Réuni jeudi, le conseil de l'ordre des avocats de Beyrouth n'a pas pris de décision sur la radiation de Nizar Saghiyé, directeur de l'Agenda légal, qui a été convoqué après des critiques qu'il avait émises contre une décision du conseil du 3 mars dernier. Celle-ci consiste à interdire à tous les membres du barreau d’apparaître dans les médias sans prendre auparavant l’autorisation du bâtonnier, Nader Gaspard. Elle a provoqué un tollé au Liban, certains accusant l'ordre de vouloir réprimer la liberté d'expression des avocats.
Une source au conseil de l'ordre n'écarte pas la possibilité de reprendre les concertations en vue d'une décision après les festivités du Fitr, rapporte notre journaliste Claude Assaf.
S'exprimant dans une longue allocution à la presse à la suite de la réunion, Nader Gaspard a dénoncé "certaines provocations" envers l'ordre des avocats et des tentatives de "tromper l'opinion", sans jamais nommer expressément Me Saghiyé. De son côté, ce dernier a affirmé avoir "fait parvenir son message" et assuré qu'il "n'acceptera pas" son éventuelle radiation.
Communiqué-fleuve
Après de longues heures de réunion, le conseil de l'ordre a publié un communiqué-fleuve, qui reprend l'intervention de Nader Gaspard devant les journalistes et n'aborde jamais l'affaire Saghiyé directement. "Le conseil rappelle son attachement à toutes les libertés, et en premier lieu la liberté de conscience et d'expression", souligne le texte, dénonçant le fait que "certains collègues outrepassent la loi, alors qu'il est inacceptable de traiter de dossiers judiciaires qui sont toujours en cours d'instruction".
"Certains se cachent derrière cette liberté pour intimider, humilier, mener des campagnes inacceptables et insulter un précédent bâtonnier, ou l'actuel", poursuit le communiqué, fustigeant certaines "provocations contre l'ordre des avocats et des tentatives de retourner l'opinion publique contre lui par la diffamation, le dénigrement, le détournement des propos et la calomnie, et en entraînant des leaders d'opinion et des événements pour faire pression sur le conseil. On ne peut pas se taire face à cela", conclut le texte.
Quelques dizaines de personnes, notamment des activistes, des avocats et des députés, s'étaient rassemblées dès 10h30 devant le Palais de justice de Beyrouth pour soutenir Nizar Saghiyé. Ce rassemblement a été organisé par les collectifs Coalition pour l’indépendance de la justice au Liban et l'Alliance de la liberté d'opinion et d'expression, et M. Saghiyé y a pris part.
"J’ai dit qu’il s’agit d’une atteinte à ma liberté"
L’audience de Nizar Saghiyé s’est terminée à 16h30, mais le conseil de l’ordre a poursuivi sa réunion qui ne s'est terminée qu'en soirée, sans prise de décision. "Il y avait une tentative de mettre un terme au différend. J’ai exprimé mon avis et j’ai dit qu’il s’agit d’une atteinte à ma liberté en tant qu’avocat et que je n’accepterai pas cela. Je crois que l’ordre a compris les positions que j’ai exprimées. J’ai fait parvenir mon message", a affirmé l’avocat à la presse, à sa sortie du Palais de justice.
Avant l'audition, Maya Zaghrini, membre du conseil de l'ordre des avocats, avait affirmé à L'Orient-Le Jour que "la convocation de M. Saghiyé n'a pas de lien avec la nouvelle règle selon laquelle un avocat ne peut faire des apparitions médiatiques sans autorisation préalable du bâtonnier". "Le conseil veut l'entendre sur plusieurs points que nous gardons secrets en vertu de la confidentialité des débats", explique-t-elle.
"Radié en cinq minutes"
"Cela fait 29 ans que je suis membre de l'ordre, et aujourd'hui, je peux en être radié en cinq minutes", s'inquiétait Nizar Saghiyé jeudi matin, dans des propos accordés à notre journaliste sur place Claude Assaf. "C'est une manière de terroriser tous les membres du barreau. La société doit hausser le ton pour défendre les libertés", a-t-il plaidé.
Me Saghiyé avait dernièrement observé que sa convocation, signée par le secrétaire général du conseil de l’ordre (Saad Khatib), laisse penser que le conseil du barreau envisage de le radier. Interrogé par L’Orient-Le Jour, un proche du conseil de l’ordre avait affirmé qu’aucune décision en avance n’a été prise en ce sens.
Vers 11h, Nizar Saghiyé a prononcé un discours devant les manifestants, dénonçant un ordre des avocats "qui décide des libertés des autres et de qui dit quoi et quand". "Il s’agit d’un coup contre les droits de l’Homme". "Dès le début, nous avons compris que cette décision reflète la peur du régime envers la justice (…). Il s’agit d’ôter à l’avocat l’une de ses armes les plus efficaces au sein de la société".
"C'est à l'ordre des avocats de préserver les libertés", s'est insurgé pour sa part le député Marc Daou, issu de la contestation populaire, qui participait à la manifestation. "Le conseil de l'ordre devrait revenir sur sa décision", estime de son côté l'avocat et militant Wassef Haraké, lui aussi présent lors du sit-in.
L’audience de Nizar Saghiyé était prévue à 11h30 mais l’avocat n’a été reçu que 40 minutes plus tard. Plusieurs avocats voulaient participer à la séance mais ils en ont été empêchés. Le secrétaire général du conseil de l'ordre, Saad Khatib, leur a expliqué qu’il s'agit d'une réunion du conseil, et non d'un procès devant un tribunal. Cette réunion comporte, outre l’audition, d’autres points à l’ordre du jour. De ce fait, aucun avocat ne peut y assister.
À la tête de la Coalition pour l’indépendance de la justice au Liban, Me Saghiyé avait critiqué avec virulence la décision de l'ordre des avocats et présenté un recours en vue de son annulation devant la cour d’appel de Beyrouth, qui devrait le trancher le 4 mai. "Nous ne limitons pas la liberté, nous organisons son exercice", nous avait affirmé Nader Gaspard, au lendemain de l’annonce de la décision du conseil de l'ordre.
Nizar Saghiyé, connu pour sa défense farouche des droits de l’homme et de l’indépendance de la justice, a poursuivi ses apparitions médiatiques malgré l'interdiction de l'ordre, jugeant que la mesure adoptée viole la liberté d’expression consacrée par la Constitution. Le bâtonnier Nader Gaspard avait notamment tenté d’interdire l'intervention de Me Saghiyé dans une émission le 7 avril sur une station radio, la Voix du peuple. Mais aussi bien l’avocat que le média en question ont ignoré sa volonté, et l’émission a été maintenue.
Emboîtant le pas à de nombreux avocats qui ont manifesté leur indignation sur les réseaux sociaux, aussitôt que la nouvelle de la convocation de Me Saghiyé a été ébruitée la semaine dernière, de nombreux partis, personnalités politiques et organisations de la société civile ont exprimé leur rejet d’une telle mesure, alors que d'autres formations et personnalités politiques se sont contentées de garder le silence, ou ont cautionné la décision de l'ordre.
Si seulement on avait des centaines de libanais comme ce Monsieur Saghiyé, le Liban ne ressemblerait pas au poulailler qu’il est devenu. Bravo Monsieur je vous admire. Il nous faut des hommes et des femmes de sa trempe qui disent non et assument leurs positions pour pouvoir prétendre à une souveraineté. OÙ SONT ILS DONC? Notre pays pullulent de lâches et de soumis aux ordres des fossoyeurs qui préfèrent leurs postes à leur pays et l’argent à l’honneur.
12 h 51, le 21 avril 2023