffle Rasha*, mère de quatre enfants, réfugiée depuis 2014 pour échapper à la guerre.
Afin d’avoir recours au retour volontaire, les Syriens doivent candidater auprès de la SG, qui envoie la liste des noms au régime syrien pour approbation. « Je fais ça pour que mes petits reçoivent une éducation. Ici, il n’y a plus rien », dit-elle, bien qu’inquiète du retour. « À cause du régime… » souffle-t-elle. « Tout va bien se passer, il nous a sélectionnés… » tempère son époux, qui démarre sa fourgonnette et se dirige vers le poste de contrôle de l’armée libanaise, alors que la plupart des autres réfugiés partent en camion, loué par la famille mais conduit par un Libanais qui fera l’aller-retour.
« Il n’y a plus de guerre. Ils doivent rentrer chez eux, mais ça doit se faire en sécurité », estime Hassan*, un des chauffeurs. « Nous sommes fatigués ici à cause de la crise économique, mais ce n’est pas de leur faute, c’est celle de l’État… estime le quadragénaire. Dans ce pays, il y a ceux qui se sont enrichis sur leur dos et ceux qui sont fatigués de leur présence. »
La peur du régime syrien
Derrière les pare-brise des véhicules passant le poste-frontière, se distinguent des visages d’hommes, de femmes et d’enfants. Certains sourient. D’autres sèchent leurs larmes. « Toi, tu descends », ordonne un soldat à une dame, après avoir contrôlé ses papiers. « Elle n’a pas l’autorisation de passage », explique l’un d’eux.
Des réfugiés syriens discutent avant de monter dans le camion. Photo Mohammad Yassine
Non loin de là, alors que de la fumée noire s’échappe de certains pots d’échappement, Hana*, 27 ans, occupe ses deux enfants de 4 et 5 ans. La mère de famille, qui a fui la guerre en 2013, ne peut plus supporter la vie ici. Chaque fois que la famille louait un appartement, elle était expulsée quelque temps plus tard. Et la répression par l’appareil sécuritaire a eu raison d’elle. « Nous n’avons pas d’autres choix. Nous sommes en danger ici et là-bas. À n’importe quel moment, on peut être arrêtés », dit-elle.
Human Rights Watch avait accusé, fin avril, les autorités libanaises d’avoir détenu arbitrairement, torturé et renvoyé de force des Syriens dans leur pays au cours des derniers mois, y compris des militants de l’opposition et des transfuges de l’armée. Laissant derrière elle toute sa famille, Hana part à contrecœur et la peur au ventre. « Je crains que mon époux soit détenu une fois en Syrie », dit-elle, en retenant ses larmes.
Des réfugiés syriens au milieu de camions stationnés. Photo Mohammad Yassine
Durant quatre heures, ce sont des scènes de séparation qui s’enchaînent. Un père – qui n’a pas reçu l’autorisation de la part des autorités syriennes – dit une dernière fois au revoir à ses enfants et à sa femme. « Je suis triste », dit sa fille de 14 ans. « Je vais les suivre », avance le père, la gorge enrouée. « Même si je dois me livrer aux autorités, je ne veux pas vivre sans eux », dit-il.
Hajjé Fatima dit au revoir à ses deux filles, accompagnées de leurs époux. La quinquagénaire a décidé de partir car elle ne pouvait plus subvenir aux besoins de ses deux plus jeunes enfants de 14 et 16 ans, qui retournent avec elle en Syrie. « Ils disent que c’est volontaire, mais les gens s’inscrivent pour partir car ils n’en peuvent plus des pressions et de la situation ici », dit Issam, son gendre.
Les deux couples ne peuvent pas rentrer en Syrie. « Le régime a tué nos proches. Si nous retournons, ils vont nous arrêter car nous n’avons pas effectué le service militaire », poursuit-il. Le seul espoir d’une vie digne pour eux serait une relocalisation du HCR dans un autre pays. « Pire que la vie au Liban, il y a le régime syrien… » lâche-t-il.
*Les prénoms ont été modifiés.
Qu'est-ce que le HCR ? Tous ces malheureux, les laissés pour compte, des suites de la répercussion de la politique suprémaciste des voleurs de terre et leurs alliés puissants.
16 h 19, le 15 mai 2024