Bachar el-Assad de retour dans le giron arabe : ce qui semblait encore inconcevable il y a quelques années a donc finalement eu lieu dimanche 7 mai, quand les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe réunis à huis clos au Caire ont décidé de réintégrer la Syrie dans l’organisation panarabe. Désormais, le président syrien est « le bienvenu s'il le veut » au sommet annuel des chefs d'État de la Ligue arabe le 19 mai en Arabie saoudite, a précisé son secrétaire général Ahmad Aboul Gheit. Il s’agit d’une victoire diplomatique de taille pour l’ancien paria régional, ostracisé par ses voisins pendant douze ans en raison de la répression brutale d’un soulèvement populaire en 2011 qui a débouché sur un conflit meurtrier, dans lequel la plupart des pays arabes se sont longtemps engagés au côté de l’opposition.
N’ayant pas eu à faire de véritables concessions pour sortir de l’isolement régional, Damas a le triomphe revanchard. Le Premier ministre syrien, Hussein Arnous, a déclaré dimanche que la Syrie avait été victime de « campagnes de désinformation » lancées par ses ennemis durant les douze dernières années, ajoutant que la décision de l’organisation panarabe reflétait « la position prestigieuse » de la Syrie aux niveaux régional et international.
« La crise syrienne n’est pas résolue »
Les diplomates arabes ont avant tout basé leur décision sur un constat réaliste teinté d’aveu d’échec, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, ayant admis que « chaque étape de la crise syrienne a prouvé qu’il n’y a pas de solution militaire et qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu », promouvant dès lors un règlement par « une solution politique sans diktats extérieurs. »
Cette réadmission conclut ainsi une longue série de rapprochements entre Damas et ses anciens ennemis régionaux, notamment depuis le tremblement de terre du 6 février qui a permis à Bachar el-Assad de mener une « diplomatie du séisme » en faisant appel à la solidarité arabe. Elle s’inscrit aussi dans un contexte régional marqué par le retrait américain progressif de la région et le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Suivant la voie ouverte par Abou Dhabi, fer de lance de la normalisation avec Damas, Riyad a en effet décidé de renouer avec le régime syrien, soutenu par Téhéran, dans le sillage de son accord avec la République islamique signé le 10 mars sous l’égide de Pékin.
Prudent, Ahmad Aboul Gheit a toutefois précisé que le retour de la Syrie ne signifiait « pas que la crise syrienne a été résolue, au contraire, mais cela permet aux États arabes, pour la première fois en plusieurs années, de communiquer avec le gouvernement syrien pour discuter de tous les problèmes ».
Principal concepteur du retour du dialogue avec Damas, la Jordanie estime qu’une solution « étape par étape » est nécessaire pour mettre fin à un conflit dont la poursuite ne fait qu’accroître les maux subis par les Syriens, ainsi que la mainmise iranienne sur le pays et le trafic du Captagon, cette drogue de synthèse dont elle subit de plein fouet la contrebande, selon un document présenté par le royaume hachémite aux présidents américain et russe en 2021 et actualisé depuis, révélé par le média al-Majalla.
Lors d’une réunion ministérielle à Amman le 1er mai, Damas a accepté de s’engager sur une feuille de route devant mener au règlement du conflit, s’engageant notamment à lutter contre le trafic de drogue. « Damas pourrait faire preuve de souplesse en réduisant significativement le flux de Captagon vers la Jordanie, l’Irak et les monarchies du Golfe », estime Joseph Daher, maître enseignant de recherche à l’Université de Lausanne. L’Arabie saoudite est le principal débouché de ce commerce illégal juteux contrôlé par le régime syrien, dont les profits se sont élevés à dix milliards de dollars en 2022, selon des analystes.
Les pays arabes entendent montrer au régime qu’ils ne transigeront pas sur ce point, précise Joseph Daher, selon qui « la poursuite de la coopération économique et politique dépendra de la capacité du régime à tenir ses promesses sur les questions de sécurité ». Lundi 8 mai, des frappes aériennes dans le sud de la Syrie ont tué Merhi Ramthan, l’un des plus importants trafiquants de Captagon, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui les a attribuées à la Jordanie.
L’« abandon » des Syriens
Outre la question de la lutte contre le Captagon, la décision de dimanche mentionne la résolution 2254 de l’ONU, appelant notamment à une solution politique au conflit en Syrie. Une mention que réclamaient les États-Unis, souhaitant que leurs partenaires arabes exigent des contreparties à une réintégration dans la Ligue arabe. « Une annonce de façade », estime toutefois Aron Lund, chercheur auprès de l’Agence suédoise de recherche pour la défendre (FOI) et la Century Foundation, selon lequel « personne ne croit sérieusement qu’Assad va permettre l’organisation d’élections libres ». Et Joseph Daher d’abonder : « Le régime ne répondra très probablement pas aux conditions posées par la Ligue arabe sur des questions telles que l’autorisation d’un retour massif de réfugiés ou la libération massive de prisonniers politiques. » Selon lui, les membres de la Ligue arabe n’exerceront pas une pression suffisante sur ces enjeux pourtant cruciaux, « n’étant pas eux-mêmes des phares de la démocratie », ce qui rend « peu probable une amélioration du sort de la population à court terme ».
Le succès apparent de Damas est néanmoins limité par le refus occidental de lâcher du lest sur les sanctions contre le régime et de participer à la reconstruction du pays ravagé par douze années de guerre ayant fait 500 000 morts et plus de sept millions de réfugiés. D’après Aron Lund, le retour de la Syrie au sein de l’organisation panarabe est avant tout « symbolique, la Ligue arabe étant une organisation dysfonctionnelle au départ et considérée comme peu importante ». Reste qu’il pourrait « compliquer à long terme les efforts américains et européens pour maintenir une politique d’isolement » contre le régime.
S’il marque surtout une victoire symbolique pour le régime, le retour de Damas dans le concert régional est un échec patent pour ses opposants. La Coalition nationale syrienne, principale alliance de l’opposition basée en Turquie, a estimé que la décision de la Ligue arabe revenait à « abandonner » les Syriens, les laissant « sans soutien officiel arabe ». Laila Kiki, directrice de l’organisation de plaidoyer The Syria Campaign, affirme pour sa part dans un communiqué que « les États arabes ont placé leur réalisme politique cynique et leurs agendas diplomatiques au-dessus du principe d’humanité ».
commentaires (5)
C’est stupéfiant l’avis tranché de certain aussitôt qu’on évoque les américains. On croirait qu’il préfèrent l’archaïsme et l’encourage à se répandre dans notre pays sous prétexte de réalisme. Mais mes pauvres, la réalité est que le Liban devrait retrouver son indépendance en premier lieu et peu importe lequel des pays décide de le faire pour se mettre en travers du chemin des vendus locaux pour les désarmer et les anéantir. C’est ça le réalisme, le reste on s’en tape vulgairement dit.
Sissi zayyat
11 h 29, le 10 mai 2023