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Nos Lecteurs ont la Parole

Mère-veilleuse maman !

Maman, les mots me manquent et j’achoppe. Que te dire précisément quand trop d’encre a coulé, quand j’ai peur de tomber dans la redondance, la banalité, quand aucune parole ne saurait assez exprimer ce trop-plein d’amour que j’éprouve pour toi, quand je crains de ne pas être à la hauteur, de gratifier en trop de mots à la fois le rôle de mère courage, assumé dès ton jeune âge, et qu’en l’absence du père, c’est toi qui fus sans cesse mon « re-père » ?

Maman, tu connais bien ma passion des mots et s’il m’était donné d’en choisir un seul de mon jargon, j’opterais pour « giron ». Giron parce que ce n’est que dans le réconfort du tien que je me sens bien, parce que c’est dans le creux du tien quand je m’y recroqueville que tous les maux de la terre se distillent...

En ce jour, mes pensées volent vers ceux qui ont perdu leur maman, ou plus poignant vers celles qui ont été privées de danser avec ce merveilleux sentiment, de porter en elles la vie, de sentir bouger un être dans leur nid, de se pencher sur le berceau d’un ange, d’être présente à ses premiers émois, pleurer avec lui un monde qui le déçoit, puis de lui donner des ailes pour partir, et le voir s’épanouir pour voler vers d’autres lendemains qui feront de lui un « humain ». Pardonne-moi, p’tite maman, d’avoir manqué à la joie de faire valser ton cœur, au milieu d’une nuée de petits-enfants-bonheur !

Que c’est triste, les mères qui reçoivent des cadeaux somptueux, des bouquets silencieux, sans note et sans musique, sans égard, sans écoute, sans regard.

L’écouter avec des yeux débordants d’amour même si c’est une histoire qu’elle raconte pour la énième fois, même si elle se plaint de sa petite santé, du froid. Combien de fois, maman, t’es-tu inquiétée naguère pour moi ? Combien de fois t’es-tu fait un sang d’encre, à chaque épreuve, à chaque bleu au cœur, sans fermer l’œil qu’à mon retour aux petites heures ?

Aujourd’hui, j’ai presque l’âge d’être grand-mère et rien ne me titille que de rester à tes yeux ta petite fille. Impossible de me percevoir femme accomplie.

« – Tiens-toi droite... Ne mets pas les coudes sur la table... Dis merci... Sois polie... Fais une raie sur le côté... Garde un ton posé, ton grand-père murmurait en parlant, pourquoi cries-tu donc autant ?

– Mais maman, je hausse la voix parce que tu ne m’entends pas ! Tes “écoute”, tu n’en veux pas !

- Eh non, c’est toi qui articules mal, je suis tout à fait normale ! M’as-tu bien écoutée toujours, ou c’est mon cri qui était si sourd ? » Entre-temps, ainsi est faite l’existence. Maman retombe en enfance. Je pouponne. Mon bébé affectionne. « L’effet-mère » est infini, je deviens la maman de ma mie !

La laisser régenter sa maisonnée. Lui garder le monopole de sa télécommande vénérée. La voir assister bien calée dans son canapé à ses jeux télévisés, et la laisser gagner. Lui affirmer que c’est une fée pétrie de magie, que sa charlotte aux fruits, sa crème renversée façon bain-marie sont un poème et gardent la saveur d’enfance, de vos goûters du dimanche. Lui préférer la compagnie de vos bons amis pour un temps de qualité en vis-à-vis, pour de précieuses parenthèses entre mère et fille. En faire une confidente, une amie. Invitez-la au restaurant, au concert, en croisière même si ç’est un crève-cœur de l’entendre vous dire que celle-ci est probablement la dernière...

Entretenez sa mémoire, aiguisez sa curiosité, faites avec elle une partie de Scrabble, une patience, des mots croisés. Lisez-lui des passages bien ourlés. Épanchez-vous, racontez-lui ce qui vous préoccupe, vous taraude ou tout simplement votre journée. Prenez son avis sur tout et confirmez-lui que sans elle, rien ne se fait. Dites-lui qu’elle est votre valeur sûre et qu’elle le restera à jamais. Faites vibrer votre intelligence du cœur, votre générosité. Dites-lui à tout moment et sans raison à quel point vous la chérissez, pour sa droiture, son éthique, sa moralité. Pour son goût semé de l’opéra, du ballet, des airs de Rachmaninov, de Liszt ou de Fauré.

Faites-la courir sur vos genoux, faites-lui des chatouilles dans le cou, glissez-lui des billets doux. Faites-lui des câlins, déposez des petits baisers dans la paume de sa main. Engouffrez-vous avec elle sous les draps, jetez-vous dans ses bras. Dites-lui à chaque réveil qu’elle est votre rayon de soleil. Préparez-lui le petit déjeuner au lit, avec un brin fleuri et le bien-plié de son journal chéri. Déposez religieusement ses médicaments dans son pilulier, des bonbons sous son oreiller. Faites-la rire, inventez-lui des surnoms, fredonnez-lui des chansons. Coiffez-la comme si c’était votre poupée, mettez-lui du rouge à lèvres, quelques gouttes d’eau parfumée. Dites-lui qu’elle a toujours ce raffinement inégalé, que chaque objet de la maison parle d’elle, qu’elle demeure toujours aussi belle et que ses yeux vert-marron ressemblent à deux ravissants papillons !

Bonne fête ma « Houda » d’amour, mon « cadeau », mon « présent » de tous les jours.

Tout comme ce printemps qui est là pour nous rappeler que tout recommence et continue, ta fête se célèbre et se perpétue, à chaque matin éclos, à chaque chant d’oiseau, à chaque doute, à chaque croisée de route, à chaque prière, à chaque soupir, à chaque fou rire, à chaque pleur, à chaque peur, à chaque cerisier en fleurs...

Lina-ltérable

Lina SINNO

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Maman, les mots me manquent et j’achoppe. Que te dire précisément quand trop d’encre a coulé, quand j’ai peur de tomber dans la redondance, la banalité, quand aucune parole ne saurait assez exprimer ce trop-plein d’amour que j’éprouve pour toi, quand je crains de ne pas être à la hauteur, de gratifier en trop de mots à la fois le rôle de mère courage, assumé dès ton jeune...

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