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Nos Lecteurs ont la Parole

Comment annoncer la vérité au malade ?

Être atteint dans son corps par une maladie est source de grande souffrance physique et psychique. C’est un événement toujours vécu comme étant pour la première fois. Rien d’étonnant, car bien qu’elle soit intrinsèque à la vie humaine elle-même, la maladie n’est jamais positivement accueillie par la nature humaine. L’être humain l’expérimente toujours comme une force négative et destructrice. Et s’il n’est jamais facile d’être malade, il est encore plus difficile à la personne atteinte d’une maladie progressive et mortelle de s’en sortir avec l’inévitable désespoir, la tristesse et la souffrance psychique qui accompagnent l’annonce d’une nouvelle aussi douloureuse.

C’est une situation épineuse qui ne se pose pas uniquement au malade, mais également à son entourage immédiat, à sa famille, ses amis, ses connaissances. Ceux-ci se trouvent impuissants devant l’évolution de la maladie vers la fatalité et ne savent point comment alléger la double souffrance physique et psychique de leur bien-aimé condamné.

Cette question difficile n’épargne nullement le médecin. Quoiqu’il en soit témoin au quotidien, il est loin d’être insensible à la souffrance ou à la mort de son patient, en particulier s’il le connaît de longue date, ou encore si la mort survient à la suite de circonstances particulières, comme par exemple l’explosion au port de Beyrouth. Cela est réel à n’importe quel stade de sa carrière professionnelle. Mais, autant qu’on sent la singularité de toute personne, la question se pose de manière plus radicale et plus complexe.

Nous nous confrontons au Liban et dans la région en général à une certaine mentalité sociétale traditionnelle qui préfère cacher au malade la vérité sur sa situation. Cette coutume de bonne foi entend épargner au malade de vivre une anxiété subversive devant une maladie chronique ou létale. On a tendance même parfois à donner au malade de faux espoirs pour la même raison, en pensant toujours que la vérité pourrait affecter négativement son moral. En d’autres termes, on emploie avec le malade un langage plutôt optimiste qui ne correspond pas à la gravité de la maladie, souvent à la demande de la famille elle-même.

Un certain regard sur le médecin de la part du malade et de son entourage vient s’y ajouter. Le médecin est perçu comme étant capable de faire des miracles grâce à sa science et sa connaissance. Il n’est pas simplement un spécialiste qui fournit des soins et traitements professionnels, mais quelqu’un qui guérit, comme si la guérison dépendait uniquement de lui.

Voilà donc que le médecin se trouve dans une situation complexe et embarrassante. De par sa profession, il se doit de dire au malade la vérité, et cela quel que soit le degré de la gravité de son état. À juste titre, des soins de qualité ne peuvent être délivrés en l’absence d’une relation médecin-patient basée sur une communication compréhensible, transparente et respectueuse de la dignité humaine ; c’est seulement dans ces circonstances que la participation du patient lui-même dans la prise de décision thérapeutique, en fonction de ses besoins et de ses désirs, devient possible.

Un jour, j’avais admis en réanimation un jeune homme âgé de 30 ans. Je consulte son dossier et je comprends qu’il était en stade terminal d’un cancer du sang : il n’avait aucune chance de rémission et le décès était imminent. À ma grande surprise, je ressens un certain embarras en entrant en contact avec les parents dont la discussion ne portait que sur la sortie de leur fils du service des soins intensifs. Ils étaient vraisemblablement soit dans le déni de la gravité de l’état de santé de leur fils, soit mal informés par leur médecin traitant ; la troisième possibilité pour moi était que le médecin avait bien expliqué la gravité de la maladie, toutefois en utilisant des termes trop techniques et scientifiques, le « jargon médical », souvent incompréhensible par les patients et les familles. Comment pourrai-je m’en tirer ? Comment devrai-je confronter une coutume qui favorise le déni, la dissimulation de la vérité à la personne concernée, et qui de surcroît voit le médecin comme un faiseur de miracles ? Comment devrai-je me comporter ? Comment pourrai-je me faire aider par l’équipe de soins et l’administration de l’hôpital ?

Ce n’est qu’un exemple de la norme dans notre société. Or dire la vérité est essentiel par respect de la dignité de la personne et pour établir des relations de confiance, d’estime et de respect entre le médecin et les patients. En plus, dire la vérité est nécessaire pour permettre au patient et à son entourage d’accepter et de se préparer à la mort de tous les points de vue. Selon le Dr Gabor Maté, un médecin canadien expert dans les traumatismes psychologiques, il n’y a de réelle compassion que dans la vérité, qu’il nomme « the compassionate truth », le quatrième niveau de la compassion (il en a décrit 5) : cacher la vérité ne protège pas l’être humain d’une douleur non évitable et c’est souvent par la seule vérité qu’il y a une vraie guérison.

C’est ainsi, et afin de ne pas faire porter le fardeau de telles situations au seul médecin, que plusieurs hôpitaux en Occident ont formé des équipes multidisciplinaires pour annoncer la gravité de la maladie aux concernés. Puissions-nous suivre leur exemple !

Dr Zeina ASSAF MOUKARZEL

Fondatrice et présidente de Lamsa, ONG libanaise

dont la mission est la promotion de la santé mentale et le bien-être des jeunes.

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Être atteint dans son corps par une maladie est source de grande souffrance physique et psychique. C’est un événement toujours vécu comme étant pour la première fois. Rien d’étonnant, car bien qu’elle soit intrinsèque à la vie humaine elle-même, la maladie n’est jamais positivement accueillie par la nature humaine. L’être humain l’expérimente toujours comme une force...

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