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Lifestyle - Histoires de thérapies

Monsieur Cric et la phobie de l’ascenseur

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences. Un passage obligé qui rassemble les confidences, comme les pièces d’un puzzle qui constituent une vie. Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes, sur un chemin emprunté à deux pour arriver à y voir clair.

Monsieur Cric et la phobie de l’ascenseur

Illustration Noémie Honein

Monsieur Cric*, comme je l’ai surnommé, me consulte pour une phobie de l’ascenseur. Il a essayé toutes les thérapies possibles pour s’en débarrasser. Dans ce genre de cas, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) marche très bien. Elle ne s’occupe pas de l’inconscient du sujet et se place à un niveau cognitif. Mais avec lui, ça n’a pas marché. Les médicaments anxiolytiques l’ont aidé, il prend un comprimé chaque fois qu’il doit emprunter l’ascenseur, mais en est devenu dépendant. C’est donc en désespoir de cause qu’il vient me voir.

Depuis tout petit, l’idée de prendre l’ascenseur l’angoisse au plus haut point, sauf quand il est accompagné. En psychanalyse, on appelle ça l’objet contraphobique. Mais maintenant qu’il est adulte et qu’il habite un 10e étage, cela devient difficile d’avoir toujours quelqu’un pour le faire. Parfois, il appelle sa femme qui descend le chercher et prend avec lui l’ascenseur. Mais elle n’est pas toujours disponible... D’autres fois, il le demande à un commerçant du coin, mais là aussi, ce n’est pas toujours possible. Il lui est même arrivé de héler un inconnu dans la rue... Il n’a pas honte de sa phobie, et même si cette phobie est invalidante, j’ai l’impression qu’il y tenait un peu.

L’aîné de quatre enfants, sa mère l’a toujours privilégié par rapport aux autres. Il m’avoue, honteusement, qu’il partageait souvent son lit lorsque son père était absent. Grand homme d’affaires, ce dernier était souvent en voyage, et monsieur Cric le voyait très peu. Il me raconte qu’à l’âge de cinq ans, il fait un rêve œdipien : il couche avec sa mère. L’angoisse éprouvée alors exerce sur lui un ravage total. C’est à ce moment-là que la phobie de l’ascenseur a commencé. Au fait des théories analytiques, il connaît bien le mécanisme de la projection. La peur de l’ascenseur lui permet de focaliser l’angoisse qui cesse d’être envahissante et rageante. Avoir peur de l’ascenseur vaut mieux qu’avoir peur tout le temps. C’est pour cette raison qu’il s’en accommode…

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Mais en même temps, il réalise que c’était aussi un appel au père. Le père absent a laissé la porte ouverte à l’accès à la mère. Le mot cric prend alors tout son sens : c’est un synonyme d’ascenseur. C’est un concept mécanique, il permet d’élever quelque chose. Sa phobie était en quelque sorte un appel au père pour que ce dernier remplisse son rôle : mettre un frein à la relation incestueuse avec la mère. Monsieur Cric savait bien tout cela, mais cela n’a pas arrêté sa phobie. La difficulté vient du fait qu’elle est nécessaire pour maintenir l’angoisse jugulée et l’empêcher de se répandre à tout son être, comme ce fut le cas après ce rêve d’inceste.

C’est pour cette même raison que les thérapies comportementales et cognitives échouent elles aussi. La phobie guérie est remplacée par une autre phobie, ce qui montre bien que l’angoisse est existentielle. Elle résulte de la transgression d’un tabou, en rêve bien évidemment. Le phobique a ceci de particulier d’échapper à l’angoisse par l’angoisse phobique. Sur le plan thérapeutique, on se trouve devant un paradoxe : doit-on tout faire pour guérir une phobie, ce qui est un principe médical de base ? Ou bien accepter le symptôme et considérer que la guérison pourrait venir d’elle-même? Ce paradoxe que présente le phobique met à mal la médecine en tant que telle, en l’interrogeant sur son pouvoir thérapeutique.

*Le nom a été modifié pour des raisons de confidentialité

Monsieur Cric*, comme je l’ai surnommé, me consulte pour une phobie de l’ascenseur. Il a essayé toutes les thérapies possibles pour s’en débarrasser. Dans ce genre de cas, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) marche très bien. Elle ne s’occupe pas de l’inconscient du sujet et se place à un niveau cognitif. Mais avec lui, ça n’a pas marché. Les médicaments...

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