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Nos Lecteurs ont la Parole

Il faut penser à la politique...

L’homme est un animal sociable : il ne peut vivre et s’épanouir qu’au milieu de ses semblables.

Mais il est aussi un animal égoïste. Son « insociable sociabilité », comme dit Kant, fait qu’il ne peut se passer des autres ni renoncer pour eux, à la satisfaction de ses propres désirs.

C’est pourquoi nous avons besoin de politique. Pour que les conflits d’intérêts se règlent autrement que par la violence. Pour que nos forces s’ajoutent plutôt que de s’opposer. Pour échapper à la guerre, à la peur, à la barbarie.

C’est pourquoi nous avons besoin d’un État. Non parce que les hommes sont bons ou justes, mais parce qu’ils ne le sont pas. Non parce qu’ils sont solidaires, mais pour qu’ils aient une chance, peut-être, de le devenir. Non « par nature », malgré Aristote, mais par culture, mais par histoire, et c’est la politique même : l’histoire en train de se faire, de se défaire, de se refaire, de se continuer, l’histoire au présent, et c’est la nôtre, et c’est la seule. Comment ne pas s’intéresser à la politique ? Il faudrait ne s’intéresser à rien, puisque tout en dépend.

Qu’est- ce que la politique ? C’est la gestion non guerrière des conflits, des alliances et des rapports de force. C’est donc l’art de vivre ensemble, dans un même État ou une même cité, avec des gens que l’on n’a pas choisis, pour lesquels on n’a aucun sentiment particulier, et qui sont des rivaux, à bien des égards, autant ou davantage que des alliés. Cela suppose un pouvoir commun et une lutte pour le pouvoir. Cela suppose un gouvernement et des changements de gouvernements. Cela suppose des affrontements, mais réglés, des compromis, mais provisoires, enfin un accord sur la façon de trancher les désaccords. Il n’y aurait autrement que la violence, et c’est ce que la politique, pour exister, doit d’abord empêcher. Elle commence où la guerre s’arrête.

Multiplicité des pouvoirs, unicité de l’État : toute la politique se joue là, et c’est pourquoi il en faut. Allons-nous nous soumettre à la première brute venue? Au premier petit chef venu ? Bien sûr que non! Nous savons bien qu’il faut un pouvoir, ou plusieurs, nous savons bien qu’il faut obéir. Mais pas à n’importe qui, mais pas à n’importe quel prix. Nous voulons obéir librement : nous voulons que le pouvoir auquel nous nous soumettons, loin d’abolir le nôtre, le renforce ou le garantisse. On n’y parvient jamais tout à fait. On n’y renonce jamais tout à fait. C’est pourquoi nous faisons de la politique. C’est pourquoi nous continuerons d’en faire. Pour être libres. Pour être heureux. Pour être plus forts. Non pas séparément, ou les uns contre les autres, mais « tous ensemble » ou plutôt à la fois ensemble et opposés, puisqu’il le faut, puisqu’on n’aurait pas besoin autrement de politique.

La politique nous rassemble en nous opposant : elle nous oppose sur la meilleure façon de nous rassembler ! Cela n’aura pas de cesse. On se trompe quand on annonce la fin de la politique : ce serait la fin de l’humanité, la fin de la liberté, la fin de l’histoire qui ne peuvent continuer, au contraire, et qui le doivent, que dans le conflit accepté et surmonté. La politique, comme la mer, est toujours recommencée. C’est qu’elle est un combat, et la seule paix possible. C’est le contraire de la guerre et cela dit assez sa grandeur. C’est le contraire de l’état de nature, et cela dit assez sa nécessité. Qui voudrait vivre tout seul ? Qui voudrait vivre contre tous les autres ? L’état de nature, montre Hobbes, c’est « la guerre de chacun contre chacun » : la vie des hommes est alors « solitaire, besogneuse, pénible, quasi animale, et brève ». Mieux vaut un pouvoir commun, mieux vaut une loi commune, mieux vaut un État : mieux vaut la politique !

S’occuper de la vie commune, c’est une tâche essentielle, pour tout être humain, et nul ne saurait s’en exempter. Vas-tu laisser le champ libre aux racistes, aux fascistes, aux démagogues ? Vas-tu laisser des bureaucrates décider à ta place ? Vas-tu laisser des technocrates ou des carriéristes t’imposer une société qui leur ressemble ? De quel droit alors, te plaindre de ce qui ne va pas ? Comment, si tu ne fais rien pour l’empêcher, n’être pas complice du médiocre ou du pire ? L’inaction n’est pas une excuse. L’incompétence n’est pas une excuse. Ne pas faire de politique, c’est renoncer à une part de ton pouvoir, ce qui est toujours dangereux, mais aussi à une part de tes responsabilités, ce qui est toujours condamnable. L’apolitisme est à la fois une erreur et une faute : c’est aller contre ses intérêts et contre ses devoirs.

Pourquoi la politique ? Parce que nous ne sommes ni des saints ni seulement des consommateurs : parce que nous sommes des citoyens, parce que nous devons l’être, et pour que nous puissions le rester.

Il ne suffit pas d’espérer la justice, la paix, la liberté, la prospérité... Il faut agir pour les défendre, pour les faire avancer, ce qui ne peut se faire efficacement qu’à plusieurs et passe pour cela, nécessairement, par la politique.

Entre la loi de la jungle et la loi de l’amour, il y a la loi tout court. Entre l’angélisme et la barbarie, il y a la politique.

« Faire bien l’homme » ne suffit pas. Il faut aussi faire une société qui soit humaine. Le monde ne cesse de changer. Une société qui ne changerait pas serait vouée à sa perte. Il faut donc agir, lutter, résister, inventer, sauvegarder, transformer... C’est à quoi sert la politique.

L’histoire n’est pas un destin ni seulement ce qui nous fait : elle est ce que nous faisons, ensemble, de ce qui nous fait, et c’est la politique même.

Vous, nos politologues ou politiciens libanais, en lisant ces lignes (si vous lisiez), où vous situez-vous ? Loin de vos faiblesses, de vos corruptions, de votre obscurantisme, illettrés du vrai pouvoir, n’avez-vous pas honte d’un qualificatif que vous portiez, et que vous l’aviez vidé de sens, de valeur, et surtout d’aucun brin d’humanité ?

On vous invite à repenser la politique, car vous êtes trop loin de sa pure et vraie définition.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’homme est un animal sociable : il ne peut vivre et s’épanouir qu’au milieu de ses semblables.Mais il est aussi un animal égoïste. Son « insociable sociabilité », comme dit Kant, fait qu’il ne peut se passer des autres ni renoncer pour eux, à la satisfaction de ses propres désirs. C’est pourquoi nous avons besoin de politique. Pour que les conflits d’intérêts...

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Bel article je demande si le Hezbollah le lit

Eleni Caridopoulou

20 h 18, le 05 juin 2023

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Commentaires (1)

  • Bel article je demande si le Hezbollah le lit

    Eleni Caridopoulou

    20 h 18, le 05 juin 2023

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